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L’usage ludique des engins à roues développe-t-il l’autonomie des enfants ?

Recherches terminées
Début: Octobre 2024
Fin: Avril 2025

S’il est établi que développement d’une mobilité autonome est essentielle au développement des enfants, ce n’est pas pour autant qu’ils en font eux-mêmes une priorité, ni même un désir. Ils démontrent bien souvent une appétence plus forte pour les mobilités ludiques, préférant rouler que marcher. Vélo, trottinette, skateboard, rollers : autant de modes de déplacement qui façonnent le rapport des enfants de moins de 10 ans à la mobilité. Partant de ce constat, des étudiants en aménagement de l’université Paris 1 posent la question suivante : est-ce que l’usage ludique des engins à roues (et son éventuelle promotion par les pouvoirs publics) favorise la mobilité autonome des enfants au quotidien ?

Acteurs de la recherche

 

Chaque année, le Forum Vies Mobiles pilote des ateliers étudiants avec un réseau d’écoles et d’universités. Originaux et engagés, ces ateliers explorent des thématiques importantes mais peu traitées dans la perspective du tournant écologique et social des mobilités. Des étudiants du Master 2 Aménagement et Urbanisme de l’université Paris 1 ont cette année répondu à la question suivante : « L’usage ludique des engins à roues développe-t-il l’autonomie des enfants ? »

Ce que le Forum Vies Mobiles retient :

  • L’usage ludique des engins à roues par des enfants entre 7 et 10 ans n’entraîne pas directement leur autonomisation. Les compétences et le savoir-être acquis à l’occasion de ces pratiques ne contrebalancent pas les peurs des parents (enlèvement, accident…). À ces peurs s’ajoutent des envies parentales comme passer du temps ensemble tant qu’il est encore temps, c’est-à-dire avant le collège.
  • Selon les professionnels enquêtés, ces compétences peuvent néanmoins être mobilisées au collège.
  • Être autonome dans ses déplacements apparaît comme une compétence essentielle pour de nombreux parents au capital culturel moyen et élevé. Cette stratégie éducative est confrontée aux craintes et envies parentales et est l’objet de nombreuses réflexions.
  • L’apprentissage et la pratique des engins à roues est plus importante chez les enfants de parents mobilisant ces engins au quotidien. Il existe donc un phénomène de reproduction sociale.
  • L’apprentissage des engins à roues et leurs usages ludiques par les enfants sont réalisés dans des lieux aux qualités spécifiques (peu ou pas de voitures, revêtement lisse, visibilité forte…). Ils sont tant informels (impasse, place, parking…) que dédiés (skatepark et pumptrack). Pour le Forum Vies Mobiles, leur répartition n’est pas homogène dans le territoire français, ce qui peut conduire à des inégalités territoriales dans la pratique des engins à roues par les enfants.
  • Ces espaces s’apparentent souvent à des « bulles ludiques » dans la ville ne pouvant être reliées de manière autonome par les enfants.

État de l’art

Les sociétés occidentales sont marquées depuis la fin du XXe siècle par un retrait des enfants des espaces publics (Karsten et van Vliet, 2006), un repli sur des loisirs plus intérieurs (Rivière, 2021 ; Clark et Dumas, 2021) et une autonomie des déplacements en recul (sorties en autonomie moins fréquentes et moins lointaines). En outre, malgré les bienfaits reconnus par la littérature scientifique en ce qui concerne la mobilité active pour les enfants, la voiture est leur mode de déplacement prédominant (52,1%) devant la marche (41,1%) et le vélo (1,5%).

La mobilité enfantine est le fruit de tension-négociation avec les parents concernant l’autonomie des enfants. L’orientation et les règles de sécurité ne sont pas des freins importants pour les parents et les enfants. En revanche, les peurs de l’enlèvement et des accidents avec des véhicules motorisés sont aujourd’hui très fortes chez les parents (Forum Vies Mobiles, 2024). En effet, avec le développement de l’automobile, les espaces publics deviennent des sources de peurs parentales (Rivière, 2021). Ils apparaissent comme des environnements hostiles pour les enfants, ce qui justifie alors de les en exclure (De Jesus et al., 2010 ; Kawachi et al., 1999 ; Mullan, 2003). Par ailleurs, le système automobile a conduit à un allongement des distances entre les lieux de vie (Forum Vies Mobiles, 2021) . Ainsi, en dehors de l’hypercentre de grandes villes, de nombreux lieux d’activité extrascolaires sont bien souvent inaccessibles en modes actifs pour les enfants, du fait des distances trop longues à parcourir.

