6 juillet 2020
Alors que les écologistes ont enregistré des scores historiques lors du second tour des élections municipales de juin, la marche à pied va être un chantier important dans les prochains mois pour beaucoup de collectivités françaises dont les nouveaux élus ont fait campagne sur le sujet. Dans ce contexte, le Forum Vies Mobiles alerte sur la nécessité de ne pas s’arrêter à la pietonnisation des centres-villes pour faire de la marche un mode de déplacement à part entière. Il faut penser des continuités piétonnes à l’échelle des villes, des agglomérations et des métropoles. Le cas de la piétonnisation du centre de Bruxelles, qui a fait l’objet d’une recherche, est riche en enseignements.
Paris, Nancy, Villeurbanne : la piétonnisation des centres villes est au cœur des promesses de campagne des candidats aux élections municipales. Avant le premier tour, les programmes parlaient déjà de « rendre la rue aux piétons », « faire respirer » la ville et la rendre « plus écologique » en réduisant les nuisances liées à la voiture et en favorisant la marche à pied. Depuis, le confinement a permis d’expérimenter ce programme en grandeur nature avec une baisse drastique de la circulation motorisée et l’apparition de pratiques nouvelles dans l’espace public : faire du sport au milieu de la rue, laisser les enfants jouer sur une place, profiter d’une terrasse ou d’une fenêtre ouverte sans souffrir de la pollution ou de nuisances sonores…
Mais pour autant la piétonisation est-elle vraiment une mesure à la hauteur des enjeux écologique, ou s’agit-il d’abord de renforcer l’attractivité et l’image des centres villes ? À la veille du second tour des élections municipales françaises et alors que de nombreuses villes ont décidé de donner plus de place aux piétons dans le cadre du déconfinement, le cas de la piétonnisation du centre de Bruxelles, qui a fait l’objet d’une recherche et où la piétonnisation du boulevard Anspach entre 2015 et 2020 a fait du centre-ville le plus grand piétonnier d’Europe, est riche en enseignements.
Fermer un centre-ville à la voiture : une mesure drastique qui permet aux piétons de reconquérir un espace apaisé, libéré des nuisances sonores et visuelles et de la pollution liées à l’automobile. À Bruxelles, habitants, travailleurs et usagers du « Piétonnier » apprécient de pouvoir déambuler sur le boulevard Anspach, s’asseoir en terrasse ou encore assister à un spectacle de rue.
Pour autant, à qui profite vraiment la piétonnisation ? Bruxelles, capitale européenne, doit présenter un centre-ville apaisé et attractif aux visiteurs, qu’ils viennent y faire leur shopping, visiter le futur « temple de la bière » qui ouvrira dans le bâtiment de la Bourse ou encore séjourner dans un hôtel luxueux du centre-ville. Cette logique d’attractivité s’accompagne d’une absence de remise en cause de la voiture au-delà de l’espace circonscrit du centre. En effet, depuis 2015 les voitures n’ont pas disparu du centre-ville de Bruxelles : elles se sont en grande partie reportées sur les rues alentour, plus étroites et moins adaptées à un trafic dense. On ne propose pas un système alternatif à la voiture, on se contente de l’invisibiliser des espaces que l’on veut attractifs, et ce sont les espaces environnants qui en pâtissent. La piétonnisation aurait pourtant pu être l’occasion de raccorder le projet de la Ville de Bruxelles aux plans de mobilité et de développement durable portés à plus large échelle par la Région de Bruxelles-Capitale, et permettre ainsi une vraie remise en cause de la place de la voiture à l’échelle métropolitaine. Les chercheurs ont bien identifié ce phénomène : dans les grandes villes européennes, on piétonnise le centre-ville pour redorer son image et attirer des visiteurs. Il faut donc bien que ces derniers puissent le rejoindre facilement ! La piétonnisation va donc de pair avec des axes routiers performants et l’aménagement de parkings à proximité du centre-ville, sans parler des aéroports permettant aux visiteurs étrangers de rejoindre le territoire. Ainsi, piétonnisation et amélioration de l’accessibilité sont les deux faces d’une même pièce : la quête d’attractivité. Écologique, une piétonnisation qui favorise la voiture et le développement du tourisme, l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effets de serre ?
