20 juillet 2022
Les experts de la mobilité Christophe Gay et Sylvie Landriève proposent, dans une tribune au « Monde », de réorganiser les territoires pour réduire les distances de déplacement liés au travail, aux loisirs, au commerce
Elisabeth Borne, Christophe Béchu et Agnès Pannier-Runacher, respectivement première ministre chargée de la planification écologique et énergétique, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et ministre de la transition énergétique, ont un chantier historique devant eux pour réduire les émissions de CO2 du pays.
Mais ce chantier ne peut aboutir que s’ils tirent les conséquences de ces dernières années marquées par les crises sociale « gilets jaunes », sanitaire avec le Covid-19, et écologique. Ces crises ont conforté et mis en lumière une aspiration à vivre autrement identifiée depuis longtemps : en 2016 déjà, huit Français sur dix déclaraient aspirer à ralentir au quotidien et à vivre en plus grande proximité (Enquête internationale sur les aspirations liées à la mobilité et aux modes de vie, Forum Vies Mobiles, 2016).
Un appel qui est aussi une opportunité pour réussir la transition écologique et sociale, les Français parcourant en moyenne 60 kilomètres par jour. Très peu d’entre eux peuvent réellement se passer de voiture. Cette dépendance a été renforcée depuis des décennies par un aménagement qui sépare et éloigne les lieux à rejoindre au quotidien avec les logements d’un côté, les zones industrielles ou de bureaux d’un autre et les centres commerciaux ailleurs encore. Les transports : 30 % des émissions nationales de CO2
Mais la moyenne masque de fortes inégalités : les temps de déplacement des Français varient dans une proportion de 1 à 30 et les distances qu’ils parcourent de 1 à 60. Ainsi, si 30 % des Français pratiquent déjà l’essentiel de leurs activités en proximité, ce n’est pas le cas des autres, en particulier de tous ceux dont le travail nécessite des déplacements au quotidien qu’ils soient conducteurs, livreurs, aides à domicile, artisans, ou agents d’entretien …
Sans compter que les Français ne disposent pas tous des mêmes ressources pour se déplacer en termes de revenus ou d’accès à une offre de transport collectif de qualité. Le secteur des transports représente plus de 30 % des émissions nationales de CO2. A elle seule, la voiture en est responsable de près de la moitié.
Pour parvenir à l’objectif affiché de neutralité carbone d’ici à 2050, les politiques menées à ce jour par le gouvernement ont misé essentiellement sur l’innovation technologique, avec le passage à l’électrique ou le développement de carburants décarbonés, et sur la lutte contre l’autosolisme, grâce au développement des transports collectifs ou du covoiturage. La recherche d’une alternative réelle à la voiture.
Mais ces politiques ne parviennent toujours pas à inverser la courbe des émissions liées au transport qui, en raison de l’augmentation globale du volume de déplacements, continuent inexorablement d’augmenter. Pourtant les Français, et tout particulièrement les jeunes, souhaitent relever le défi posé par la crise climatique.
Pour preuve, 91 % des Français souhaiteraient pouvoir réduire l’impact écologique de leurs déplacements quotidiens, et 51 % se donnent moins de cinq ans pour réussir à utiliser des moyens de déplacement moins polluants (Les déplacements des Français, Ipsos, 2022). L’enjeu réside donc dans la mise en œuvre de solutions nouvelles qui apportent une alternative réelle à la voiture. Pour accélérer la transition sociale et écologique des modes de vie et répondre aux aspirations des Français, on peut favoriser des modes de vie moins intenses en encourageant l’évitement de certains déplacements et en réduisant les distances à parcourir pour les activités les plus contraintes (travail, santé, courses, accompagnement).
A cette fin, il est donc nécessaire de réorganiser le territoire en concevant de nouveaux bassins de vie, grâce à la relocalisation des emplois, des services (alimentation, santé, loisirs…) et des équipements du quotidien autour des habitations. Outre le développement de nouveaux liens économiques et sociaux, ces nouveaux pôles de vie permettant d’accéder à l’essentiel des services de proximité dans un rayon de moins de quinze kilomètres sont propices à l’usage des mobilités actives et des transports collectifs.
Cela permettrait de réduire les dépenses liées aux déplacements quotidiens (carburant, entretien des véhicules, etc.), au bénéfice de la santé et du pouvoir d’achat des Français. Le désir d’une partie des Français à pouvoir vivre hors des grandes villes devrait mettre un terme aux politiques de « course à la taille » que se livrent les plus grandes des métropoles et à l’hyper-concentration qui en résulte.
Cette aspiration, réactualisée par la crise sanitaire du Covid-19, est une opportunité pour réaménager le territoire national et accélérer ainsi la transition écologique. Cependant, comme c’est hors des grandes villes que la dépendance à la voiture est la plus forte, il est nécessaire de planifier et de réaliser sans attendre un système complet alternatif à la voiture individuelle à l’échelle nationale, bien au-delà des zones urbaines.
Pour des raisons d’économie comme de praticité, cela pourrait passer par la socialisation de l’usage de la route en consacrant une partie de l’important réseau existant aux modes actifs (vélo, marche) et à la mise en place d’un nouveau système cadencé de transports collectifs connectant au sein d’un même réseau aires urbaines et zones peu denses (Stratégie nationale pour sortir du tout-voiture, Pierre Helwig, Forum Vies Mobiles, 2022).
Un tel projet irait dans le sens d’une meilleure qualité de vie dans les territoires, améliorerait leur tissu économique et leur résilience, et serait enfin à la hauteur des enjeux écologiques et sociaux qu’il nous faut aborder sans plus tarder. Un projet susceptible de créer les conditions d’une dynamique politique transpartisane au sein de la nouvelle Assemblée nationale.
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