Né presque spontanément d'une culture cycliste mature dans une région dotée d'un réseau ferroviaire dense, l'utilisation combinée du vélo et du train aux Pays-Bas apparaît comme un exemple réussi d’intermodalité. Qu’en dit la littérature universitaire sur le sujet ? Quel est le potentiel de croissance de ce système vélo-train, et grâce à quelles politiques ? Quelles sont ses limites ? Autant de questions que pose cet article, avec en arrière-fond la question de savoir si ce système pourrait être reproduit dans d'autres régions.
L’association du vélo et du train dans une chaîne de déplacements, présentée comme une évolution prometteuse pour réduire l’usage de la voiture, suscite une attention croissante. Les Pays-Bas montrent la voie : alors que près de 47 % des passagers arrivent à la gare en pédalant, il n’est pas étonnant que cette façon de se déplacer se soit imposée dans la vie courante au pays du vélo, avec ses aires urbaines densément peuplées.
Comment cet usage a-t-il émergé ? Quelles sont ses conséquences sur les modes de vie et la conception des réseaux de transports ? Comment accélérer cette tendance ? Peut-elle être reproduite dans d’autres villes ou pays ? Faut-il envisager de déplacer certaines activités commerciales et certains quartiers résidentiels en fonction des distances que l’on pourrait parcourir en train et à vélo ? Quelles sont les conséquences pour l’usage et la valeur des terres ? Les déplacements associant vélo et train nécessitent-ils un système de gouvernance différent de celui des trajets cyclistes et ferroviaires ?
L’intérêt suscité par ces questions dans les débats académiques et politiques contraste avec le peu d’éléments dont nous disposons à leur sujet, le manque d’informations sur cette façon de se déplacer, sur ce qui la fait fonctionner, et sur ses conséquences pour les modes de vie et les dynamiques territoriales. Cet article synthétise les principaux résultats des recherches publiées et met en avant certaines des questions identifiées par les chercheurs comme nécessitant davantage d’attention.
Parking à vélos à la gatre de Houten. Crédit : Martin Bond / Alamy
Associer train et vélo présente un avantage simple : la flexibilité spatiale du vélo se voit conjuguée à la rapidité du train. La portée spatiale du vélo comme l’accessibilité porte-à-porte du train s’en trouvent accrues. Le vélo, environ trois fois plus rapide que le rythme de marche moyen 1, peut en théorie couvrir une distance trois fois plus grande. Les experts ont calculé qu’à cette vitesse, la zone d’influence du vélo pouvait être neuf fois plus importante, participant ainsi largement à étendre le nombre de foyers pouvant accéder aux gares en modes actifs 2. Cela accroît considérablement le potentiel de réduction de l’usage de la voiture dans des territoires disposant d’une culture cycliste bien implantée, d’un vaste réseau de pistes cyclables et de services ferroviaires fréquents et fiables.
Les Pays-Bas remplissent ces trois conditions fondamentales. Un quart de la population utilise son vélo tous les jours et, en moyenne chaque année, un Néerlandais parcourt à vélo 1 000 kilomètres répartis sur 250 à 300 trajets, ce qui en fait dans ce domaine le premier pays au monde 3. Plus de 60 % de la population se montre favorable au vélo et on estime qu’il y a plus de 23,4 millions de cycles (dont plus de 2 millions sont électriques) dans ce pays d’à peine plus de 17,6 millions d’habitants 4.
Amsterdam a la réputation de ville cyclable par excellence . Crédit : Charlie Red
Plus d’un trajet quotidien sur trois à Amsterdam est réalisé en vélo.
Le cyclisme est perçu comme un élément si essentiel de l’identité que la culture néerlandaise du vélo a été désignée pour figurer sur la liste nationale du patrimoine immatériel de l’UNESCO. La part modale du vélo est à peu près stable depuis trois décennies, autour de 28 % des trajets, et couvre 10 % des kilomètres parcourus au niveau national pour 21 % du temps de déplacement. Mesuré en kilomètres parcourus, l’usage du vélo a augmenté d’environ 12 % depuis 2005 (ce qui s’explique à la fois par la croissance du nombre de cyclistes et l’augmentation du nombre de déplacements par personne).
Près de la moitié de la distance parcourue au total par les vélos conventionnels se fait dans le cadre des loisirs. Crédit : Jian Liu.
Ces bons chiffres pour le vélo sont favorisés par le réseau cyclable le plus développé d’Europe, avec plus de 35 000 kilomètres de voies séparées du trafic motorisé, soit un quart des 140 000 kilomètres de réseau routier du pays. De plus, environ 70 % des voies urbaines néerlandaises sont limitées à 30 km/h.
