« Le “système voiture”, un modèle occidental problématique qui a colonisé l’espace public »
Date de publication
24 mai 2024
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Présentation longue
A l’instar de la taxe carbone sur l’essence avant le mouvement des « gilets jaunes », la voiture électrique semble faire consensus chez les politiques et chez les experts. Risque-t-elle de connaître le même sort ?
Si elle est plébiscitée, bien sûr, par le monde de l’automobile, qui entrevoit, grâce à elle, un avenir écologique à des véhicules responsables de la moitié des émissions de CO2 du transport, elle est aussi soutenue réglementairement (interdiction de la vente de voitures thermiques en 2035, zones à faible émission) et financièrement (primes aux consommateurs, aides aux constructeurs, relocalisations) par les politiques nationales et européennes, tandis que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat mise sur l’électrification pour lutter contre le réchauffement de la planète.
Faut-il s’en réjouir ? Certes, le bilan carbone de la voiture électrique est meilleur que celui de la voiture thermique… et elle fait moins de bruit, ce qui n’est pas rien ! On sait pourtant que l’empreinte environnementale de la production et de la destruction de la voiture électrique est moins bonne que celle de la voiture thermique, a fortiori si elle est réalisée et acheminée avec de l’énergie carbonée. On sait aussi qu’à l’usage l’avantage diminue avec son poids et sa taille, qui ont malheureusement tendance à grossir. Pas de chance, ce sont les gros modèles, plus profitables, qui ont la préférence des constructeurs français, nous rendant dépendants de pays comme la Chine pour les petites cylindrées. Dommage aussi, plus la batterie est petite, plus sa recyclabilité est faible, et moins la voiture est réparable. Sans parler de la persistance des particules fines dues à l’abrasion des pneus, qui grossissent eux aussi.
Pire, si la comparaison donne l’avantage à la voiture électrique idéale (petite, réparable, recyclable), elle élude la question de la taille de la flotte en circulation en 2050, échéance retenue pour atteindre la neutralité carbone. Car elle justifie implicitement le renouvellement complet du parc existant et, par conséquent, la pérennisation du “système voiture”, modèle occidental problématique et inaccessible au reste de la planète.
Le paradoxe de la mobilité
Pour atteindre notre niveau d’équipement (plus de 80 % des ménages), il faudrait passer de 1,5 milliards à 4 milliards de véhicules en circulation dans le monde. A ce niveau, et sans même évoquer les impacts environnementaux de leur extraction, on pressent que des matériaux vont manquer (lithium et cuivre sûrement, nickel, manganèse et cobalt peut-être). A-t-on la capacité d’alimenter un tel parc mondial ? A défaut, à quel titre voudrions-nous que l’Asie, l’Amérique latine et l’Afrique abandonnent les énergies fossiles pour lutter contre le réchauffement climatique, quand nous prévoyons de leur revendre nos anciens véhicules thermiques ? Et, même en France, sachant qu’au rythme actuel de renouvellement du parc, il devrait manquer quelques millions de véhicules électriques en 2050, faudra-t-il décider de qui pourra avoir ou non une voiture électrique, de qui pourra accéder ou non à tel ou tel territoire ? N’est-il pas paradoxal de chercher à renouveler le parc automobile, tout en demandant aux Français… de moins utiliser leur voiture ? En cas de réussite d’une électrification totale du parc, le rendement de la voiture en serait d’autant amoindri, alors qu’il est déjà d’une insigne faiblesse (plus de 1 tonne de matière à déplacer pour une personne de 70 kilos en moyenne) ! En cas plus probable d’échec, les politiques alternatives seront condamnées à rester très minoritaires, la voiture continuant à représenter 70 % des déplacements et des distances parcourues.L’occasion d’être radical
Et si le problème était… la voiture ? On sait qu’elle contribue de façon protéiforme à la mauvaise qualité de la vie, que ce soit pour le temps perdu dans les embouteillages aux abords des grandes villes ou la diminution de l’espérance de vie en bonne santé liée essentiellement à l’augmentation du temps passé assis – paradoxe de la sédentarité en mouvement ! Sans même revenir sur le nombre d’accidents et de morts de la route, que l’on n’accepterait d’aucune autre politique publique. La voiture a aussi colonisé l’espace public et l’a reconverti en zone de circulation rapide et dangereuse, au point de s’en approprier jusqu’à 80 %, au détriment des places et des espaces de flâneries, en ville comme à la campagne. Ont été exclus, sans discussion ou presque, les enfants, désormais durablement cantonnés dans les parcs ou tenus fermement par la main, les marcheurs et les piétons, relégués latéralement sur des trottoirs trop étroits et les accotements des routes secondaires, et tous ceux qui ne conduisent pas ou pas toujours, de plus en plus nombreux, parce qu’ils sont trop jeunes ou trop vieux, ne pouvant pas ou ne voulant pas conduire aussi vite ou de nuit. Autant de problèmes sociaux et territoriaux auxquels la voiture électrique ne répondra pas. N’est-ce pas l’occasion d’être plus radical ? En gardant à l’esprit que le bilan d’un car thermique est meilleur que celui d’une voiture électrique, il suffirait d’attribuer une part de notre pléthorique réseau routier à un autre système de mobilité intégrant marche et vélo pour les trajets courts, cars cadencés vingt-quatre heures sur vingt-quatre ou presque pour les Si nous ne voulons pas un mouvement de « gilets jaunes » planétaire parce que tout le monde n’aura pas son auto électrique, passons-nous dès demain de ce formidable objet du siècle passé.Chapô
L’experte de la mobilité Sylvie Landriève craint, dans une tribune au « Monde », que le simple remplacement du thermique par l’électrique ne réduise en rien l’empreinte négative de l’automobile sur nos sociétés.
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