Dans Schubumkehr – Die Zukunft der Mobilität (traduction : Inversion de poussée – l’avenir de la mobilité), Stephan Rammler imaginait en 2014 une mobilité post-fossile située dans les années 2040. La lecture de ces scénarios aujourd’hui étonne à la fois par leur clairvoyance et par les impensés qui se révèlent en creux. Alimentant la réflexion par une interview récente de l’auteur, Franziska Meinherz fait un retour analytique sur ce futur imaginé avant les crises récentes qui ont impacté de manière inédite la mobilité.
Cette recension s’inscrit dans la mission lancée par le Forum Vies Mobiles avec la sociologue Franziska Meinherz sur la recherche allemande sur la mobilité. Sur la base d’un travail de recherche et de plusieurs interviews menées en 2023, cette mission donnera lieu à plusieurs parutions sur le site du Forum Vies Mobiles, dont un article sur le livre Autokorrektur, de Katja Diehl, qui est venu porter les questions de la transition de la mobilité carbonée au cœur du débat dans un pays où la voiture est reine.
Schubumkehr , paru en 2014 aux éditions Fischer, fait partie d’une commande du Forum für Verantwortung (Forum pour la responsabilité) dans le contexte de son opération Mut zur Nachhaltigkeit (Courage pour la durabilité). Elle a consisté à faire dresser par des chercheurs et chercheuses des portraits d’« utopies concrètes », crédibles sur la base du savoir-faire technologique et de la configuration socio-économique de l’époque d’écriture. Avec ces visions utopiques mais réalisables, le Forum für Verantwortung a voulu pointer les prochaines étapes à entreprendre dans l’élaboration de politiques soucieuses de garantir de bonnes conditions de vie pour toutes et tous dans les limites planétaires. Comme les autres livres publiés dans cette série, Schubumkehr a donc vocation à présenter des avenirs possibles, à imaginer le chemin par lequel la société y arrive, et à rendre ces avenirs imaginables par une voie narrative focalisée sur les expériences quotidiennes 1 .
Dans Schubumkehr , Stephan Rammler nous invite à suivre les reportages que Peter Fischer, un journaliste fictif, produit entre les années 2040 et 2044. Il donne également à lire un article scientifique publié en 2030 par le directeur d’une entreprise fictive de voitures à l’hydrogène. Enfin, Schubumkehr s’appuie sur Futurpedia, une déclinaison de Wikipédia sur les technologies et principes de design de la mobilité de l’avenir 2 .
En lisant le livre de Stephan Rammler avant de le rencontrer, il nous est apparu intéressant de comparer les visions et solutions qui semblaient pertinentes en 2014 avec celles d’aujourd’hui. Au moment de sa publication, les scénarios esquissés paraissaient en effet visionnaires. En témoigne le prix du journal Zeit « courage pour la durabilité » dans la catégorie sciences ( Zeit Wissen-Preis « Mut zur Nachhaltigkeit ») dont il est récipiendaire. Le relire aujourd’hui permet de faire le tri entre les scénarios qui constituent en effet une voie pour sortir de l’impasse que connaît la mobilité aujourd’hui, ceux qui ne se sont jamais réalisés, et ceux qui ont contribué à nous y enfoncer davantage. Après une présentation des scénarios présentés dans le livre, nous les soumettrons donc à une analyse critique en vue des enjeux de mobilité actuels.