Voie cyclable dédiée (en rose) et parking à vélo à Alkmaar, Pays-Bas. Crédit : Marek Lumi.
Voie cyclable dédiée (en rose) sur un rond-point. Crédit : Ezra
Une piste cyclable sur un pont de 220 mètres de longueur au-dessus d’une autoroute et d’une voie ferrée dans la future réserve naturelle de New Driemanspolder à Zoetermeer. Crédit : Jochen Tack / Alamy
Concernant le réseau ferroviaire, il existe plus de 400 gares pour 7 000 km de voies ferrées, et depuis 2017 tous les trains sont alimentés par de l’électricité d’origine éolienne. Avec près de 1,5 million de voyageurs par jour, il s’agit du réseau le plus fréquenté d’Europe 5 ; parmi les trajets dépassant 15 km, plus d’un sur dix est effectué en train.
Parmi tous les trajets en train, 83 % s’inscrivent dans un déplacement multimodal, et 47 % des passagers se rendent à la gare en vélo (jusqu’à 70 % dans certaines gares). Plus important encore, ce chiffre exceptionnel continue de croître (il était de 30 % en 2001) 6, selon des tendances similaires pour le nombre global de trajets en train et à vélo dans et entre les villes néerlandaises. Les trajets à vélo depuis la gare d’arrivée jusqu’à la destination finale ont également augmenté, passant de 10 à 16 %, une évolution en partie liée à l’introduction de vélos de location pour les détenteurs d’abonnements ferroviaires 7. Durant cette période, le nombre des trajets en train a connu 36 % d’augmentation. Cela signifie une augmentation en valeur absolue des trajets vélo-train.
Les partisans du cyclisme affirment que la croissance peut se poursuivre, notamment parce que la moitié des trajets en voiture sont inférieurs à 7,5 km (une distance qui peut être parcourue à vélo), et un tiers inférieurs à 5 km. Par ailleurs, 70 % des trajets de 7,5 à 15 km sont effectués en voiture, et 15 % à vélo. Cela correspond au périmètre du vélo électrique qui peut atteindre jusqu’à 15 km.
Devant la gare d’Amsterdam. Crédit : Marek Slusarczyk / Alamy
La forte densité qui accompagne la population néerlandaise principalement urbaine offre d’autres possibilités de croissance 8. C’est notamment le cas autour de la Randstadt (Amsterdam, Rotterdam, Utrecht, La Haye, Haarlem, Hilversum, Dordrecht et Leyde) 9, la région la plus densément peuplée du pays. Dans cette zone, le total des trajets réalisés à vélo et en transports en commun a dépassé le nombre des trajets en voiture. La Randstadt bénéficie d’une culture cyclable bien implantée et d’un réseau ferroviaire de qualité, avec une fréquence de service allant jusqu’à 10 minutes entre les villes principales. En outre, cette zone se caractérise par les importants flux pendulaires entre ses principales villes et les espaces alentours, ce qui augmente l’attrait potentiel des déplacements vélo-train. Le temps de trajet depuis le centre d’Arnhem jusqu’au Rijksmuseum à Amsterdam (environ 100 km) est le même pour l’association vélo/train que pour la voiture (environ 1 h 15), de même pour aller d’Utrecht à Amsterdam (environ 40 km en 40 minutes).
Les chercheurs ont identifié deux facteurs limitants au développement des déplacements vélo-train : l’absence de programmes de location de vélos pour les trajets depuis la gare d’arrivée et l’insuffisance des infrastructures de stationnement pour les vélos dans les gares.
Aux Pays-Bas, la plupart des trajets d’accès ont lieu entre le foyer et la gare. Une fois à la gare, le vélo est stationné devant ou non loin, mais n’est pas transporté dans le train – ce serait impossible au vu du nombre de cyclistes. Cela signifie que les trajets de diffusion (entre la gare d’arrivée et la destination finale) ne peuvent être effectués à vélo que si des locations sont disponibles. Toutefois cette disponibilité est relativement faible, ce qui limite sans doute la croissance des déplacements vélo-train, en réduisant la possibilité pour un individu de réaliser l’ensemble de son trajet en vélo-train. La qualité de l’offre de vélos de location apparaît donc essentielle à l’attractivité de l’association train-vélo.
