À la fin du XXIe siècle, l'automobile telle que nous la connaissons aujourd’hui sera devenue une pièce de musée. Pour la société post-automobile, le professeur John Urry imagine des formes de mobilité flexibles et intelligentes, qui ne passeraient plus par la propriété individuelle des véhicules.
John Urry
À la fin du XXIe siècle, l'automobile telle que nous la connaissons aujourd’hui sera devenue une pièce de musée. Pour la société post-automobile, le professeur John Urry imagine des formes de mobilité flexibles et intelligentes, qui ne passeraient plus par la propriété individuelle des véhicules.
L’industrie automobile a joué un rôle clef dans l’économie et les formes de vie sociale qui se sont développées au cours du XXe siècle. Il était admis que cette industrie allait continuer à croître sans rencontrer de concurrence ni subir de renversement de tendance. De nombreux signes du déclin de l’automobile apparaissent pourtant dès le début du XXIe siècle, à commencer par l’effondrement spectaculaire de constructeurs américains emblématiques qui avaient contribué, dans une certaine mesure, à façonner l’idée de mobilité du siècle passé. Cet effondrement a provoqué le déclin économique et démographique des villes américaines où étaient implantées ces entreprises, comme Detroit, probablement la plus grande ville au monde vivant de l’industrie automobile. À cela s’ajoute la baisse des réserves mondiales de pétrole, au rythme de quatre barils consommés pour un nouveau baril produit. Pour la première fois depuis 25 ans à peu près, le nombre de kilomètres parcourus en voiture aux États-Unis a connu une diminution. Les jeunes Américains, mais aussi bien sûr les jeunes Européens, semblent s’intéresser davantage au dernier modèle de Smartphone qu’à une voiture neuve. Enfin, plusieurs auteurs ont constaté une stagnation dans certains modes de déplacement et ce qu’ils ont décrit comme un pic dans les voyages qui aurait été atteint dans certaines régions d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest.
D’une certaine manière, les problèmes des réserves en pétrole et du réchauffement climatique ont fait naître un réel désir de trouver des formes alternatives de déplacements rapides. On dispose pour cela de plusieurs options. Il faudrait notamment réfléchir à un éventuel système post-automobile associant les technologies les plus récentes et de nouvelles formes d’organisation. On pourrait ainsi imaginer des déplacements individuels au moyen de véhicules plus petits, très légers et intelligents, fonctionnant peut-être sur batterie, que l’on pourrait louer, comme ces vélos en libre-service que l’on trouve à Paris, Londres ou Barcelone. Les rues seraient pleines de mini-voitures, souvent à vitesse contrôlée, de minibus, de vélos classiques et électriques, de voitures hybrides, de systèmes de transport rapide éventuellement sans conducteur et de piétons. Idéalement, tous ces modes de déplacement seraient harmonieusement complétés par des systèmes de transport public sur grande échelle. Les Smartphones ou leurs successeurs permettraient de gérer l’accès et le paiement à ces formes de mobilité variées et interconnectées, et l’on pourrait imaginer que des quotas carbone soient délivrés, mesurés et contrôlés, par exemple au moyen de nouvelles applications Smartphones ou des moyens de communication qui leur succéderont. Ce nouveau système sera davantage contrôlé, réduisant la liberté de se déplacer à pied ou en voiture sans laisser de traces. Tout déplacement laissera des traces et fera l’objet d’un paiement. Et cette sorte de nouveau système socio-technologique fonctionnera aussi grâce à une intégration plus importante du numérique et des transports. Des logiciels permettront de déterminer intelligemment les meilleures façons de réaliser certaines tâches, qu’il s’agisse d’organiser une rencontre ou de se rendre en un lieu donné, de rester là où nous sommes ou de communiquer par d’autres moyens. Dans certains cas, les réunions pourront même être simulées grâce à des moyens de communication virtuels tout aussi efficaces que les rencontres en face-à-face.