Dans notre recension de Schubumkehr , nous nous sommes appuyés sur un entretien que le Forum Vies Mobiles a mené avec Stephan Rammler en mai 2023. Dans cet entretien, il insistait sur la nécessité d’impulser une énergie transformatrice à la société, de combiner le savoir scientifique avec l’art de raconter des histoires. Selon lui, la science-fiction est un outil utile à la prise en compte de la complexité du monde dans la réflexion sur un monde différent 3 . Stephan Rammler est convaincu que des visions positives telles que celles qu’il esquisse dans Schubumkehr ont un potentiel mobilisateur bien plus grand que les discours de crise omniprésents. Il ne prétend cependant pas que la transition n'est qu’une question de volonté. C’est justement pour cette raison que son livre est intitulé « inversion de poussée » : l’inertie du système de mobilité rendra toute transition de mobilité difficile et qu’il faudra se préparer et faire preuve de patience pour inverser les tendances actuelles. L’introduction insiste d’ailleurs sur le constat que le développement du réseau de mobilité hyperperformant dont nous disposons aujourd’hui a également transformé nos besoins et nos attentes, et qu’il est devenu impossible de concevoir un système de mobilité durable sur la seule base d’un changement technologique. Il faut une transformation socio-culturelle qui remet en question nos besoins et notre désir d’être mobiles.
Stephan Rammler est un expert de la mobilité de premier ordre en Allemagne. Après avoir écrit sa thèse de doctorat sur les liens entre mobilité et modernité sous la supervision du professeur Andreas Knie, un des premiers sociologues de la mobilité allemands, Stephan Rammler a fondé l’Institut für Transportation Design (Institut de design des transports) à la Haute école pour l’art et le design de Braunschweig. Depuis 2007, il est directeur de l’Institut für Zukunftsstudien und Technologiebewertung (Institut pour les sciences de l’avenir et l’évaluation des technologies) à Berlin. Il a beaucoup travaillé sur l’électromobilité et les enjeux de la numérisation. En parallèle de son activité académique, il effectue des mandats de conseil pour différents partis au Bundestag.
Schubumkehr s’ouvre sur une histoire de la mobilité et les besoins énormes en énergie, espace et matières premières du système développé depuis l’industrialisation et son imbrication avec le système économique. Dans son récit, Stephan Rammler distingue trois phases : l’époque pré-fossile et organique, l’époque fossile et industrielle, qui correspond au présent, et une ère encore à venir, qui serait post-fossile et solaire. Un des freins principaux qu’il identifie pour passer à cette troisième ère est technologique : le stockage de l’énergie. Cette observation nous rappelle les avancées spectaculaires réalisées entre 2014 et 2024 dans le développement de batteries pour véhicules électriques, puisqu’elles sont désormais suffisamment puissantes pour alimenter des SUV et des bus sur plusieurs centaines de kilomètres. En décrivant un système qui se heurte à ses limites et qui devient toujours plus vulnérable, il ressort que la mobilité de l’avenir doit être non seulement post-fossile, mais aussi résiliente.
Les événements du début de la décennie 2020, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine, de la pandémie du Covid, ou encore l’obstruction du canal de Suez par le porte-containeurs Ever Given en 2021, lui ont donné raison. Ces moments de crise ont révélé l’ampleur de la dépendance énergétique, et ont exposé les vulnérabilités d’un système qui a largement aboli la logique du stockage et pour miser sur le flux tendu. Si Stephan Rammler a en effet imaginé dans son ouvrage une obstruction du canal de Suez, il l’imagine comme la conséquence d’une attaque nucléaire d’origine indéterminée, non comme une erreur de navigation. Il s’imagine alors qu’en plus de faire prendre conscience de la vulnérabilité du système et de rediriger les efforts vers une production d’énergie locale et durable, cette obstruction aurait donné naissance à des échanges entre tous les pays du Moyen-Orient, ce qui leur aurait permis non seulement d’ouvrir à nouveau le canal, mais aussi d’établir des relations pacifiques entre eux. Dans cette version alternative de l’histoire présente, Israël donne son accord à la création d’un État palestinien indépendant, et les États méditerranéens travaillent ensemble à la lutte contre le réchauffement climatique et à la construction d’un pont au-dessus du détroit de Gibraltar pour faciliter le libre passage des personnes.