Un petit programme de location nommé OV-Fiets (littéralement « vélos de transport public ») a été lancé en 2004. Démarré avec 800 vélos, le programme en comptait 9 500 en 2016, et en gère actuellement près de 22 000 répartis sur 300 lieux de location. Ce programme dépend de NS (Nederlandse Spoorwegen – les chemins de fer néerlandais) et compte environ 500 000 utilisateurs réguliers. Chaque abonné dispose d’un pass avec un code barre à scanner pour retirer un vélo. Depuis 2017, l’adhésion est gratuite et la location coûte 4,45 € pour 24 heures 10. Après les trois premiers jours (72 heures), le prix quotidien s’élève à 9,45 €. Les utilisateurs doivent par ailleurs rendre le vélo là où ils l’ont retiré, faute de quoi des frais de 10 € s’appliquent. Le coût total de la location est prélevé directement sur le compte en banque de l’utilisateur à la fin de chaque mois.
Vélos en location à la gare de Veenendaal-De Klomp. Crédit : Fantaglobe11 CC BY-SA 4.0
En dépit de cette croissance remarquable, la demande de vélos de location dépasse toujours l’offre disponible. Cela explique (au moins en partie) pourquoi, alors que la part des trajets vers la gare effectués à vélo continue de croître (de 33 % à 47 % entre 2013 et 2016), le pourcentage des trajets de diffusion à vélo reste constant. L’offre de vélos de location est considérée comme une mesure nécessaire pour augmenter la part du voyage en train 11.
L’intégration effective des systèmes cycliste et ferroviaire nécessite un transfert fluide entre les deux modes. Une solution est la construction d’aires de stationnement pour les vélos à l’intérieur de la gare, assurant un accès facile aux quais et au hall, ainsi que la connexion des infrastructures de stationnement au réseau cyclable local.
L’entrée de la gare de Rotterdam, 2016. Crédit : Jurria An
Aux Pays-Bas, des progrès sont réalisés en ce sens. L’amélioration des connexions au niveau des premier et dernier kilomètres est une priorité au moins depuis les années 1990, ce qui a notamment entraîné des efforts pour augmenter la qualité et la quantité des places de stationnement. Entre 1999 et 2012, le programme d’investissement « De l’espace pour le vélo » avait pour objectif de mettre à disposition 400 000 nouvelles places. Ces dix dernières années, plus de 221 millions d’euros ont été investis dans le cadre du Plan d’action pour le stationnement des vélos en gare, afin de créer 100 000 places de plus. 200 millions d’euros supplémentaires ont été alloués en 2020 pour créer 100 000 nouvelles places d’ici à 2025.
Parking à vélo sous les panneaux solaires à la gare de Wijchen. Crédit : Fantaglobe11 CC BY-SA 4.0
Aujourd’hui, toutes les gares des Pays-Bas disposent d’une ou plusieurs infrastructures de stationnement (au niveau de la rue, à l’intérieur ou en sous-sol) et, en 2023, 106 offraient des parkings sécurisés, dont la moitié est automatique et l’autre moitié emploie du personnel. Plus de 30 gares proposaient des ateliers de réparation sur place. Ces évolutions restent insuffisantes, car le nombre de voyageurs qui arrivent en gare à vélo continue d’augmenter plus rapidement que celui des nouvelles places de stationnement.
Parmi les gares qui proposent des parkings sécurisés, la gare centrale d’Utrecht a attiré l’attention médiatique. La construction de ce parking sur trois étages, de 350 mètres de long, occupant 17 100 m2, a duré cinq ans. Il a ouvert partiellement en août 2017 avec 6 000 places, puis entièrement en août 2019 avec 6 500 places supplémentaires, ce qui en fait le plus grand parking à vélos au monde.
Le plus grand parking à vélo au monde, à la gare d’Utrecht. Crédit : Jochen Tack / Alamy
À la gare d’Utrecht, les installations dédiées aux vélos intègrent un service de réparation. Crédit : Jochen Tack / Alamy
L’accès se fait à vélo et le stationnement est gratuit durant les premières vingt-quatre heures. Ensuite, la société ferroviaire néerlandaise facture 1,35 € par jour (le tarif est de 0,55 à 0,65 € par jour dans les parkings automatiques). Le parking est ouvert tous les jours, 24 heures/24, et les cyclistes entrent et sortent avec leur carte de transports en commun. Les étages supérieur et inférieur sont destinés aux vélos garés durant la journée, et l’étage du milieu est réservé aux détenteurs d’une carte de parking (les résidents peuvent acheter un pass de stationnement pour 80 € par an). 1 000 OV-Fiets s’ajoutent aux 12 500 places de stationnement. Le parking comprend un espace spécial pour les vélos spéciaux (types cargos ou longtails) et propose un point de service pour les réparations, l’entretien, les pièces détachées et les accessoires. Le parking emploie quarante personnes et des gardiens s’assurent que les vélos sont correctement garés. Ils enlèvent aussi les vélos non utilisés au bout de 28 jours. Si un vélo est volé, le propriétaire a droit à un remboursement de 750 €. Avec ses 12 500 places, ce parking s’inscrit dans un réseau d’infrastructures de stationnement autour de la gare centrale d’Utrecht, qui réunit au total 33 000 places.
