À Nairobi, au Kenya, une association se mobilise pour lutter contre les agressions sexuelles que subissent les femmes dans les matatus, ces milliers de minibus informels qui constituent le principal moyen de transport collectif dans la ville. Leur objectif : intégrer la question des inégalités de genre dans les politiques de transport et la formation des professionnels du secteur, afin de lutter contre les freins à la mobilité et à l’émancipation des femmes. Avec quel succès ?
La Flone Initiative est une association dont l’objet est de lutter contre les agressions sexistes et sexuelles envers les femmes dans les matatus, ces milliers de minibus informels qui constituent le principal moyen de transport collectif à Nairobi, au Kenya. L’objectif de l’étude est de documenter cette initiative concrète à travers ses positions politiques, ses outils d’analyse, ses modes d’action et de fonctionnement.
Créée à l’initiative de cinq étudiantes féministes en 2011, la Flone Initiative a développé et structuré ses activités à partir de 2015 à la faveur d’une grande mobilisation dénonçant l’agression particulièrement violente d’une jeune femme à un arrêt de bus. Cet événement a permis de mettre à l’agenda public et médiatique le problème des violences sexistes et sexuelles.,. Aujourd’hui, l’association compte six employés et dispose d’un budget de 500 000 dollars par an.
La position de l’association est de promouvoir le concept de « gender mainstreaming » (l’approche intégrée de l’égalité entre les hommes et les femmes). Selon cette méthode, chaque politique publique doit prendre en compte les situations spécifiques des femmes et des hommes avant de mettre en place des actions. Ce critère doit aussi être intégré dans l’évaluation des politiques publiques, pour comprendre leurs effets spécifiques selon les genres. Ainsi, dans le cas des transports de Nairobi, il s’agit de comprendre les déterminants de la demande de transports chez les femmes, conditionnée par deux grandes dimensions : les normes sociales et les rôles associés aux genres d’une part, qui impliquent des motifs de déplacement spécifiques (soin des enfants et des personnes âgées par exemple) – et les agressions sexistes et sexuelles d’autres part, qui impliquent des stratégies d’évitement et des craintes qui limitent certains déplacements. Le premier pilier du travail de l’association est donc de documenter ces phénomènes, quantitativement et qualitativement, à travers des études (entretiens, questionnaires…) et une cartographie participative en ligne. Ces travaux ont donné lieu à des publications qui font aujourd’hui référence pour les pouvoirs publics : par exemple, un état des lieux des agressions sexistes et sexuelles a révélé que 88% des usagers des matatus avaient déjà été témoins de ce type d’événement.
Le deuxième volet de l’action de la Flone Initiative est le développement de programmes de formation et de sensibilisation. Le premier public est celui des opérateurs des matatus (les gérants des coopératives, les conducteurs et leurs assistants) afin de les sensibiliser aux violences sexistes et les former à la prévention et la lutte contre ces agressions. Le deuxième public est celui des femmes qui souhaiteraient travailler dans le secteur de matatus. Ce milieu étant essentiellement masculin, et fortement imprégné par les stéréotypes de genre, il est très difficile pour les femmes d’y travailler. Cette situation est doublement pénalisante pour les femmes : d’une part parce qu’elles sont privées d’une opportunité économique dans un secteur en pleine croissance, et d’autre part parce que l’absence de femmes parmi les opérateurs de matatus renforce le climat d’impunité vis-à-vis des agressions sexistes dont sont victimes les passagères.
Si le recul temporel et les données disponibles sont insuffisants pour mesurer un impact concret sur la fréquence des violences sexuelles, plusieurs constats peuvent toutefois être faits concernant les actions de l’association :
L’association a connu un développement rapide de ses activités grâce aux financements d’organisations internationales (UN Habitat, FEMNET organisation panafricaine de promotion du développement des femmes,…). Mais c’est aussi par sa forte implantation locale et sociale que l’association parvient à obtenir des résultats : proche des publics qu’elle cible (autant des travailleurs des matatus que des femmes), elle propose des outils et des solutions adaptées aux problématiques du secteur. L’autre pilier du succès de l’association, selon la fondatrice et directrice Naomi Mwaura, est l’approche pédagogique : dans un contexte hostile aux droits des femmes, les méthodes de formation visent à désamorcer les conflits et à jouer notamment sur l’empathie des hommes vis-à-vis des clientes des matatus.
Pour connaître toutes les informations sur l’historique de cette initiative, ses actions et ses résultats, téléchargez la fiche synthétique réalisée par le Forum Vies Mobiles
La mobilisation est l’action par laquelle les individus sont appelés à se mettre en mouvement pour se rassembler dans l’espace public en vue d’une entreprise concertée, que ce soit pour exprimer et défendre une cause commune ou pour participer à un événement. En ce sens, il s’agit d’un phénomène social relevant du champ de la mobilité. Cet article a été rédigé par Sylvie Landriève, Dominic Villeneuve, Vincent Kaufmann et Christophe Gay.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
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