Combien coûte le système voiture en France ?

Un panorama complet et inédit du coût du système voiture

Cette nouvelle étude du Forum Vies Mobiles, think tank expert de la mobilité, analyse le coût global du système voiture en France, sur la base des chiffres les plus récents portant sur l’année 2023. Ce travail, réalisé avec le Laboratoire Economie Aménagement Transport (LAET) de Lyon, prend en compte non seulement les dépenses directes des usagers (ménages, entreprises, administrations), mais aussi les coûts supportés par la puissance publique et la société, incluant les externalités négatives telles que la pollution de l’air, le CO2 ou les accidents. L’objectif est d’identifier les différents postes de dépense liés à la voiture et de les quantifier, afin de proposer un panorama complet et inédit des coûts associés à l’automobile.

À l’heure où la conférence de financement des transports entre dans une dernière ligne droite qui ressemble fort à une impasse, tant elle essaie de trouver un modèle de financement à un système de mobilité obsolète, cette étude vient opportunément clarifier le coût du système voiture en place et montre l’intérêt qu’il y aurait à sa reprise en mains tant pour des raisons budgétaires, écologiques que sociales.

Ce travail a été réalisé avec Florent Laroche, économiste des transports au LAET, grâce à une actualisation des chiffres de l’étude de référence du Commissariat général au développement durable (CGDD), datant de 2020 mais portant sur les chiffres de 2015, et à une redéfinition du périmètre concerné. Il a pour originalité d’isoler précisément – et pour la première fois – les coûts liés à l’utilisation de la voiture particulière, en les distinguant des autres coûts de la route pour les transports collectifs ou encore les véhicules utilitaires.

L’objectif de ce travail est double : mettre à jour les chiffres de référence du CGDD à partir des données 2023 et élargir le regard sur le coût réel du « système voiture », en incluant des postes souvent invisibilisés.

1. Des coûts en hausse à périmètre d’évaluation équivalent

Le CGDD estimait le coût du « système voiture » en 2015 à 190 milliards d’euros .

En 2023, sur le même périmètre , l’actualisation des chiffres fait apparaître une dépense de 230 milliards d’euros , soit une hausse de 19%. C’est un peu plus que l’inflation sur la période (environ 17,5%).

Même si le marché automobile a ralenti sur la période , les coûts d’usage augmentent , portés par l’entretien, les carburants et les externalités.

Évolution des coûts du système voiture entre 2015 et 2023, à périmètre constant

• Dépenses pour les routes non concédées

Entre 2015 et 2023, les coûts en capital ont légèrement baissé sur l’ensemble des réseaux nationaux et locaux. En revanche, les coûts d’exploitation ont suivi deux trajectoires différentes : ils ont augmenté sur le réseau national passant de 0,7 Md€ à 1,1 Md€ et baissé sur le réseau local, passant de 9,5 Mds€ à 9,1 Mds€.

• Coût d’achat

En 2015, le coût total TTC des achats de voitures était de 38,8 Mds€ (CGDD), auquel s’ajoute 6,8 Mds€ de coût d’immobilisation du capital , pour un total de 45,6 Mds€ . En 2023, malgré une baisse des achats à 35,3 Mds€, on conserve le même coût d’immobilisation, portant le total à 42,1 Mds€ .

• Entretien et assurance

Globalement, les coûts d’usage augmentent , contrairement à ceux liés à l’achat. En effet, en 2023, les dépenses d’entretien augmentent, en raison du vieillissement du parc et d’un ralentissement des vente s. Les assurances progressent de +33% , deux fois plus vite que l’inflation.

• Carburants

La dépense en carburant (tous types) était estimée à 34,5 Mds€ en 2015. Elle grimpe à 55,2 Mds€ en 2023, malgré une baisse du trafic routier et une diversification des motorisations , du fait de l’inflation pétrolière .

• Stationnement public hors domicile

En 2015, le coût du stationnement payant hors domicile était estimé à 6,7 Mds€ , sur la base d’un coût par kilomètre en zone urbaine/périurbaine. En 2023, avec une inflation de 17,5% , ce coût est actualisé à 7,8 Mds€ .

• Externalités

Parmi les externalités négatives comptabilisées (CO2, pollution locale, bruit, insécurité) , l’insécurité est la plus coûteuse en 2015 comme en 2023. En revanche, en 2023, après actualisation du taux de remplissage , de la valeur carbone (+208%) et prise en compte des motorisations alternatives , le CO2 devient la 2e externalité la plus lourde , après l’insécurité.

Notre étude souligne notamment l’importance de mettre à jour régulièrement les méthodes d’évaluation , notamment pour refléter les changements technologiques et économiques (motorisations, prix du carbone, etc.).

2. Un coût global significativement sous-évalué

La vraie différence entre 2015 et 2023 se trouve dans le travail de définition du périmètre du chiffrage. Une approche plus complète , adoptée par le Forum Vies Mobiles, qui intègre des dimensions jusqu’ici invisibles ou mal chiffrées révèle un coût global réévalué à près de 305 milliards d’euros en 2023, soit 75 milliards d’euros de plus que l’estimation selon le périmètre initial proposé par le CGDD pour 2015. Ainsi, pour fonctionner, le système voiture coûte environ 836 millions d’euros par jour à l’ensemble des acteurs qui le financent.