Circulation à vélo à la gare d’Utrrecht. Crédit : Jochen Tack / Alamy
Employé au parking vélo de la gare d’Utrecht. Crédit : Ton Koene / Alamy
Plan du parking : https://www.utrecht.nl/fileadmin/uploads/documenten/wonen-en-leven/verkeer/fiets/fiets-stallen/Fietsenstalling-Stationsplein-plattegrond.pdf
La croissance du nombre et de la taille des infrastructures de stationnement s’accompagne d’une augmentation des coûts associés, en raison de la nécessité de se placer dans des zones de plus en plus complexes aux alentours des gares (c’est-à-dire d’intégrer des infrastructures cyclistes dans des espaces de forte concurrence pour les usages publics et commerciaux) et de répondre aux besoins d’un nombre croissant de voyageurs arrivant à la gare à vélo. L’une des principales préoccupations, pour les acteurs impliqués, concerne donc la distribution des coûts.
Le parking de la gare centrale d’Utrecht a coûté plus de 30 millions d’euros (plus de 2 400 euros par place), pris en charge par ProRail (l’organisme public chargé de l’entretien et du développement de l’infrastructure nationale ferroviaire), la ville d’Utrecht, le ministère de l’Infrastructure et de la Gestion de l’eau, Nederlandse Spoorwegen et l’Union européenne, via le MIE (Mécanisme pour l’interconnexion en Europe). La ville d’Utrecht est propriétaire. L’investissement total dans les infrastructures de stationnement autour de la gare s’est élevé à environ 50 millions d’euros.
L’un des problèmes logistiques rencontrés par les planificateurs des transports est que dans certaines gares, la plupart des places (jusqu’à 80 %) sont occupées par des « deuxièmes vélos », utilisés pour des trajets de diffusion : les voyageurs utilisent un premier vélo pour se rendre à la gare de chez eux, puis un deuxième à la fin du trajet en train pour se rendre à leur destination finale. Ces voyageurs ne représentent que 12 % des trajets en transports en commun, ce qui signifie qu’ils occupent une part disproportionnée du temps de stationnement. Ce phénomène n’avait pas été anticipé.
Parking extérieur à Amsterdam. Crédit : Alice
La construction de parkings à vélo est aussi liée, en partie, au désir de préserver l’attrait des espaces publics devant les gares et à leurs abords. Les gares très fréquentées ne disposant que d’infrastructures de stationnement limitées étaient confrontées au problème des nombreux vélos laissés à l’extérieur, sur des places de stationnement non sécurisées, et aux vélos garés n’importe comment dans les alentours (d’autant que les vélos néerlandais sont équipés d’une béquille centrale et n’ont pas besoin d’arceau de stationnement). Pourtant, les parkings surveillés restaient souvent sous-utilisés. La société ferroviaire néerlandaise a tenté de résoudre ce problème en rendant le stationnement gratuit pendant les premières 24 heures dans les espaces surveillés. Au bout de 24 heures, une petite somme d’argent est prélevée sur la carte de transports personnelle. Ces nouvelles dispositions ont rationalisé le stationnement, augmenté le taux d’occupation et permis de réduire le problème des vélos abandonnés 12. Si cette mesure, et la construction de nouvelles infrastructures de stationnement, ont été bien reçues par les usagers, des militants du cyclisme ont critiqué le fait que la mise à disposition de nouveaux parkings s’accompagnait souvent d’une politique de tolérance zéro à l’égard du stationnement sur la voie publique.
L’un des aspects essentiels des déplacements vélo-train est qu’au fur et à mesure de leur croissance et de la suppression graduelle des obstacles à cette croissance, de nouvelles dynamiques émergent ou prennent de l’importance. Alors qu’une part plus importante de la population se rend à vélo à la gare, la zone d’influence liée aux modes actifs s’élargit et recoupe ainsi celle d’autres gares. Cette complexité croissante des zones d’influence a des conséquences non seulement pour les options disponibles au niveau individuel, mais aussi pour la conception et la gestion du réseau ferroviaire, notamment en ce qui concerne la répartition des lieux d’arrêt sur le territoire, le train et les autres services et infrastructures de transports en commun proposés dans chaque gare, et à plus long terme, la construction de nouvelles gares et le changement d’usage des terres.