Les pouvoirs publics souhaitent favoriser le développement de mobilité active des enfants. En 2023, près d’un quart d’une classe d’âge bénéficiait du programme « Savoir Rouler à Vélo » (SRAV). Un chiffre important, restant en dessous des objectifs fixés. Ce programme vise à apprendre à faire du vélo tout en insistant sur la sécurité routière. Il conçoit l’usage des engins à roues avant tout sous un angle utilitaire et non ludique.

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Figure 1 : Infographies détaillant le SRAV issus du site du ministère des sports, de la jeunesse et de la vie associative

Cette approche mérite d’être interrogée : développer une pratique ludique des engins à roues n’est-il pas plus pertinent que d’apprendre à respecter le code de la route pour développer la mobilité active et autonome des enfants ? Plusieurs éléments pourraient aller dans ce sens : selon une enquête quantitative à paraître à l’automne 2025, l’usage d’engins à roues par les enfants serait très largement ludique, et notre précédente étude sur les besoins spécifiques à la mobilité autonome des enfants montre que l’appétence des enfants pour ces modes est liée à leur caractère récréatif. De plus, pour les adultes, la littérature identifie la pratique ludique du vélo comme un tremplin vers sa pratique utilitaire (Adam, Ortar, Poisson, 2022). Enfin, de nombreuses ressources et infrastructures existent : les fédérations sportives dénombrent près de 800 pumptracks aujourd’hui en France , mais aussi 610 clubs de randonnées en roller ou même 80 clubs de trottinette !

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Figure 2 : état des lieux des mobilités actives de loisir

La méthodologie et les terrains d’étude :

Les enfants étudiés appartiennent à la classe d’âge des 7 à 10 ans, c’est-à-dire l’âge où l’autonomie est possible (Piaget et Inhelder, 1948) et se construit avant de devenir généralisée (au collège).
À partir de leur travail bibliographique, les étudiants ont élaboré le concept de « ludomobilité ». Ce dernier intègre les déplacements vers les lieux de loisir, en mode actif ou non (mobilité vers le loisir) ; les déplacements jugés ludiques et récréatifs à vélo, roller, trottinette, skateboard (mobilité comme loisir) ; et les pratiques de loisir utilisant ces objets pour leur caractère ludique (mobilité de loisir). Ils se sont dès lors demandé s’il existait un continuum entre les mobilités actives de loisir (ludomobilités actives) enfantines et l'autonomie des enfants dans leurs mobilités quotidiennes ?

Pour ce faire, ils ont mené une enquête qualitative auprès d’enfants, de parents et d’acteurs institutionnels sur plusieurs terrains dans des associations et dans des lieux où la ludomobilité est pratiquée. Quatre territoires ont été étudiés : une commune périurbaine (Lattes dans l’Hérault) un bourg rural (Grand-Fougeray en Ille-et-Vilaine), la Place des Fêtes (située dans un quartier populaire de Paris) et le Parc Blandan (situé dans un quartier mixte de Lyon).

Les résultats :

Entre 7 et 10 ans, les pratiques de ludomobilité n'assurent pas une autonomisation immédiate des enfants. Très peu de trajets indépendants et autonomes ont été identifiés sur la classe d’âge étudiée, en particulier vers les lieux dédiés à la pratique récréative des engins à roues. Les freins cités par la revue de littérature (peur de l’enlèvement et de l’accident notamment) ont été retrouvés au cours de l’enquête. À ceux-ci s’ajoute le fait que beaucoup de parents aiment accompagner leurs enfants : « c’est un moment de partage […] un moment privilégié », selon un parent interrogé. Les parents interrogés savent que cela ne « va pas aider à grandir » leurs enfants. Ils savent qu’ils pourraient faire le trajet tout seul quasiment à chaque fois, mais « il suffit d’une fois » où l’enfant « ne fait plus trop gaffe ». Aussi, les étudiants constatent que l’aspiration à être autonome des enfants précède l’autonomie accordée par les parents.

