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Un modèle emblématique de journée sans voiture : la Ciclovía à Bogota

Notes de recherches
Début: Juillet 2021
Fin: Mai 2022

Chaque dimanche depuis près de 50 ans, la municipalité de Bogota ferme à la circulation motorisée un réseau continu de rues et d’avenues pour que les habitants puissent y circuler en sécurité à pied ou à vélo. D’origine militante et associative, cette initiative s’est progressivement institutionnalisée, pour devenir aujourd’hui une mesure centrale de la politique de la ville en matière de loisir et d’amélioration de la qualité de vie. Aujourd’hui source d’inspiration pour les plus grandes métropoles mondiales, comment s’est déployé cet événement d’une ampleur inédite ?

Acteurs de la recherche

 

Contact : Claire-Marine Javary


Les principaux résultats

La Ciclovía trouve son origine dans une grande manifestation militante organisée en 1974 pour dénoncer la domination de l’automobile dans l’espace public de la capitale colombienne. Progressivement institutionnalisée, elle est aujourd’hui un pilier de la politique urbaine de loisir et d’amélioration de la qualité de vie des habitants. Véritable institution locale, elle implique une organisation et un soutien logistique important pour sécuriser les 127 kilomètres de voies dédiées chaque dimanche aux modes actifs. L’événement, d’une ampleur inédite, rencontre un succès populaire incontestable.

L’histoire de la Ciclovía : d’une manifestation militante à un événement institutionnalisé

Jaime Ortiz Mariño, aujourd’hui architecte et consultant sur les politiques de mobilités, est à l’origine de la « Grande manifestation de la pédale » ( Gran Manifestación del Pedal ) organisée en 1974 pour dénoncer la prolifération automobile dans la ville. Inspiré par les revendications portées par la jeunesse américaine et les communautés de la contre-culture, le mouvement érige le vélo comme symbole de résistance, au cœur d’un projet social et environnemental alternatif pour la ville. Quelques années plus tard, l’événement s’institutionnalise avec la fermeture à la circulation de quatre couloirs par la municipalité, formant un réseau d’une vingtaine de kilomètres. Son extension et son caractère dominicale sont actés au début des années 1980, avec toutefois un manque de moyens et de soutien politique qui affaiblissent l’événement. C’est dans les années 1990 que la Ciclovía prend une autre ampleur, sous l’impulsion des maires Antanas Mockus et Enrique Peñalosa qui décident de multiplier son budget par dix, d’ouvrir le financement à des partenaires privés et de renforcer sa dimension récréative. À la fin des années 1990, ce sont plus de 120 kilomètres de voies qui sont réservés aux modes actifs et attirent chaque semaine plus d’1 million d’habitants.

La Ciclovía aujourd’hui : une politique urbaine fondée sur une offre récréative

Aujourd’hui, la Ciclovía est pilotée et organisée par le département des Loisirs et des Sports de la mairie de Bogota, et mobilise un grand nombre d’acteurs publics du domaine des politiques de santé, d’animation, de jeunesse, mais aussi des transports et de la mobilité. Le choix de la municipalité est de profiter de cet espace public dédié pour déployer des activités ludiques et sportives (gym, théâtre…), afin d’attirer des participants et créer du lien social. L’événement est aussi l’occasion de proposer des actions d’informations et de sensibilisation (culture civique, lutte contre le Covid-19, etc.). Le soutien politique, financier et administratif est très important et permet, en dédiant 1,4 millions d’euros par an à l’organisation de l’événement, de déployer la logistique nécessaire à sa bonne tenue : fermeture de la circulation par des barrières et de la signalétique, encadrement par des « gardiens » chargés de l’information et de la sécurité, déploiement des activités, etc.