Ont été identifiés et intégrés des postes de coûts qui n’étaient pas identifiés jusque-là :

• La congestion routière : 29 Mds€ / an (montant estimé à partir du Handbook de la Commission européenne, 2019)
• Le stationnement à domicile : 28,5 Mds€ / an

Mais aussi :

• L’ensemble des aides publiques à l’automobile (du bonus écologique au chèque carburant en passant par le barème kilométrique) : 5,7 Mds€ / an
• Les investissements hors routes concédées : 5,5 Mds€ / an. Ont également été ajoutés par rapport au périmètre du CGDD, les investissements publics réalisés en 2023 dans les routes nationales et locales. Les données sont issues du Bilan annuel des transports (SDES, 2024).
• La dégradation des écosystèmes : 3,9 Mds€ / an (montant estimé à partir du Handbook de la Commission européenne, 2019)
• La gestion des parkings publics hors voierie : 2,3 Mds€ / an ¹
• Les coûts liés aux permis de conduire : 2 Mds€ / an

Ce montant de 305 milliards d’euros par an reste conservatoire, certainement sous-évalué, car, malgré la précision dont nous avons fait preuve dans cette étude, de nombreux coûts pour la société restent difficile à chiffrer précisément et lorsqu’il y avait un doute nous avons pris le parti de rester sur les estimations basses.

À titre d’exemple, notre estimation du coût du bruit sur la santé des Français est très largement inférieure à celle de l’ADEME dans son rapport de 2021 ² : 3,8 milliards d’euros par an chez nous contre plusieurs dizaines de milliards du côté de l’ADEME.

Notons enfin que le périmètre des externalités mériterait également d’être élargi pour prendre en compte, par exemple, les coûts sanitaires liés à sédentarité ou encore au stress causé par le système voiture.

3. Cessons de séparer les coûts du système voiture supportés par les acteurs

Sur les 305 milliards d’euros que coûte le système voiture chaque année, les usagers sont les principaux financeurs du système avec 210 milliards de dépenses annuelles soit près de 70% du coût total du système. L’État et les collectivités ne supportent, elles, qu’un peu moins de 10% du coût annuel, soit 26 milliards d’euros. Enfin, la société dans son ensemble supporte un coût qui n’est pas du tout marginal : 69 milliards par an de pertes en insécurité, pollution, émissions de CO2… soit plus de 20% du total en 2023.

Pour prendre des décisions éclairées pour la société, il est indispensable de regarder tous ces coûts ensemble, au risque sinon de n’avoir qu’une vision très partielle de la réalité.

4. Quel est le coût par véhicule en France ?

En 2023, on compte en France officiellement 35,7 millions de véhicules en circulation. Chaque voiture coûte ainsi en moyenne 5 900 euros à son propriétaire. À l’échelle des ménages, qui possèdent en moyenne 1,5 véhicule en France, c’est une dépense de 8 850 euros par an.

Pour l’État et les collectivités, chaque voiture qui roule en France coûte 730 euros par an. Les impacts négatifs du système voiture supportés par la société en général (bruit, pollution, accidents …), représentent une perte d’environ 1 900 euros par an et par voiture.

Au total, le coût du système voiture dans son ensemble, est de 8 530 euros par véhicule chaque année.

5. Écologie et aides d’État au système voiture : zoom sur des contradictions intenables

Le financement public du « système voiture » par l’État et les collectivités ne se résume pas aux infrastructures et à leur exploitation.

Il existe tout un ensemble de mesures en faveur de l’automobile qui constituent soit une dépense, soit un manque à gagner pour l’État. Ces politiques sont nombreuses et se caractérisent par leur grande instabilité selon les choix politiques du moment.

L’année 2023 peut être considérée comme un cas d’école des contradictions auxquelles l’État doit faire face. Elle se trouve en effet à la croisée de deux grandes politiques, à savoir, le soutien à la transition écologique et le bouclier face aux tensions sur les marchés énergétiques à la suite de la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, ce sont 7 grandes politiques de l’État qui ont été identifiées et prises en compte. À noter : les nombreuses initiatives menées par les collectivités locales (stationnement gratuit, prime à la conversion, aide l’installation de bornes de recharges…) n’ont pas été répertoriées ici et viendraient augmenter encore le coût global du système voiture.

On retient 5 mesures dites en faveur de la transition écologique (électrification ou réduction du parc auto) et 2 mesures non-écologiques (soutenant l’utilisation de la voiture à essence). Mais le montant de ces deux dernières était plus important que les cinq autres en 2023.