Néanmoins l'apprentissage et les pratiques de ludomobilité participent bien à l'acquisition de compétences indispensables pour des trajets autonomes : repère dans l’espace, maîtrise de son objet roulant, connaissance des règles de sécurité, comportement face aux autres usagers. Elles apportent également un savoir-être utile pour l'autonomisation : prise de confiance dans les espaces publics, fierté et plaisir de rouler, tentative de quelques détachements physiques des adultes. Ces compétences et savoir-être peuvent être activées ultérieurement, au collège notamment, et ainsi accroître un potentiel de mobilité et d'appropriation future du champ des possibles en améliorant leur motilité (Kaufmann et Flamm, 2002) .

Pour Nadja Monnet, le ludique a des limites importantes. L’enfance est le temps de l’apprentissage de l’autonomie, pas celui du jeu. Selon elle, tous les enfants ne savent pas jouer, cela s’apprend. Et tous les enfants qui savent jouer n’ont pas toujours envie de jouer ; ils sont parfois très sérieux. Par exemple, construire une cabane n’est pas nécessairement jouer (Monnet, 2022). Mais l’approche portée par le SRAV a aussi ses limites selon Cyril Vernay, éducateur à la mobilité à la Maison du Vélo de Lyon Métropole. Il apparaît insuffisant pour ceux ne sachant pas ou seulement assez mal faire du vélo. Pour apprendre à signifier que l’on tourne à droite, il faut savoir tenir son guidon à une main et pour apprendre à tenir son guidon à une main il faut bénéficier d’un équilibre suffisant sur son vélo.

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Figure 3 : enfant sur un vélo signifiant qu’il tourne à gauche

L’âge est le critère principal concernant l’usage autonome des engins à roue, devant les variables territoriales et de genre. Alors que davantage de déplacements enfantins avec des engins à roues ont été observés dans les territoires denses que dans ceux qui le sont moins, ils ne sont jamais autonomes dans les territoires denses. Les déplacements autonomes ont en réalité essentiellement été identifiés dans le centre d’un bourg rural. Sur la tranche d'âge étudiée, l’enquête ne met pas en évidence de différences genrées en termes de pratiques. Si des cours de rollers et de glisse observés sont plus féminins, l’occupation des équipements extérieurs sont très mixtes entre 7 et 10 ans et les pratiques autonomes ne se différencient pas selon le genre. La variable du genre devient davantage structurante au collège.

Pour les parents interrogés, apprendre le vélo s’apparente à apprendre à lire. Selon Cyril Vernay, « La pratique en vélo des enfants est intimement liée à la pratique du vélo des parents ». En effet, la présente étude démontre que le désir d’apprendre et de pratiquer ces objets procède avant tout du mimétisme (familial, amical, médiatique) chez les enfants. De plus, les parents cyclistes souhaitent aussi se déplacer avec leurs enfants plus simplement ou plus loin et vont donc chercher à les faire progresser. En conséquence, il existe une reproduction sociale des pratiquants d’objet à roues. Or, le vélo est aujourd’hui davantage pratiqué par les hommes que par les femmes, par les cadres que par les ouvriers et par les personnes ayant un BAC+5 que par les personnes n’ayant que le baccalauréat (Adam 2021). Cette reproduction sociale par le mimétisme recoupe dès lors des enjeux de classe et de genre. De tels résultats sont confirmés par les enquêtes quantitatives « Bikids » menées par la Maison du Vélo Lyon Métropole.

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Figures 4 et 5 : graphiques réalisés par la Maison du Vélo Lyon Métropole suite à l’Enquête Bikids menée en 2024

En outre, les premières phases d’apprentissage sont le plus souvent réalisés dans des lieux informels disposant de certaines caractéristiques : surface disponible relativement importante, protection de la circulation automobile, bonne visibilité, revêtement lisse. On pense notamment à certaines impasses, raquettes de retournement, places ou parkings en plein air. Or, selon Le Forum Vies Mobiles la distribution territoriale de ces lieux n’est pas homogène : on ne retrouve pas toujours ces objets dans certains quartiers urbains ou dans des territoires ruraux isolés.