Les chercheurs estiment que les déplacements en vélo-train sont en train de remodeler la dynamique spatiale des villes. Crédit : Smiley Toerist
La redéfinition des zones d’influence est un processus intéressant : 20 % de la population néerlandaise vit à moins de 1 km de l’une des 400 gares du réseau national, mais 70 % vivent à moins de 5 km et 80 % à moins de 7,5 km. De même, 1,1 % de la population vit à 1 km de l’une des 17 principales gares interurbaines, contre 16 % à 5km et 24 % à 7,5 km.
Le temps de marche acceptable jusqu’aux stations de transport dépend des attributs de chacune et des services qui y sont disponibles (de 500m pour le bus local à 2,2 km pour une gare assurant un trafic interurbain). Les distances cyclables acceptables varient de 1,5 km pour une station locale à 7 km pour une gare interurbaine. Ainsi, la pratique du cyclisme élargit surtout la zone d’influence des gares situées en haut de la hiérarchie du système ferroviaire, les modes plus rapides disposant de zones d’influence plus grandes.
D’un point de vue individuel, le chevauchement des zones d’influence des gares avoisinantes augmente considérablement l’éventail de choix des gares d’entrée et de sortie (chacune offrant des infrastructures et des services différents), le nombre de trains accessibles et la variété des voies cyclables permettant de se rendre à la gare (et d’en revenir). Il en résulte une flexibilité et une commodité accrues pour les déplacements non-motorisés.
En dépit de ces avantages pratiques, on sait toujours peu de choses sur l’influence de ce type de déplacements sur les modes de vie. La recherche sur les personnes réalisant des déplacements vélo-train s’est concentrée sur leur parcours d’adoption de ce mode de transport, leur identité et leurs motivations. Dans la Randstadt, les voyageurs pratiquant le vélo-train sont généralement jeunes (vingtenaires et trentenaires) et en bonne forme physique. Ils se répartissent généralement en trois catégories : ceux qui n’étaient pas satisfaits de leurs déplacements pendulaires, y compris les automobilistes et ceux qui se rendaient à pied à la gare ; ceux qui, après avoir déménagé ou changé de lieu de travail, voient l’association vélo-train comme un mode de déplacement plus pratique ; et les individus qui effectuent leurs premiers déplacements pendulaires, comme les étudiants ou les personnes qui accèdent à leur premier emploi.
Un usager sur cinq du vélo-train se déplaçait auparavant en voiture, et une majorité a accès à une voiture mais préfère l’association vélo-train lorsqu’elle est possible, ce qui semble confirmer le potentiel de ce mode de déplacement pour réduire la dépendance à la voiture. Cela souligne l’importance cruciale que revêt l’offre d’une infrastructure adaptée pour favoriser les changements de comportements, qui reposent surtout sur des raisons de commodité, de gain de temps et d’argent, mais sont aussi décrits comme des réponses au désir d’une vie plus saine et durable.
Des étudiants dans le parking de la gare de Delft. Crédit : Fer Troulik
Surtout, les chercheurs ont noté que les personnes connaissant un usager du train-vélo étaient plus susceptibles d’imiter leur comportement. Il est ainsi possible que l’augmentation de la demande croisse de façon non-linéaire à mesure que de plus en plus de personnes adopteront ce mode de transport, ce qui a des conséquences notamment sur la planification des infrastructures de stationnement dont les taux de croissance pourraient être plus élevés qu’actuellement.
L’intégration des systèmes de vélo et de train génère des dynamiques qui n’existeraient pas si chacun fonctionnait de façon indépendance. La planification et la gestion intégrées doivent tenir compte de ces dynamiques et y répondre. Pour ce faire, ces attributions doivent inclure des questions aussi diverses que l’intégration de la signalétique, les cartes, l’information des voyageurs et les abonnements 13, la communication, la promotion et les décisions à long terme concernant l’usage des terres et le développement économique. Dès le départ, la planification et la gestion intégrées nécessitent un changement de mentalité, afin de concevoir l’association vélo-train comme un mode de transport à part entière.