Probablement influencé par les grandes manifestations contre l’extension de la gare de Stuttgart, qui ont marqué l’actualité politique allemande du début des années 2010, Stephan Rammler voit dans les résistances contre les projets d’infrastructures un facteur déterminant pour l’avenir de la mobilité. Il imagine également une révolution cycliste où, en se coordonnant en ligne, des cyclistes se déplacent en groupe et imposent un nouveau système de priorités dans lequel la voiture n’a plus l’avantage. Il voit également dans la destruction environnementale un potentiel mobilisateur, imaginant par exemple que la dégradation de la qualité de l’air pourrait être à l’origine de mouvements de contestation en Chine. Les politiques que le gouvernement chinois a depuis mis en place pour améliorer la qualité d’air montrent que Rammler a en tout cas eu raison d’y voir un levier politique.
Globalement, si certains développements imaginés relèvent d’une clairvoyance étonnante, d’autres, comme la construction d’un pont au-dessus du détroit de Gibraltar, paraissent aujourd’hui encore plus utopiques qu’il y a dix ans.
C’est par le biais d’un voyage touristique en zeppelin du journaliste fictif Peter Fischer depuis Berlin jusqu’au Canada que Stephan Rammler propose un survol de cet avenir utopique – une alternative à l’avion qui est l’occasion d’une description détaillée d’un nouveau contrôle du trafic aérien automatisé reposant sur une infrastructure d’atterrissage élaborée. Il y décrit le confort des cabines qui offre aux voyageurs les meilleures conditions pour profiter pleinement de leur voyage et rendre acceptable la vitesse réduite du zeppelin par rapport à l’avion, un voyage transatlantique durant environ une semaine. De nouvelles options touristiques ont ainsi émergé : il est désormais possible de contourner les files d’attente interminables pour visiter la tour Eiffel en atterrissant directement sur sa pointe, par exemple, et puisque les aéroports ne sont plus nécessaires, chaque zone est potentiellement accessible par les airs. Ces appareils deviennent des zeppelins de secours envoyés à la suite d’un tremblement de terre sans précédent dans l’est de la Turquie. De fait, le séisme survenu en Turquie en début de l’année 2023 a bien montré que l’acheminement des secours lors de ce type de catastrophes a besoin d’être modernisé. Reste à savoir si les zeppelins pourraient constituer une solution.
Pour imaginer la transition de l’avion vers le zeppelin, Stephan Rammler imagine que le propriétaire de Virgin Airlines a imposé le nouveau modèle grâce au financement des pays du Golfe. Selon lui donc, une entreprise comme Virgin Airlines, qui a déjà transformé l’aviation par le passé en inventant les vols bon marché, peut la transformer à nouveau. Dans la même veine, il imagine que la transformation de la navigation maritime vers des navires à l’hydrogène aurait été poussée par RWE, un des principaux fournisseurs d’énergie allemands qui gère principalement des centrales à charbon. Après le voyage en Zeppelin, nous accompagnons donc Peter Fischer sur une croisière neutre en émissions carbone. L’occasion de visiter les navires qui collectent le plastique pour le fournir au Japon devenu, à la suite de la catastrophe de Fukushima et de l’effondrement de l’industrie de la pêche, le leader mondial de l’industrie de recyclage et de l’upcycling.
Qu’en est-il de l’automobilité ? Dans l’avenir utopique de Stephan Rammler, elle existe toujours, mais elle est 100% électrique. Il imagine une Chine qui aurait développé la technologie nécessaire pour satisfaire sa propre demande de voitures électriques, ce qui aurait motivé l’Union européenne à mettre de son côté en place une stratégie de transition. Des subventions pour les producteurs et consommateurs de voitures électriques, des mesures restrictives concernant les voitures à combustion et des investissements publics dans la recherche et le développement auraient permis cette transition dont le grand avantage serait « qu’elle ne touche pas aux habitudes et modes de vie des gens » 4 . Et pour les personnes qui auraient souhaité changer leur comportement de mobilité ou d’alimentation, une intelligence artificielle installée dans une prothèse auditive pourrait les aider à réduire la charge mentale que constitue un changement d’habitudes, et de surmonter le clivage entre les convictions écologiques et leur faible mise en œuvre concrète souvent cité dans la psychologie environnementale. En outre, cette intelligence artificielle aurait vocation à faciliter la mise en place d’un système reposant très largement sur l’automobilité partagée en coordonnant les trajets de toutes les personnes actuellement en déplacement.
