27 janvier 2023
La concentration des habitants et des activités sur des espaces très limités alors que de vastes zones du pays restent délaissées ne peut plus tenir lieu de politique d’aménagement, expliquent les experts Christophe Gay et Sylvie Landriève dans une tribune au « Monde ».
La logique qui guide l’action publique dans les territoires voudrait qu’il faut bouger toujours plus et toujours plus vite, afin de pouvoir rejoindre les territoires les plus attractifs sur les plans économique, culturel et touristique.
Or, les politiques favorables à la mobilité rapide (voiture, TGV, avion) ont exacerbé la concurrence et les inégalités entre les territoires. Au niveau local, les inégalités entre des centres-villes dévitalisés et leur périphérie organisée autour de la route (lotissements dortoirs, centres commerciaux, entrepôts et zones d’activité). Au niveau régional, les inégalités entre des métropoles choyées et des territoires désertés ou patrimonialisés. Au niveau national, les inégalités entre des terres d’emploi attractives (Ile-de-France, Alsace, sillon rhodanien) ou des territoires de villégiature (littoraux atlantique et méditerranéen) et des territoires désindustrialisés (Hauts-de-France, Grand-Est).
Au regard des enjeux écologiques, le délaissement de pans entiers du territoire national au profit de la concentration des habitants et des activités sur des espaces très limités ne peut plus tenir lieu de politique d’aménagement.
On continue de vouloir décarboner les transports (30 % des émissions de CO2 françaises) en misant encore et toujours sur la voiture (80 % des déplacements en zone rurale ; entre 60 % et 70 % dans les agglomérations), verdie par son passage à l’électrique. Sans remettre en cause la croissance continue des kilomètres parcourus ! Pire : la crise énergétique a conduit le gouvernement à subventionner les carburants fossiles (déjà près de 9 milliards d’euros). Sans changement de cadre de pensée, les efforts pourtant réels des politiques en faveur d’alternatives seront voués à l’échec.
Si les derniers programmes de l’Etat ciblent bien les villes petites et moyennes et les espaces périurbains, cette politique pointilliste ne dit rien de l’avenir que le pouvoir réserve à ces territoires, ni comment il prend en compte les mouvements résidentiels, quand il ne les ignore pas carrément… Par exemple, le Grand Paris Express mise sur 2 millions d’habitants supplémentaires, malgré le souhait de près d’un Francilien sur deux de quitter la région !
La « ruée vers l’ouest », désormais combinée à l’héliotropisme, risque d’amplifier encore les inégalités socioterritoriales. L’augmentation du coût de la vie et de l’immobilier éloigne les classes populaires et moyennes des territoires dotés d’emplois tertiaires et de services, ce qui contribue à augmenter leurs temps de déplacement. Le sentiment d’abandon des habitants qui ont choisi de rester en zone rurale ou dans des petites villes trouve sa source dans la difficulté à accéder aux services essentiels, et plus généralement à l’absence d’un discours porteur d’avenir, loin de la simple redistribution des subventions. Ce mépris pour les habitants des territoires délaissés et pour les natifs des territoires attractifs qui ne peuvent plus se loger nourrit le ressentiment des citoyens, d’élection en élection et de mouvement social en révolte de « gilets jaunes ».
Face au bouleversement des modes de vie qu’impliquent la crise et la transition écologiques, les aspirations des citoyens et la résilience des territoires devraient être au cœur des politiques de mobilité et d’aménagement. Les gens désirent ralentir leur rythme de vie, vivre au quotidien en plus grande proximité, accéder aisément au plein air, quel que soit le cadre de vie qu’ils ont choisi : villes petites et moyennes, territoires ruraux, périphérie des villes…
Ces aspirations ne peuvent être satisfaites que par l’amélioration de la résilience des « territoires du quotidien ». Penser cette résilience, ce n’est pas maintenir le système existant en limitant la casse, comme on le voit dans de trop nombreux projets d’urbanisme, mais anticiper l’impact sur les bassins de vie et les réseaux d’un monde qui sera bientôt à 3 °C de plus. C’est changer de système de mobilité de façon à pouvoir vivre dans des espaces plus autonomes en matière d’approvisionnement alimentaire et énergétique, et où les flux de personnes, d’énergie et de marchandises seront moins importants. C’est aussi penser de nouveaux mouvements résidentiels, vers le nord, pour échapper aux températures élevées, et vers les espaces moins denses, loin des îlots de chaleur urbains.
Ralentir les rythmes de vie, déconcentrer les activités et les services, favoriser une vie quotidienne de proximité sont trois leviers puissants pour engager la transition des territoires. Mais cela implique une mise à jour complète des logiques d’aménagement du territoire et de développement des infrastructures de transport, encore fondées sur le paradigme de la vitesse.
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