L’impact de l’initiative

Les données disponibles et les observations réalisées par des équipes de recherche permettent de cerner les effets principaux de cet événement :

  • Une participation massive et populaire : entre 2015 et 2021, la Ciclovía a rassemblé en moyenne 1,5 million d’habitants chaque semaine, dans cette ville qui en compte 7 millions. Les principaux modes utilisés par les participants sont le vélo (68%), suivi de la marche (22%), du skate ou de la trottinette (10%) et du jogging (10%). Les participants restent en moyenne 3 heures à la Ciclovía .
  • La création de lien social : l’événement se veut inclusif et populaire, ouvert à tous les quartiers de la ville, y compris les plus pauvres. La grande majorité des participants (92%) ont indiqué dans une enquête de 2009 appartenir aux catégories populaires et aux classes moyennes. Une autre étude réalisée en 2013 témoigne d’une augmentation du capital social chez les participants de la Ciclovía : renforcement de la confiance en soi et de la confiance mutuelle, du lien et de la solidarité entre participants.
  • Des externalités positives sur la santé : d’après les enquêtes réalisées auprès des participants, leur principale motivation est la pratique d’une activité sportive pour se maintenir en bonne santé. Les habitants qui participent à la Ciclovía sont moins sédentaires que les autres : ils sont plus susceptibles que la moyenne de marcher plus de 2 heures par semaine. L’événement est aussi vecteur d’amélioration de la qualité de l’air et de réduction de la pollution sonore.
  • Une dimension symbolique : l’événement propose un imaginaire urbain alternatif, en montrant à quoi ressemblerait une ville avec davantage d’espace dédié aux activités extérieures, un air plus respirable et moins de circulation motorisée. Devenue une référence mondiale depuis les années 2000, Bogota inspire les réflexions renouvelées après la crise du Covid-19 sur l’appropriation des espaces publics par les modes actifs.

Les conditions du succès

  • Le terreau d’une culture populaire du vélo : d’après le créateur de la Ciclovía, « Riches ou pauvres, les Colombiens adorent le cyclisme, ont des champions, mais ont aussi accès à des vélos et savent les réparer. » Le cyclisme est en effet le sport national en Colombie et concerne autant les milieux populaires que les classes supérieures et les élites politiques. Les magasins de vélo ( bicicletarias ) sont présents dans toute la ville.
  • Une volonté politique forte : malgré des périodes de fragilité, l’existence de la Ciclovía n’a jamais été menacée. Elle a été portée, plus ou moins fortement, par les différents maires de la ville, avec des objectifs parfois différents : politique récréative pour les classes populaires, politiques de revalorisation de l’espace public et de l’image de la ville ou politique de santé et de lutte contre la sédentarité.
  • Rendez-vous hebdomadaire qui fidélise : l’événement est devenu depuis les années 1980 une tradition. Les habitants, et en particulier les familles, ont pris l’habitude de s’y rendre chaque dimanche et connaissent les contraintes sur la circulation automobile ce jour-là. Le caractère ponctuel légitime aussi les restrictions de circulation, qui seraient peu acceptées si elles étaient permanentes.

Limites et leçons pour de futurs déploiements

  • Encourager la pratique du vélo comme moyen de transport quotidien : la nature temporaire et récréative de l’événement ne permet pas forcément de changement de comportement de mobilité au quotidien. D’après les militants pro-vélo, les pistes cyclables demeurent insuffisantes pour se déplacer de façon fonctionnelle le reste de la semaine.
  • Lutter contre les inégalités et les obstacles à l’accessibilité : si la Ciclovía a fait de l’inclusion une de ses priorités, la réalité montre que seulement 1/3 des participants sont des femmes, et que très peu d’activités sont adaptées pour les personnes à mobilité réduite. Par ailleurs, plus de la moitié des participants ne se sent pas en sécurité face au risque d’accident corporel.
  • Inclure les citoyens dans la gouvernance et l’organisation : la conception et les conditions spatiales, temporelles et fonctionnelles de l’événement sont définies par les pouvoirs publics. Une véritable appropriation passerait par une intégration plus directe des habitants dans son déploiement.

La fiche complète en téléchargement

Pour connaître toutes les informations sur l’historique de cette initiative, ses actions et ses résultats, téléchargez la fiche synthétique réalisée par le Forum Vies Mobiles :

Ciclovia Bogota Rapport_0.JPG

Mobilité

Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.

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