Mars 2013
Le débat sur la mobilité de demain n’en fini pas d’opposer les tenants au tout à l’auto et ceux qui espèrent une reconversion complète de notre société « fossile ». Etat des lieux d’un grand écart entre pragmatisme et idéalisme.
La société moderne
Un intéressant « regards croisés » nous était proposé récemment entre l’artiste/photographe canadienne Elinor Whidden et l’urbaniste/écrivain Jean-Marc Offner, directeur d’A’Urba (Bordeaux). Une bonne occasion de se rendre compte du fossé qui peut exister entre le pragmatisme et l’idéalisme. Pour résumer : les pragmatiques ne croient pas à une société sans voiture ni pétrole pour les cinquante prochaines années, mais imaginent des changements de comportements utilisant toujours l’auto mais avec un usage différencié. Les idéalistes vont plus loin en imaginant un monde sans pétrole et des changements de comportements sociétaux plus radicaux. Au-delà de ces deux points de vue, c’est toute la question de notre société de consommation qui est posée : va-t-on droit dans le mur ou va-t-on s’engager sur des accommodements raisonnables ?
Mobilité et politique
Elinor Whidden a raison de dire que « dire qu’il viendra un temps où la voiture sera obsolète relève presque d’une prise de position politique ». En réalité, c’est une prise de position politique et elle est déclarée comme telle par une importante communauté associative et alternative. A l’opposé, les pragmatiques relèvent que l’auto reste une composante majeure de la société mobile de par sa polyvalence, son autonomie et ses performances. Or c’est principalement sur l’aspect de l’autonomie que se focalise le débat politique.
Nombreux sont les philosophes qui relèvent cet aspect de notre XXIème siècle : l’autonomisation de l’individu a dilater une partie de ce qui faisait jadis « la communauté », au temps où l’interdépendance avec le voisin était plus prégnant qu’aujourd’hui. La vie mobile de nos jours se conjugue avec le chacun pour soi : je pars où je veux et quand je veux, je ne demande rien à personne, je ne dépends de personne, excepté du pompiste ! On notera qu’il s’agit là de critères fondamentaux qui font que les transports publics ont connu une massive défection, particulièrement concernant le transport terrestre où ils se trouvent frontalement concurrencé par l’auto. Le transport public, c’est la dépendance à l’horaire, aux arrêts, aux services que l’Etat veuille bien offrir. C’est aussi s’asseoir à côté « de l’autre », celui que l’on ne connait pas et qui vit peut-être d’autres réalités que soi-même. Ceux qui ont fait l’expérience du TGV avec un voisin « mp3 à fond les décibels » en savent quelque chose.
Retisser le lien social
C’est donc par un large détour philosophique qu’il faut comprendre les points de vue des uns et des autres. Une frange importante de la population regrette les temps anciens où sévissait l’esprit de groupe, tout particulièrement dans le monde du travail. Une époque où les déplacements lointains étaient rares et obligeaient les villageois ou les quartiers ouvriers à vivre ensemble, en tout temps et quoiqu’il arrive. C’était, dit-on, une époque de solidarité et d’entraide. Les progrès sociaux des Trente Glorieuses auront modifié la donne pour en arriver à l’état de notre société d’aujourd’hui : autonomie et mobilité individuelle, tant au travers du pétrole et de l’auto qu’au travers des nouvelles technologies de communication, et donc des savoirs. Cela a engendré la naissance d’un monde à la fois multiple et dual, avec des populations n’ayant pas le choix modal et devant s’entasser dans des villes denses promises à la promiscuité, et ceux qui ont le choix modal et peuvent jouir d’un environnement aéré et serein.
Cette mobilité de classe est bel et bien le souci numéro un du futur, de notre futur. Passera-t-on facilement de l’autonomie individuelle à une refondation de la communauté ? Telle est la question cruciale…
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