L’effet du genre sur la mobilité sûre et durable
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Les différences de sexe dans l’accidentalité routière
Une des grandes différences de sexe en termes de mobilité est celle de l’accidentalité routière. On constate que, dans le monde, 73% des personnes tuées dans les accidents de la route sont des hommes. C’est la plus grande différence de sexe dans les blessures non intentionnelles au niveau mondial : trois morts sur quatre sur la route sont des hommes. On retrouve cette différence dans toutes les régions de l’Organisation mondiale de la santé, quels que soient le niveau de revenu des pays concernés ou les groupes d’âges étudiés. On retrouve cela bien évidemment en Europe, où 76% des morts sur la route sont des hommes. On ne constate aucun changement dans les vingt dernières années ; cette différence de sexe est constante et commune à tous les pays européens.
Comment expliquer ces différences dans les comportements à risques ?
Se pose alors la question de savoir comment expliquer ces différences de sexe dans les comportements à risques ? La première explication possible est l’explication biologique. Les hommes et les femmes produisent différemment les hormones mâles et les hormones femelles.
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Masculinité et féminité dans la prise de risques
On peut observer ces attentes sociales au niveau de la prise de risque. Les parents vont percevoir la prise de risque chez les garçons comme quelque chose d’inné – un garçon développe naturellement selon eux des comportements à risques. Non seulement c’est inné, mais cette prise de risque sera valorisée, voire initiée, chez les garçons, parce qu’elle est un marqueur de masculinité. Au contraire les parents vont considérer que la prise de risque chez les filles est un problème d’anticipation, et puisque cela n’est pas inné, ils vont apprendre aux filles à l’éviter, donc les éduquer à éviter les comportements dangereux, par exemple en les avertissant en cas de danger, ou en leur fournissant de l’aide dans des situations jugées dangereuses.L’influence du genre sur les comportements routiers
L’entourage social va donc faire en sorte que l’individu, dès sa petite enfance, se conforme à ces attentes sociales, la prise de risques en étant une liée à la masculinité. Différencier ainsi sexe et genre permet d’expliquer les différences de sexe qu’on constate dans les comportements à risques, en les identifiant comme un effet de la quête de conformité des individus à ces attentes sociales.
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Les effets du genre sur la réussite au permis de conduire
La croyance dans ces stéréotypes associés à la conduite affecte d’ailleurs les performances des femmes au moment du permis de conduire. On constate au niveau français une différence de 10 points dans la réussite au permis entre les hommes et les femmes, les femmes réussissant moins bien que les hommes. Nous avons observé sur un échantillon de plus de 3 000 apprentis conducteurs que les femmes qui croient effectivement que les hommes sont naturellement compétents et que les femmes sont naturellement incompétentes ont un sentiment de compétence plus faible, anticipent moins la réussite au permis de conduire, et effectivement le réussissent moins bien. Il y a donc un enjeu fort à lutter contre ces croyances sur les compétences des hommes et des femmes au volant, pour rétablir un peu d’égalité dans la réussite au permis.Les différences de genres : un frein majeur à la conduite sûre et durable
Pour résumer, la littérature scientifique démontre l’effet du sexe et du genre sur la mobilité sûre et durable. Les rôles de sexe, les stéréotypes de sexe, vont affecter la mobilité des hommes et des femmes dans les motifs et dans les choix de modes de déplacement, mais aussi en termes de comportements lors de ces déplacements. Les croyances sociales sont encore fortes sur le fait que la prise de risque comme la compétence au volant sont des comportements attendus chez les hommes. Et les hommes, pour prouver qu’ils sont des hommes, pour prouver leur appartenance au groupe des hommes, et aussi pour plaire aux femmes – c’est un élément important et la littérature montre qu’effectivement cela plaît aux femmes –, vont manifester ces comportements de prise de risque, notamment au volant et particulièrement à l’adolescence. Prendre des risques au volant permet de montrer qu’on est un homme, et le permet à n’importe qui : cela ne demande aucune compétence intellectuelle ou physique particulière, et est donc un bon moyen de prouver sa masculinité. Finalement, ces stéréotypes sur la masculinité font que les hommes se retrouvent avec deux facteurs d’incitation aux comportements à risque : un facteur biologique et un facteur psychosocial, qui vont se potentialiser l’un l’autre et amener plus de comportements à risque, notamment dans l’espace routier, de la part des hommes.Et maintenant, que faire ?