Les politiques des déplacements vélo-train ont, en général, été plus réactives que proactives ; Il s’est agi de gérer les problèmes quand ils émergeaient, plutôt que de chercher à tirer profit du potentiel de transformation positive des transports et de l’espace public. Les déplacements vélo-train continuent de croître plus rapidement que les capacités opérationnelles et les infrastructures. Les transports et la planification restent largement indépendants en termes de gestion, de lobbying, de données, de contrôle et de recherche. Toutefois, les experts s’accordent sur le fait que les mesures récentes contribuent à éliminer les obstacles qui ralentissent la croissance.
En 1999, le ministère néerlandais de l’Infrastructure et de la Gestion de l’eau a lancé le « Programme de stationnement des vélos dans les gares » (Programme Fietsparkeren bij Stations), suivant en cela des demandes de fonds dédiés présentées par l’association cycliste néerlandaise. Le gouvernement a alloué 163 millions d’euros au programme pour la période 1999-2012, et ProRail a été chargé de sa mise en œuvre. La première phase s’est déroulée entre 1999 et 2006. ProRail a couvert 100 % des coûts jusqu’en 2012, mais après cette date l’organisme a exigé des autorités locales le financement de la moitié des coûts avant toute validation de nouveau projet.
En 2012, le ministère a publié le « Plan d’action pour le stationnement des vélos dans les gares », qui a couvert la période 2012-2020, avec un budget total de 221 millions d’euros. Le plan été élaboré en collaboration avec les municipalités et les provinces. ProRail et NS ont aussi été des contributeurs essentiels.
En 2015, le gouvernement néerlandais a lancé le « Programme Tour de Force », une stratégie globale développée avec 23 parties prenantes, dont l’objectif est d’augmenter de 20 % le nombre de kilomètres parcourus à vélo aux Pays-Bas d’ici à 2027. La première étape du programme s’est déroulée entre 2017 et 2020 et la deuxième phase, commencée en 2020, doit se terminer en 2027.
Carte montrant les itinéraires cyclables rapides existants (vert), en construction d'ici 2030 (orange) et projetés mais pas encore financés (marron) aux Pays-Bas. Les cercles indiquent le rayon des distances jugées praticables par les vélos conventionnels et électriques : 7,5 km (clair) et 15 km (foncé). Tour de Force 2020
Parmi ses six thématiques principale 14 , on trouve l’encouragement à la multimodalité et, plus spécifiquement, l’association vélo-train. La création dans les gares de parkings à vélos plus nombreux et mieux conçus, afin de répondre à l’augmentation attendue de la demande, y est une priorité essentielle, comme nous l’avons vu plus haut. Au sein du Programme Tour de Force, le gouvernement néerlandais conçoit sa place comme celle d’un partenaire qui favorise la mise en réseau et les collaborations, commande des recherches, amende la réglementation et co-fonde des projets.
Ces programmes concernent surtout l’offre de places de stationnement et leur résultat est généralement considéré comme positif. Le nombre total de place dans le pays s’élève aujourd’hui à près d’un million. Ils ont aussi, selon les observateurs, amélioré le dialogue entre le gouvernement, les sociétés de chemin de fer, les municipalités, les régions et les acteurs de la société civile. Toutefois, d’autres éléments essentiels pour l’intégration du cyclisme et du voyage ferroviaire, comme les projets de nouvelles gares, les modifications des horaires et les voies cyclables majeures, souffrent encore d’un manque important de coordination.
En résumé, durant les vingt dernières années, le nombre de voyageurs se rendant à vélo à la gare a considérablement augmenté, et les mesures visant à faciliter le stationnement ont abouti à la création de nombreuses infrastructures de grande taille dans les gares et en sous-sol. Ces mesures ont en partie permis de réduire le déficit prévu des places de stationnement, en particulier dans les gares les plus petites. Le lancement d’un programme de location de vélos, qui a rencontré un grand succès, a aussi constitué une évolution positive. Toutefois, les progrès sont restés limités dans le domaine de l’intégration de l’information (les planificateurs de trajets porte-à-porte incluant le cyclisme n’existent pas, ou sont peu développés) et les tarifications associant train et cyclisme sont presque inexistantes.
