21 février 2020
En réponse à une proposition de Terra Nova, qui a ouvert ses pages aux candidats en lice pour la mairie de Paris, le Forum Vies Mobiles a analysé sous l’angle de la mobilité les programmes présentés. La première réaction concerne le programme de la candidate de la République en Marche.
Le Forum Vies Mobiles 1 est un institut de recherche qui prépare la transition vers des modes de vie désirés et soutenables, dont les travaux portent sur la mobilité des personnes. C’est donc par ce prisme que nous avons analysé ce programme 2. Celui-ci affiche une considération centrale pour les enjeux environnementaux liés à la métropolisation. Il souligne que « les grandes villes du monde sont responsables d’environ 70 % des émissions globales de CO2 » et dresse ainsi un portrait du territoire parisien bien éloigné de l’image d’une métropole dense aux vertus « écologiques ». Le Forum Vies Mobiles partage le constat que les caractéristiques urbaines de Paris – et plus largement de l’Île-de-France – sont la source d’externalités négatives au plan écologique et social, et particulièrement en lien avec les déplacements, qu’il s’agit de prendre au sérieux. En plus des chiffres alarmants que le rapport cite (6 000 morts prématurées par an à cause de la pollution), les effets en termes d’émissions de CO2, de bien-être, de cadre de vie et d’inégalités sont probants – 42 % des habitants de Paris souhaiteraient habiter dans une autre ville 3, en raison du stress, du coût de la vie et de la pollution – sans compter le grand nombre d’habitants des petites et grandes couronnes exclus du marché de l’immobilier parisien. Paris est attractive, mais à quel prix ?
Si le diagnostic établi par l’équipe LREM est lucide et souligne bien l’urgence climatique, les solutions proposées ne nous semblent pas à la hauteur des enjeux soulevés. Pour le Forum Vies Mobiles, il y a au moins quatre points sur lesquels ce programme pourrait être plus ambitieux.
Le premier est celui de l’échelle de l’action politique. Si la nécessité de penser les enjeux de densité, de pollution et de gouvernance à une échelle plus importante que celle de Paris est bien soulignée dans le constat initial, rien n’est proposé dans ce sens. Le document souligne que Paris génère des mobilités polluantes à l’échelle régionale (liées aux emplois en particulier) : il s’agit d’aller plus loin en positionnant la ville à l’échelle nationale (déséquilibres territoriaux, concentration des ressources) et internationale (tourisme de masse, voyages d’affaires). Comme de nombreuses grandes villes européennes, Paris occupe une place centrale dans le phénomène de tourisme de masse auquel fait face la région. Cette question n’est pas traitée, alors que des mesures visant à limiter le volume et l’impact carbone des déplacements générés par l’attractivité touristique de Paris et des grands événements (Jeux Olympiques par exemple) pourraient renforcer le programme du candidat, pour être à la hauteur de ses ambitions fortes en matière écologique. La ville de Paris pourrait par exemple se positionner contre l’agrandissement des aéroports franciliens et pour la suppression des vols nationaux substituables par le train, voire mener une politique incitative en faveur d’un tourisme durable à l’échelle européenne privilégiant le train. De plus, la gouvernance de la mégalopole parisienne est aujourd’hui au point mort, alors même qu’elle est rendue indispensable par la nécessité de mieux répartir les ressources et en particulier les emplois à l’échelle de ce territoire. La proposition de créer un « Conseil parisien de l’urgence climatique » semble à ce titre insuffisante : seule une « Assemblée citoyenne métropolitaine », visant à créer un dialogue entre les habitants qui vivent concrètement le territoire à une échelle cohérente, serait utile et efficace pour penser les questions environnementales. Si de telles propositions dépassent le seul cadre de la municipalité, viser explicitement la collaboration avec les pouvoirs publics à différentes échelles territoriales (Etat, région, départements, intercommunalités…) est incontournable. Paris doit jouer un rôle moteur dans cette coopération.
L’enjeu de la réduction du volume des déplacements carbonés est le grand absent de ce programme. Les questions liées à la mobilité n’y sont considérées qu’à travers la promotion des modes alternatifs à la voiture individuelle et la conversion des véhicules vers l’électrique. Les recherches du Forum Vies Mobiles montrent que ces actions sont largement insuffisantes pour contenir les externalités négatives liées aux transports 4 En effet, du fait de l’augmentation des déplacements, l’impact des politiques publiques menées depuis des années en faveur de l’amélioration de la performance des véhicules et du report modal vers des modes décarbonés est dérisoire. Le seul moyen de répondre à l’urgence climatique et sociale est de promouvoir une réduction des déplacements. L’équipe LREM propose d’allouer davantage d’espace aux transports collectifs, sans pour autant réduire l’espace dédié à la voiture. Pourtant, cette réduction ainsi que l’abaissement des vitesses de circulation paraissent incontournables si l’on prétend prendre au sérieux les aspirations des habitants à circuler avec d’autres modes dans un espace public apaisé ne nuisant pas à leur santé. La promotion de l’évitement des déplacements carbonés, à toutes les échelles, pourrait être intégrée à l’agenda politique du prochain mandat. Cela pourrait passer dans un premier temps par des restrictions ponctuelles et ciblées de la circulation motorisée (le week-end, aux abords des écoles…). Plus largement, le développement de l’espace dédié aux modes actifs, l’aménagement d’espaces de télétravail publics à l’échelle du Grand Paris voire de l’Île-de-France semblent indispensables. A plus long terme, la répartition équilibrée des emplois et des logements doit devenir une priorité. Pour agir efficacement sur la réduction des mobilités carbonées, on le voit, il est nécessaire de penser les politiques publiques de manière transversale et de les évaluer systématiquement à l’aune de leurs effets réels en matière de déplacements et d’objectifs climatiques.