À partir de là, il faut se poser la question : que faire pour lutter contre ça ? La première idée qui vient naturellement est de considérer qu’il faut lutter contre ces stéréotypes sur la femme au volant, augmenter le sentiment de compétence des femmes pour qu’elles réussissent mieux leur permis. Mais la littérature montre que le sentiment de compétence à des effets délétères sur le comportement au volant, et que plus l’individu pense être compétent, plus il a tendance à prendre des risques. Donc augmenter le sentiment de compétence des femmes au volant risque d’augmenter leur prise de risque au volant, ce qui n’est pas la direction souhaitée. La deuxième piste d’action serait de travailler sur la masculinité et sur les attentes de masculinité chez les garçons. Cela reviendrait à permettre aux garçons d’exprimer leur masculinité et leur virilité ailleurs qu’au travers des comportements à risque au volant. Faire prendre conscience qu’avoir le courage de dire « non » quand on vous dit « t’es pas cap » est une forme de prise de risques. Et plus généralement, je pense qu’il faut faire prendre conscience, aux garçons notamment – les études montrent que ce sont surtout les garçons qui y sont vulnérables –, qu’il y a une grande différence entre ce qu’ils imaginent que l’on attend d’eux, en termes de prise de risque ou en termes de comportement au volant, et ce que l’on attend réellement d’eux. En résumé, les garçons s’imaginent que l’on attend d’eux de la prise de risque, parce que cela fait partie des attentes en termes de masculinité. Or il y a une grande différence entre ces attentes imaginaires et ce que l’on attend d’eux réellement ; je pense qu’il faut leur faire prendre conscience de cet écart, pour qu’ils ne s’engagent pas dans des comportements qui, finalement, ne correspondent à aucune attente sociale. La troisième piste, qui me paraît être la plus prometteuse, est, plutôt que d’augmenter le sentiment de compétence et de robustesse chez les femmes, d’augmenter le sentiment de vulnérabilité chez les hommes. Finalement, nous sommes tous vulnérables de la même façon aux accidents de la route et aux comportements dangereux. Le fait de partir du principe que le garçon, parce qu’il est garçon, est forcément invulnérable est ce qui explique à la base ces différences de sexe dans les comportements à risque. Amener les enfants, mais aussi et surtout les parents, à prendre conscience de cette vulnérabilité des garçons pourrait les amener à changer leur éducation, la prise de risque des garçons, en essayant de les protéger autant qu’ils essaient de protéger les filles, en expliquant ce qu’est un comportement dangereux, en expliquant comment faire face et comment gérer ces comportements dangereux. Le deuxième effet positif de cette prise de conscience de la vulnérabilité est de permettre la prise de conscience que nous sommes vulnérables, mais que tous les autres autour de nous le sont aussi, et d’arriver à changer ainsi la perception qu’on a des règles pour les rendre plus morales, en prenant en compte que se conformer à la règle, c’est se protéger soi, mais aussi protéger les autres. Nous voyons en ce moment avec les enjeux sanitaires que cette perception morale de la règle est un élément qui devrait être mis en avant dans l’ensemble des règles liées à la santé publique.Références
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Chapô
On sait parfois que 3 morts sur 4 sur la route sont des hommes. Mais sait-on que ce chiffre se retrouve dans tous les pays du monde, pour toutes les tranches d’âge, chez les piétons comme chez les automobilistes, et même que 96 % des tués chez les moins de 18 ans sont des garçons ? Comment alors expliquer ces chiffres ? Par-delà les explications biologiques, Marie-Axelle Granié pointe l’importance des rôles genrés, propose des pistes pour y remédier et révèle les erreurs à éviter.
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