La mobilité est en transition. Il est essentiel de s’interroger sur les choix politiques et moraux à la base des modèles envisagés, les objectifs et les outils utilisés pour les atteindre. En France par exemple, la proposition que fait Pierre Helwig est claire 15 : il faut des offres de mobilité qui fonctionnent pour tous dans tous les territoires, et qui puissent être mises en œuvre à court terme. Cela nécessite une réorganisation et une réaffectation des réseaux de transports existants, afin de créer des réseaux multimodaux simples à comprendre, cohérents et solidement interconnectés. Le cas des déplacements vélo-train aux Pays-Bas montre que nous avons besoin, pour mettre en œuvre cette vision de réseaux multimodaux fiables et démocratiques, d’une approche dynamique des systèmes. Celle-ci permettrait, dès le stade de la conception, de sensibiliser aux synergies potentielles imprévues et inattendues entre différents aspects des systèmes concernés.
Le système vélo-train, né presque spontanément de la base à partir du développement d’une culture cycliste mature dans une zone au réseau ferroviaire dense, a élargi la zone d’influence des gares. Cela a des répercussions sur la conception des réseaux ferroviaires : combien de gares faut-il construire dans une zone où la plupart des usagers viennent à vélo ? Combien de services ferroviaires chaque gare proposera-t-elle ? Avec quelle capacité ? L’élargissement de la zone d’influence a-t-elle des conséquences sur la valeur des terrains ? Si oui, quels en sont les effets sur la distribution spatiale de l’usage des terres et, en retour, sur les schémas de mobilité ? Une zone urbaine où la mobilité quotidienne fait principalement appel à l’association train-vélo serait-elle différente toutes choses égales par ailleurs d’une zone où cela n’existerait pas ? Que signifie organiser un quartier et sa desserte ferroviaire en fonction des distances cyclables et des temps de trajet à vélo, plutôt qu’en fonction des distances de marche ? Est-ce souhaitable ?
Étant donné que le comportement du voyageur train-vélo est un phénomène qui vient de la base, une planification ascendante peut-elle recréer ce système émergent ? Un service de planification combinée pour le système vélo-train est-il nécessaire ? Et, si oui, à quel niveau de gouvernement devrait-il se situer ?
En dépit d’avantages théoriques, les déplacements vélo-train sont limités dans le monde. Dans l’Union européenne, en moyenne 4 % des usagers du rail accèdent aux gares ou les quittent à vélo. Au Royaume-Uni, environ 2 % des passagers se rendent à la gare à vélo. Quelles sont les perspectives de développement de ce mode de déplacement là où la population cycliste est très réduite ? Existe-t-il des exemples de différentes trajectoires de développement liées à des contextes politiques, économiques, urbains et infrastructurels différents ? Et quel est le potentiel des déplacements vélo-train pour les départs en vacances ?
Les déplacements vélo-train offrent la possibilité, en principe du moins, pour certaines parties de la population et certains trajets, d’aménager les zones urbaines et de connecter les territoires sans que le recours à la voiture soit nécessaire. Mais le cas des Pays-Bas doit être examiné avec prudence. En dépit de chiffres impressionnants sur la popularité des déplacements vélo-train, et de toute l’attention accordée par les médias internationaux aux gares associant les deux modes de transports, aux Pays-Bas aussi la voiture reste reine. Le pays compte plus de 9 millions de voitures en circulation (un million et demi de plus qu’il y a dix ans) et le nombre de voitures pour 1 000 habitants est passé de 197 en 1970 (lorsque la voiture était considérée comme un problème à régler) à 662 en 2019. En 2019, les conducteurs néerlandais ont parcouru 122,5 milliards de kilomètres, une augmentation de 1,9 % par rapport à 2018, qui avait déjà connu une augmentation de 1,2 % par rapport à 2017. Le nombre de kilomètres parcourus par voiture et par an n’est pas moins important que dans les pays comparables d’Europe de l’Ouest. Les déplacements vélo-train ne pourrons donc participer à la construction de systèmes de mobilité nouveaux qu’avec des mesures politiques audacieuses visant à réduire l’usage de la voiture.
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1 La vitesse moyenne d’un cycliste néerlandais est de 12,4 km/h, et de 13 km/h avec un vélo électrique, et de 5-6 km/h pour la marche. Source : https://bit.ly/3NpEVxD
2 « Avec une vitesse classique trois fois supérieure à celle de la marche rapide (15-18 km/h contre 5-6 km/h), le vélo peut couvrir une distance trois fois plus grande dans le même temps. En particulier, la relation quadratique entre le rayon et la surface signifie que le vélo peut couvrir une zone d’influence neuf fois plus grande que la marche. » (Kager et Harms, 2017)
3 37 % des kilomètres parcourus le sont à des fins de loisir ; 24 % concernent des trajets liés au travail
4 Cela représente 1,3 vélo par tête, le chiffre le plus élevé au monde. 84 % des Néerlandais possèdent un vélo. Certaines personnes en possèdent donc plus d’un.