Dans ce scénario d’avenir, le numérique pourrait en partie remplacer la mobilité et réduire jusqu’à un certain point la nécessité de se déplacer, notamment sur de longues distances. Des mutations technologiques pourraient se produire, grâce auxquelles la vie économique, sociale et familiale ne se déroulerait plus physiquement mais virtuellement, sans perte de qualité. La réalisation d’un futur numérique de ce genre est une chose compliquée. On en trouve bien sûr de nombreux indices, comme le système de location de voitures électriques à Paris, ainsi que les nombreuses inventions, les nouveaux systèmes et applications informatiques. La situation est un peu comparable à celle du début du XXe siècle, lorsque ce que nous appelons le système automobile s’est mis en place, ce qui ne s’est pas produit d’un seul coup mais peu à peu, au fil d’innovations, d’expériences et de tâtonnements multiples. La question se pose alors de savoir si les innovations de ce type qui voient le jour dans le monde entier pourraient contribuer à créer un nouveau système socio-technologique global, un système numérique post-automobile qui résulterait d’un grand nombre d’éléments nés des technologies, des matériaux, des politiques, des systèmes de paiement, des pratiques sociales etc.
Un des aspects intéressants d’un tel système méritant d’être développé est de nous faire passer d’un système de propriété à un système d’accès aux moyens de mobilité et à d’autres services, un peu à la manière de ce que décrivait Jeremy Rifkin il y a plusieurs années. Quelques projets pilotes sont menés qui vont tous dans ce sens : services d’auto-partage, systèmes de location de voitures neuves ou programmes de paiement à la carte de véhicules électriques. Un rôle essentiel reviendrait aux moyens de communication permettant d’accéder aux systèmes de mobilité interchangeables, reposant plus sur le paiement que sur la propriété. Pour certains de ces aspects, un système post-automobile présuppose de mettre en place des dispositifs permettant de dépasser la notion de propriété privée des moyens de transport. Vers le milieu du XXIe siècle, on peut s’attendre à ce que plusieurs composantes au moins de ce système de mobilité post-automobile aient pris leur essor, probablement dans des régions éloignées des grands centres de l’industrie automobile mondiale. Parmi les innovations qui en font partie, mentionnons le vélo électrique en Chine, qui en compte déjà 120 millions, le système de remplacement de batteries lancé par Better Place en Israël, certains systèmes de transports publics intégrés au Brésil, l’ambition de la région de San Francisco de devenir la capitale américaine de la voiture électrique, certaines innovations développées en Chine, etc. On observe donc ce que certains auteurs ont qualifié de « petites fissures » dans le système actuel et l’apparition de tout un éventail de niches de développement. Reste à savoir si, et comment, l’association de quelques-unes de ces niches pourrait donner naissance à un nouveau système socio-technologique reposant sur la voiture électrique. Il y a bien sûr des obstacles considérables au développement d’un tel système post-automobile, qui devra nécessairement rendre obsolète au fil des ans le système automobile fondé sur l’acier et le pétrole qui a dominé le XXe siècle.
Il serait aussi important d’éviter le phénomène dit de « rebond » : le nouveau système étant tout simplement plus économique et plus agréable, les usagers en viendraient ainsi à se déplacer plus souvent et plus loin. Il ne faut pas oublier qu’un des problèmes des véhicules électriques est qu’ils consomment de l’électricité, encore majoritairement produite à partir de combustibles fossiles. Mais ils sont malgré tout quatre fois plus efficaces que les véhicules à essence. Il est donc tout à fait possible qu’à la fin de ce siècle, le système automobile fondé sur l’acier et l’essence, tel que nous le connaissons et l’apprécions aujourd’hui, ait disparu. Si les « voitures » existent encore, ce sera sans doute dans les musées, dans la mesure où ces derniers ne seront pas eux aussi devenus virtuels. Les voitures, ces géants d’acier pesant 1 à 2 tonnes, fonctionnant à l’essence, détenus par des particuliers, conçus pour quatre personnes au moins, avec tout leur réseau de routes et de parkings, seront alors considérées comme des dinosaures, des vestiges du XXe siècle. Les générations futures se demanderont comment il fut possible de vivre en compagnie de tels monstres, et elles s’émerveilleront en voyant ces voitures, comme nous nous émerveillons aujourd’hui devant les belles américaines des années 1950 dans les rues de La Havane. Ainsi, les voitures seront considérées comme étant tellement « typiques du XXe siècle », il est possible qu’on en vienne à les considérer, dans la perspective du XXIe siècle finissant, comme des dinosaures.
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
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Pour citer cette publication :
John Urry (10 Juin 2013), « Quelle mobilité après l'ère de l'automobile ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 18 Décembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/videos/874/quelle-mobilite-apres-lere-de-lautomobile
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