Avril 2013
L’usage du déplacement chez Simon Starling joue à la fois comme un miroir des modèles de développement irrationnels de nos sociétés et comme une sollicitation à imaginer d’autres pratiques
Simon Starling développe une œuvre qu’il faut approcher à travers l’ensemble des modes d’expression qu’il utilise : installations, récits, sculptures, éditions et ses propres voyages forment un tout . [1] Le déplacement est une dimension récurrente de son travail. L’artiste anglais, né en 1967, s’inscrit dans la lignée des artistes conceptuels (et post-conceptuels) dont l’approche réclame une prise en compte à la fois des intentions, des productions écrites et en dernier ressort des réalisations elles-mêmes. Le voyage n’est jamais vu comme une fin, mais plutôt comme le processus ou partie du processus de l’œuvre, un canal de mutation qui affecte la structure interne des éléments déplacés. L’itinéraire de la Fiat 126 entre l’Italie et la Pologne dans Flaga (1972-2000) , 2000, est l’itinéraire de l’hybridation de la voiture qui finit accrochée au mur d’une galerie, peinte aux couleurs du drapeau polonais, interrogeant le sens des frontières, leur rapport à l’économie et aux régimes politiques, la porosité des identités à travers l’espace. De façon quasi constante chez Simon Starling, les déplacements visent les matériaux, les objets, les plantes… plus que les personnes qui sont en général absentes dans le propos des dispositifs. Comme si la mobilité de demain allait viser beaucoup plus les choses que les individus ?
Dans Rockraft , 2008, une pierre d’une tonne est transportée du quartier d’Avonmouth, sur dix-neuf kilomètres, à bord d’une plate-forme flottante, jusqu’au port de Bristol, en utilisant l’énergie générée par la marée (la deuxième plus importante marée au monde). A son arrivée à Bristol, la pierre effectue un autre voyage, virtuel celui-ci. Ses formes sont scannées puis répliquées à l’aide d’une fraiseuse électronique de pointe. La pierre originale et son double sont exposés ensemble. Le voyage physique de la tonne de pierre est comme annulé par les procédés techniques ultra-modernes qui permettent d’obtenir la même pierre par un simple déplacement virtuel. La monumentalité de l’objet virtuellement transféré accroît encore ce que l’on peut lire comme une prophétie de l’avenir des mobilités du fret, dans la lignée des travaux « Technologies et Voyage » menés par John Urry et Thomas Birtchnell . L’œuvre de Simon Starling illustre les procédés d’« additive manufacturing » que leur équipe de recherche a théorisés au sein de l’Université de Lancaster.
Dans Rescued Rhododendrons , 2000, l’artiste déplace un rhododendron de l’Ecosse vers l’Espagne. C’est au XVIIIème siècle que cette plante a été importée en Ecosse (depuis l’Espagne) où elle est devenue invasive au point de menacer la flore et de faire l’objet d’une politique d’arrachage systématique. Un simple jeu de frontières peut faire changer le statut d’un bien.
Plus encore, l’œuvre rend compte des réseaux d’échanges complexes et d’interconnexions dont nos sociétés globalisées dépendent. Simon Starling nous montre que tout dans le monde peut être affecté par la mobilité, plus rien n’est fixe de façon immuable (même pas une tonne de pierre). Mais si tout peut se déplacer, tout est également interdépendant, de sorte que l’accroissement des mobilités s’accompagne d’une cascade de déséquilibres (ici, le déséquilibre naturel causé par le rhododendron). Tout ce qui se déplace transforme et se transforme. Si chez Adrian Pavi la mobilité affecte la stabilité intime et identitaire des êtres, chez Simon Starling, ce serait la stabilité des systèmes naturels, historiques ou conceptuels. A bord de l’embarcation de l’œuvre Autoxylopyrocyclobotos , 2006, Simon Starling et son coéquipier avancent sur le lac Loch Long en Ecosse en alimentant la machine à vapeur qui sert à la propulsion avec le bois de la coque du bateau, jusqu’à sombrer. Le serpent qui se mord la queue (l’ ouroboros auquel l’œuvre renvoie) ne serait-il pas celui d’une mobilité, et, plus largement, d’un développement, qui, dans les conditions actuelles, n’avancent nulle part ailleurs que vers leur propre chute ?
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