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Figure 6 : usage ludique d’engins à roues dans un « lieu informel » (Place des Fêtes, Paris)

Les skateparks et pumptracks apparaissent comme des espaces pivots pour l’apprentissage ludique et approfondie des engins à roues. Ils constituent des lieux intermédiaires entre surveillance parentale et relative autonomie. Leur configuration renvoie aux qualités attendues par les enfants et les parents pour pratiquer des ludomobilités (voir ci-dessus). Mais leur accessibilité en mode actifs n’est pas toujours pensée. Il est ainsi rare de voir des enfants âgés de 7 à 10 ans venir de manière autonome dans ces lieux.

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Figures 7 et 8 : enfants jouant dans un pump track au Grand-Fougeray et dans un skate park à Lyon

Enfin, des différences entre les objets ont été identifiés. Certains sont plus adaptés pour sauter, d’autres pour aller vite… Fait important pour les pouvoirs publics : les étudiants ont remarqué que les enfants ont des expériences à trottinette et en skate très proche de la marche. Ils roulent sur des trottoirs, respectent les mêmes feux, mobilisent les mêmes passages piétons.

Recommandations :

Les politiques publiques visant à développer la pratique autonome des engins à roues devraient :

  • Prendre en compte les inégalités en termes d’apprentissage et de pratiques qui sont structurés par la pratique des engins à roues des parents, par exemple lors des actions du SRAV.
  • S’appuyer sur le caractère ludique de ces engins, par exemple en nouant des partenariats avec les associations sportives et ludiques.
  • Informer les parents que plus ils mobiliseront des engins à roues, plus leurs enfants le feront et bénéficieront de ses avantages, notamment sanitaires.
  • Ne pas se restreindre au vélo, mais traiter l’ensemble des mobilités actives à roues, notamment en ce qui concerne les questions de stationnement ou d’apprentissage.

Concernant l’offre, la pratique ludique des engins à roues et leur apprentissage par les enfants doivent être intégrés à la conception de nos villes :

  • En reliant les lieux dédiés à ces pratiques par des continuités paysagères, sécurisées voire ludiques pour les rendre accessibles de manière autonome par les enfants
  • En concevant les espaces piétons non pas comme des lieux uniquement dédiés à la marche, mais aussi comme des lieux de circulation pour les enfants en trottinette, en skate ou en roller.
  • En intégrant au dimensionnement des pistes cyclables et à leur continuité les déplacements en vélo des enfants qui sont souvent plus lents et moins solitaires
  • Enfin, selon le Forum Vies Mobiles, en identifiant la distribution des lieux informels permettant ces usages (impasse, place, parking, stade…) et en pensant leur production là où ils manquent
  • Plus globalement, la prise en compte des paroles enfantines dans les projets touchant à l'aménagement apparaît essentielle, par exemple en développant des instances comme les Conseils Municipaux d'Enfants. Par ailleurs, pour que les enfants reprennent davantage de place dans l’espace public, il faut que les parents eux-mêmes s’y sentent à l’aise et aient confiance dans leur sécurisation.

Pour le Forum Vies Mobiles, questionner la place que prend la voiture dans nos rues et plus globalement dans notre système de mobilité est une nécessité. Pour les étudiants, cela passe aussi par la lutte contre une ville à hauteur d'enfants conçue en archipel. Les enfants devraient trouver leur place dans l’espace public et les lieux dédiés à l’enfance devraient laisser une place à l’intergénérationnel.

Mobilité

Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.

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Déplacement

Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.

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Mobilité active

La mobilité active a trait à toute forme de déplacement effectué sans apport d’énergie autre qu’humaine (sans moteur) et par le seul effort physique de la personne qui se déplace. Elle se réalise à l’aide de modes eux-mêmes dits « actifs », principalement la marche et le vélo.

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