Un autre scénario qui peut surprendre aujourd’hui est celui du remplacement des trains par des bus autonomes circulant sur le réseau autoroutier, en partant du principe que les trains allaient perdre de leur compétitivité avec l’électrification des véhicules routiers. L’auteur imagine alors des entreprises ferroviaires tournées entièrement sur le développement d’infrastructures écologiques, utilisant des matériaux comme bois, le bambou et le chanvre. Stefan Rammler confirme ainsi sa confiance modérée en la capacité de l’Allemagne à développer un réseau ferroviaire suffisant dans les délais impartis par les objectifs climatiques. Après des années d’austérité, le réseau ferroviaire nécessiterait aujourd’hui des investissements conséquents ne serait-ce que pour être remis en état, alors même qu’il faudrait électrifier les lignes régionales et étendre largement le réseau. Dans ce contexte allemand, on comprend que miser sur l’infrastructure autoroutière existante ait pu apparaître comme le scénario le plus réaliste.
Dans le futur dépeint par Schubumkehr , la catastrophe climatique a bien eu lieu. La hausse des températures a provoqué l’effondrement du tourisme et de l’agriculture, et l’économie s’en trouve chamboulée : le sud de l’Europe s’est spécialisé dans la production d’algues pour l’alimentation et la production de biocarburants, tandis que le tourisme s’est déporté plus au nord. Les Pays-Bas ont construit des villes flottantes, la côte de la mer Baltique est devenue une immense base de loisirs alimentée par des énergies renouvelables, et la France a misé sur des îles de vacances artificielles qui peuvent échapper à la chaleur estivale en se déplaçant vers le nord.
L’apparent optimisme d’un tel scénario d’adaptation au changement climatiques est toutefois très nuancé à travers la position du journaliste Peter Fischer, qui constate que l’entretien d’une île artificielle nécessite autant d’énergie et de ressources qu’une ville moyenne, alors qu’elle ne fait que combler le vide laissé par la destruction d’environnements naturels. Dans ce scénario, le géant des voyages organisés TUI est devenu le chantre de ce tourisme européen neutre en émissions carbone, le milliardaire Elon Musk a développé un ascenseur spatial permettant de rejoindre la station spatiale internationale, et une chaîne de télévision allemande organise une téléréalité qui consiste à tester la vie dans des villes du quart d’heure imaginées comme des résidences fermées écologiques.
Finalement, dans Schubumkehr , Stephan Rammler se penche sur la mobilité des 1% les plus riches, sur les innovations des grandes entreprises et sur les succès écologiques des régimes autocrates. Un point de vue qui appelle une lecture critique. Lors d’un entretien avec l’auteur, lui-même affirmait ne plus croire en la possibilité de nouvelles technologies susceptibles d’induire une transformation fondamentale du système de mobilité.