5 Par comparaison, il y a 2 579 gares au Royaume-Uni, et 1,8 million de personnes prennent le train quotidiennement, sur une population de 67,3 millions. En France, il y a 3 054 gares et environ 4 millions d’usagers quotidiens, sur une population de 64,5 millions. Dans le système néerlandais de transports en commun, la majeure partie des déplacements rapides sont assurés par le train. Le train représente 5,7 % des déplacements pour 21 % des kilomètres si l’on s’intéresse à l’ensemble des services de transport en commun, mais concernant les services express (vitesse effective de plus de 60 km/h en ligne droite), il représente 97 %des déplacements et 99 % des kilomètres.
6 Distance en km parcourue à vélo par personne et par an entre 1990 et 2017. Pays-Bas : 1994-1997 : 875, 2014-2017 : 899. France : 1994-1997 : 83, 2006-2009 : 97. Danemark : 1994-1997 : 666, 2014-2017 : 616. Angleterre : 1994-1997 : 69, 2014-2017 : 90. Suisse : même chiffre pour les deux périodes : 329. Norvège : 1994-1997 : 161, 2014-2017 : 236.
7 En 2008, ces vélos de locations étaient utilisés pour 0,5 million de déplacements. Le chiffre atteignait 1,9 million en 2015, 3,2 millions en 2017, 5,3 millions en 2019 et 3,4 millions en 2021.
8 En 2023, la population des Pays-Bas est estimée à 17,6 millions d’habitants, et la densité de population est de 522 habitants par km2. La superficie totale est de 33 720 km2. La population est urbaine à 91,6 % (16 143 184 habitants en 2023).
9 La population de ces villes varie de 741 636 habitants à Amsterdam à 515 000 à La Haye, 162 500 à Haarlem, 121 000 à Leyde et 90 000 à Hilversum.
10 Le prix a augmenté, de 2,75 € euros en 2003 à 3,85 € euros en 2017, puis à 4,45 € en 2024. Voir : https://www.ns.nl/en/door-to-door/ov-fiets/how-it-works.html
11 Autres possibilités favorisant l’usage du vélo lors des trajets de diffusion : (a) prendre son vélo dans le train. Les vélos pliants sont admis gratuitement, les vélos ordinaires sont autorisés hors des heures de pointe contre un supplément ; (b) les voyageurs pendulaires ont un deuxième vélo à destination pour se rendre à leur travail ; (c) vélos publics partagés.
12 Les pouvoirs publics locaux encouragent aussi les entreprises à construire leurs propres parkings à vélos. Le siège de Rabobank Utretch, qui a récemment déménagé dans un bâtiment neuf, en fournit un exemple. Rabobank a une politique de mobilité active qui consiste notamment à encourager les employés à venir travailler à vélo ou en transports en commun. Ainsi, pour les 6 000 employés du siège, un parking avec 1 300 places de stationnement pour les vélos a été construit. On peut y accéder par une piste cyclable qui existait déjà, et les rangements sont ouverts avec un pass électronique, pour assurer la sécurité. Le parking offre des vestiaires, des douches, 800 casiers et un atelier de réparation. Alors que l’entreprise avait anticipé une augmentation de l’utilisation, les supports sont déjà en nombre insuffisant.
13 Par exemple : panneaux de signalisation cyclistes indiquant la direction des stations de transports en commun, plan du réseau de transport indiquant les principales voies et infrastructures cyclables, disponibilité des vélos de location dans les planificateurs de trajet, intégration des offres de location de vélo courte ou longue durée dans le cadre des abonnements de transport, intégration du parking à vélo ou des locations de vélo dans les tickets de transport.
14 Autres thématiques essentielles : faire du vélo en ville, un réseau cyclable de haute qualité, stimuler l’usage du vélo et les initiatives cyclistes, soutien au cyclisme et recherche.
15 https://forumviesmobiles.org/recherches/15536/100-reseaux-de-metro-pour-desservir-la-france
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xLe système vélo est l’ensemble des aménagements, des matériels, des services, des règlements, des informations et des formations permettant d’assurer sur un territoire une pratique du vélo efficace, confortable et sûre.
En savoir plus xLa mobilité active a trait à toute forme de déplacement effectué sans apport d’énergie autre qu’humaine (sans moteur) et par le seul effort physique de la personne qui se déplace. Elle se réalise à l’aide de modes eux-mêmes dits « actifs », principalement la marche et le vélo.
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