Parmi les mesures non-écologiques, le chèque carburant était un soutien assumé face à la flambée des prix énergétiques. Il a été proposé aux ménages les plus modestes pour faire face à l’inflation portant sur les carburants. Le montant estimé en 2023 serait de 430 millions d’euros ³. C’est près de 15 fois moins qu’en 2022 ⁴. Le barème kilométrique a fait pour sa part l’objet d’une évaluation par la Cour des Comptes (2025) ⁵ avec une perte pour l’État en matière de collecte de l’impôt estimée à 3,1 milliard d’euros.

6. Le coût monumental du stationnement à domicile

L’étude du CGDD (2020) propose une évaluation du coût du stationnement public pour les usagers de la voiture mais n’étudie pas le coût du stationnement à domicile. Pourtant, la présence d’une place de parking ou d’un garage lors de la location ou de l’achat d’un logement justifie souvent un prix plus élevé, révélant une immobilisation d’actif invisibilisée dans la comptabilité habituelle et pourtant importante pour les usagers. Par ailleurs, l’espace mis à disposition du stationnement dans les plans d’aménagement des ensembles collectifs ou individuels induit une consommation de foncier supplémentaire à défaut d’une autre utilisation, générant également un coût.

On obtient un coût annuel de 28,5 milliards d’euros pour le stationnement à domicile d’un véhicule. Soit près de 10% du coût du système. Ce coût est à prendre avec prudence de par son caractère exploratoire et son poids dans la structure de coût global du « système voiture ». Pour autant, son ordre de grandeur est très certainement proche de ce que peut représenter le capital immobilisé dans les solutions de stationnement à domicile en France.

7. L’installation des bornes de recharge électrique : de nouveaux coûts à prendre en compte

En 2023, on dénombre l’installation de 94 529 nouvelles bornes au domicile des particuliers pour un coût (achat et installation) d’environ 1 500 euros. On obtient donc une dépense de 141 millions d’euros en 2023 pour les ménages.

Du côté de l’État, le total des aides en 2023 serait d’environ 300 millions d’euros à destination de l’installation de bornes de recharge à travers un crédit d’impôts à destination des nouvelles installations, un taux de TVA réduit à 5,5% et le programme Advenir qui aide les entreprises et les copropriétés à s’équiper.

Au total, c’est environ 341 millions d’euros dépensés en 2023 pour équiper les foyers et les entreprises en bornes de recharge.

Conclusion

En révélant ce chiffrage revu nettement à la hausse du coût du système voiture en France, le Forum Vies Mobiles appelle à un débat démocratique élargi et éclairé sur les choix de mobilité et les priorités d’investissement.

Quand on sait que le système voiture coûte plus de 300 milliards d’euros chaque année à la société française dans son ensemble, soit plus de 10% du PIB national, on ne peut que considérer qu’il y aurait un avantage à le reprendre en mains.

Le Forum Vies Mobiles montrera dans une étude à paraître en septembre 2025 qu’un autre système de mobilité, plus inclusif et plus écologique, est possible et qu’il serait nettement moins couteux que le système actuel.  

Objectifs et méthode de l’étude

Ce rapport s’inscrit dans le projet du Forum Vies Mobiles visant à explorer la possibilité d’un système de mobilité alternatif à la voiture individuelle. Il cherche à estimer le coût total du "système voiture" en France pour différents acteurs : usagers (ménages, entreprises, administrations), entreprises du secteur automobile, pouvoirs publics et société (via les externalités).

L’étude vise à quantifier le coût global de la voiture pour le comparer à celui d’un système de transport alternatif. Elle repose sur une méthode en trois étapes :

1. Identification des postes de dépenses,
2. Définition de deux périmètres d’analyse (restreint selon le CGDD 2020 sur la base des données de 2015, et élargi selon le Forum Vies Mobiles),
3. Quantification des coûts pour 2015 et actualisation pour 2023.

La source principale pour 2015 est l’étude du CGDD de 2020. Les chiffres ont été complétés et mise à jour pour 2023 à l’aide de données officielles (SDES, INSEE, rapports publics). Les dépenses sont ventilées par type de véhicule, usage (fonction/service inclus), et motorisation (essence, diesel, électrique...).

Les principes de calcul restent fidèles à ceux de 2015, en actualisant les données disponibles ou, à défaut, en appliquant des coefficients d’inflation. Lorsque nécessaire, des substitutions de sources ont été utilisées. L’étude 2023 repose essentiellement sur le bilan annuel des transports du SDES (2024), complété par d’autres sources institutionnelles.

L’analyse quantitative reprend les méthodes du CGDD pour évaluer les coûts d’entretien, d’exploitation et de capital, aussi bien pour les routes non concédées que concédées. Pour ces dernières, faute de données directes, les coûts 2023 sont estimés via le chiffre d’affaires des sociétés d’autoroutes. Les résultats montrent une augmentation significative des coûts, reflétant à la fois les évolutions de trafic et les ajustements économiques intervenus entre 2015 et 2023.

Côté contexte, le trafic routier total a diminué de 3,2 % entre 2015 et 2023, les véhicules particuliers seulement de 1,2 %, avec une évolution notable vers les motorisations hybrides et électriques. La période est marquée par des événements impactants comme la crise sanitaire et la hausse des prix de l’énergie.

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