Le remplacement des trains par des bus n’est pas la seule dystopie qui ressort de la lecture de Schubumkehr. De manière générale, on peut se questionner sur les promesses d’une transition de mobilité et énergétique poussée par les intérêts commerciaux d’acteurs économiques privés. L’exemple d’Uber montre que quand des entreprises privées s’emparent de concepts tournés vers une mobilité durable telle que la mobilité partagée, le résultat n’est pas une réduction du nombre de voitures, mais bien une dégradation des conditions de travail et un affaiblissement des transports publics urbains. De son côté, Elon Musk a en effet réussi à révolutionner la technologie automobile et se met à développer le tourisme spatial, mais on peut se questionner sur la pertinence sociale et écologique des SUV électriques de luxe désormais en circulation et qui sont devenus le nouveau standard. Par ailleurs, les industriels du secteur automobile en Allemagne ont réussi à faire échouer le plan européen d’interdiction des moteurs à combustion 5 . Enfin, les dix dernières années ont démontré les dangers inhérents à la récolte massive de données, si bien que l’idée d’une application d’intelligence artificielle universelle qui nous aiderait à organiser toute notre vie quotidienne ne paraît plus souhaitable pour grand monde. En imaginant même que certaines transformations technologiques poussées par des élites économiques puissent produire les effets écologiques escomptés, cette vision de la transition se heurte à l’idée d’une transition démocratique et participative défendue par nombre d’acteurs académiques et politiques.
Aujourd’hui, Stephan Rammler reconnaît que l’espoir qu’il plaçait dans la numérisation et la généralisation de l’accès au smartphone comme leviers pour la transition de mobilité était trop grand, et que même en ville, ces nouvelles possibilités pour une mobilité multimodale et partagée n’ont pas pu en finir avec la culture de la voiture 6 .
Par ailleurs, les visions développées dans Schubumkehr , bien qu’elles présentent dans le détail la transformation des modes de production, ne remettent pas en question les modes de consommation actuels. Cependant, dans l’entretien que nous avons mené avec lui, l’auteur lui-même regrette de ne pas avoir adopté une approche plus critique dans les recherches qu’il a menées à l’université de Braunschweig, tant celles-ci laissaient transparaître les limites du potentiel des nouvelles technologies à changer le système de mobilité. En effet, l’idée d’une transformation des usages par l’innovation technologique se heurte aux conclusions qu’il tirait de ses propres recherches sur les liens entre mobilité et modernité 7 . Le biais est dans la commande elle-même : Schubumkehr prend la structure socioéconomique comme une donnée immuable. Les scénarios qui y sont présentés partent du principe que le changement technologique permettrait de maintenir les niveaux de production et de consommation actuels sans recours aux énergies fossiles. S’il paraît malheureusement toujours pertinent aujourd’hui de dessiner des mondes transformés par la catastrophe climatique, nous ne pouvons plus nous contenter de scenarios qui ne remettent pas en cause les structures socioéconomiques à toutes les échelles.
Depuis la publication de Schubumkehr , il a été démontré que ce sont les inégalités sociales et notamment le degré de richesse des populations fortunées qui alimentent la croissance de la demande d’énergie et des ressources 8 . Il en découle qu’une redistribution radicale des revenus et des fortunes est nécessaire pour garantir de bien vivre dans les limites planétaires 9 . L’impression qui s’impose à la lecture de l’ouvrage est au contraire que les scénarios esquissés reproduisent et renforcent les inégalités sociales existantes. Qu’il s’agisse de la privatisation des régions côtières, de l’absence de politiques sociales pour assurer un logement dans les nouveaux espaces artificiels aux réfugiés climatiques, ou encore du fait que les technologies d’utilité publique, permettant par exemple de déployer les secours d’urgence ou d’assister les populations vulnérables, ne sont que des dérivés de technologies de loisir, tout cela fait craindre que les conditions de vie d’une grande partie de la population se dégraderont nettement dans l’avenir esquissé dans Schubumkehr . Les solutions proposées pour la mobilité urbaine, qui misent sur une hyperflexibilité des utilisateurs et utilisatrices, ne pourront pas satisfaire les besoins de mobilité spécifiques, par exemple ceux des femmes, dont la persistance des contraintes dans l’organisation de leurs déplacements est connue 10 . La focalisation des scénarios sur des formes de mobilité surtout destinées aux voyages et aux loisirs les rend peu pertinents pour les 22% des Allemands qui ne pouvaient pas se payer une seule semaine de vacances annuelles en 2011 – un chiffre qui a fluctué depuis mais qui a de nouveau atteint les 22% en 2022.