Le troisième point qui nous semble pouvoir être discuté est celui du niveau sur lequel agir pour changer les comportements des Parisiens. Les pratiques individuelles sont en effet contraintes par les conditions matérielles et sociales. Nous pensons qu’il faut s’abord s’attacher à mettre en œuvre les conditions qui permettent la transformation des modes de vie, plutôt que de formuler des incitations ciblées sur les individus. Si ce texte exprime la préoccupation à ne pas opposer la question environnementale et la question sociale, peu de mesures concrétisent réellement cette intention. De nombreux leviers de changements identifiés par l’équipe reposent sur les initiatives individuelles : or, formuler des attentes vis-à-vis des habitants les place de fait en situation d’inégalité vis-à-vis des comportements désignés comme vertueux, qui sont plus ou moins faciles à adopter selon la situation socio-économique de chacun. Si la proposition du candidat LREM de mettre en place des aides concrètes à la conversion des deux-roues motorisés et des véhicules utilitaires va dans le bon sens, il est indispensable de les réserver aux ménages les plus modestes et aux petites entreprises, pour accéder à des véhicules plus légers. Ici encore, l’échelle parisienne montre toutes ses limites, puisque cette question ne peut être traitée sérieusement qu’à une échelle métropolitaine voire régionale.
Il est notamment indispensable d’engager les employeurs (entreprises et administrations), pour mobiliser le levier puissant que représente l’organisation du travail (désynchronisation, flexibilité des horaires, télétravail…) et le développement d’équipements dédiés aux mobilités actives (parkings à vélo, vestiaires…) pour mettre en place les conditions dans lesquelles peuvent réellement se déployer des changements de comportements. Nous attirons l’attention sur le fait que les incitations de principe vis-à-vis des employeurs, telles qu’elles sont formulées dans ce programme, seront sans effet si elles ne s’accompagnent pas d’un suivi cohérent, de contraintes réglementaires et/ou d’aides financières. L’échec des Plans de Déplacements d’Entreprises (PDE), mis en œuvre dans une minorité d’entreprises , restent globalement sans effet et illustrent l’inefficacité des démarches incitatives.
Enfin, le quatrième point qui nous semble être insuffisamment développé dans ce programme est celui de la résilience du territoire parisien. Si ce sujet est à très juste titre pris en compte dans le diagnostic de l’équipe du candidat, l’unique proposition s’y référant est à ce stade d’instaurer des « rues-jardin » pour lutter contre les îlots de chaleur. A nouveau, cette dernière est loin d’être à la hauteur de l’enjeu. Pour le Forum Vies Mobiles, penser la résilience du territoire consiste à tendre vers plus d’autonomie alimentaire, énergétique et « mobilitaire » à une échelle biorégionale . La proposition du programme de soutenir massivement l’agriculture locale va à ce titre dans le bon sens. Il serait intéressant de laisser des espaces concrets (friches, bâtiments) aux citoyens pour mettre en œuvre des formes de vie plus en proximité, tournées vers la production alimentaire et artisanale. Mais plus encore, la résilience passe d’abord par la maîtrise (à la baisse) de la concentration de la population et des activités dans le centre de la mégalopole, et plus largement dans le territoire du Grand Paris.
Le diagnostic établi pour introduire le programme de La République en Marche est incontestable et clairvoyant. Mais sa justesse fait apparaître d’autant plus cruellement l’insuffisance des solutions proposées pour faire face aux enjeux soulevés. Il est bien précisé que ce document n’a pas vocation à être exhaustif : alors peut-être est-il encore temps d’aller plus loin pour repenser le rapport au territoire et véritablement « répondre à l’urgence climatique et environnementale » à l’échelle de la mégalopole parisienne.
1 http://fr.forumviesmobiles.org/page/presentation-lassociation
2 Nous ne prenons donc pas position sur les autres thématiques développées (alimentation, habitat), ni sur le transport de marchandises.
3 Enquête sur l’aspiration à quitter l’Île-de-France, Forum Vies Mobiles, Obsoco
4 Mobilités décarbonées, une transition mal engagée, Forum Vies Mobiles
Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
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