Attention aux amalgames : piétonniser, ce n’est pas faire une politique de mobilité piétonne ! C’est davantage la chalandise et la flânerie qui sont visées, qu’il faut distinguer de la marche comme mode de déplacement à part entière. De fait, malgré les nombreuses piétonnisations menées depuis les années 1970 dans différentes villes comme Rouen ou Grenoble, les enquêtes ménages déplacements ont montré la stagnation voire la baisse de la part modale de la marche dans les déplacements de leurs habitants.
Pourtant, un projet de piétonnisation pourrait être une excellente occasion de renforcer la marchabilité à l’échelle de la ville à condition de changer d’ambition ! Certaines villes, comme Paris, ont fermé quelques rues ou élargi les trottoirs pour répondre aux enjeux de déplacement et de distanciation sociale lors du déconfinement. C’est un bon début, mais il faudrait aller plus loin et sortir d’une approche de la marche seulement pratiquée dans des archipels d’îlots piétonnisés sans lien les uns avec les autres pour assurer des continuités piétonnes à plus large échelle. Pour cela, il faudrait, en ville comme dans le périurbain et le rural, identifier un réseau cohérent de rues secondaires pouvant être fermées à la circulation motorisée, afin de favoriser les circulations lentes comme la marche en permettant tout de même l’accès dérogatoire à certains véhicules motorisés indispensables (livraisons, pompiers, etc.).
Nous plaidons pour que ces élections municipales soient la première étape vers la mise en place d’un plan marche national, qui serait appliqué à l’échelle des villes ou des métropoles. Ce plan devrait être pensé en concertation avec les citoyens et les associations et tiendrait compte de tous les publics, notamment les enfants, les personnes âgées ou handicapées. Il s’appuierait sur des mesures visant à faciliter et sécuriser, de jour comme de nuit, les traversées, les franchissements, notamment les carrefours à feux, souvent anxiogènes pour les piétons. Pour encourager les personnes à opter pour la marche, il faut également communiquer efficacement sur les circuits qui peuvent être empruntés et les temps piétons, et animer ces parcours (bancs, arbres, aire de repos…) pour les rendre attractifs. Un des enjeux-clés restant la valorisation de la marche comme un mode de déplacement à part entière, qui permet de lutter contre la sédentarité (source de problèmes cardiaques et d’Alzheimer), favorise l’autonomie des jeunes et des personnes âgées et restreint la place de la voiture.
Il est urgent de sortir du modèle centre-périphérie dominant, qui implique un centre-ville attractif et apaisé, lieu de destination accessible en voiture par des infrastructures rapides. Un autre modèle est possible, plus polycentrique, où la lenteur n’est plus l’apanage du centre piéton, où vitesse et voiture ne sont plus indispensables, où de nouveaux modes de vie plus en proximité peuvent se déployer dans tous les territoires, des modes de vie dans lesquels la marche et les modes doux auraient toute leur place.
À l’heure où les émissions de gaz à effet de serre liées au transport continuent d’augmenter et où la lutte effective contre le changement climatique est toujours repoussée, il est temps que les villes ne se contentent pas de brandir des revendications d’écologie en piétonnisant leur centre, mais participent effectivement à cette lutte en repensant en profondeur leur modèle territorial et en faisant – enfin – rentrer la marche dans le champ des politiques publiques de mobilité.
Christophe Gay, co-directeur du Forum Vies Mobiles
Sylvie Landriève, co-directeur du Forum Vies Mobiles
Anne Fuzier, chef de projet au Forum Vies Mobiles
Les mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
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