Stephan Rammler, après avoir étudié pendant de nombreuses années les imbrications entre la mobilité et la structure socioéconomique, a affirmé dans notre entretien être désillusionné. Il se pose la question de savoir s’il ne faudrait pas admettre la faible probabilité que cette structure change dans les délais impartis, ce qui signifie qu’il n’y aura pas un changement profond dans nos manières d’être mobiles non plus 11 . Les scénarios qu’il a développés il y a dix ans maintenant, dont la clairvoyance mérite que l’on s’y attarde, parlent aux gagnant·e·s de la modernité, mais ne nous enseignent rien sur l’impact que cela pourra avoir sur la vie et les déplacements des moins fortuné·e·s. Aujourd’hui comme hier, nous avons besoin de scénarios pour l’avenir de la mobilité qui s’adressent à l’ensemble de la population. Des mouvements sociaux comme les Gilets jaunes en France ou l’estadillo social (les manifestations pour des services publics de qualité et abordables) au Chili ont montré que les exclu·e·s de la modernité ne se contentent pas de leur sort et peuvent développer une force de frappe considérable. Leurs visions et leurs modes d’action pourraient informer des scénarios qui font rimer écologie avec justice sociale.
1 oir également la récension du livre The world we made. Alex McKay’s story from 2050 de Jonathon Porritt publiée par Forum Vies Mobiles en 2015: https://forumviesmobiles.org/livres-clefs/2853/world-we-made-alex-mckays-story-2050-de-jonathon-porritt
2 Beaucoup de ces articles ont été co-écrits par Thomas Sauter-Servaes, ingénieur des transports et professeur à la Haute école spécialisée de Zurich, où il est notamment responsable du programme d’études sur la mobilité.
3 Entretien entre Forum Vies Mobiles et Stephan Rammler du 2 mai 2023.
4 Schubumkehr , p. 146. Traduction par l’autrice.
5 Tandis que l’écrasante majorité des membres de l’Union européenne voulaient interdire toute nouvelle mise en circulation de voitures à moteur de combustion à partir de 2035, l’Allemagne, sous pression de son industrie automobile, a fait échouer ce plan. La version finale du plan, adoptée en mars 2023, stipule que des voitures à moteur de combustion pourront être mises en circulation même après 2035 sous condition qu’elles n’utilisent pas d’essence ni de diesel mais des e-carburants.
6 Entretien entre Forum Vies Mobiles et Stephan Rammler du 2 mai 2023.
7 Rammler, S. (2016). « The Wahlverwandtschaft of modernity and mobility ». In: Canzler, W., & Kaufmann, V. (Eds). Tracing mobilities: Towards a cosmopolitan perspective . Routledge.
8 Wiedmann, T., Lenzen, M., Keyßer, L. T., & Steinberger, J. K. (2020). « Scientists’ warning on affluence ». Nature communications , 11(1), 3107.
9 O’Neill, D. W., Fanning, A. L., Lamb, W. F., & Steinberger, J. K. (2018). « A good life for all within planetary boundaries ». Nature sustainability , 1(2), p. 88-95.
10 Meinherz, F., & Fritz, L. (2021). « Ecological concerns weren’t the main reason why I took the bus, that association only came afterwards’: on shifts in meanings of everyday mobility ». Mobilities , 16(6), p. 825-842.
11 Entretien entre Forum Vies Mobiles et Stephan Rammler du 2 mai 2023.
Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
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Pour citer cette publication :
Franziska Meinherz (14 Février 2024), « Inversion de poussée : l’avenir de la mobilité, par Stephan Rammler », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 24 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/livres-clefs/16014/inversion-de-poussee-lavenir-de-la-mobilite-par-stephan-rammler
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