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Comment se concrétise la mobilité autonome en 6e ?

Recherches terminées
Début: Janvier 2025
Fin: Mai 2025

Les études commandées par le Forum Vies Mobiles et la littérature scientifique montrent que la mobilité autonome des enfants de 7 à 10 ans est faible dans une diversité de contextes socio-spatiaux, et surtout en constante diminution depuis la démocratisation de l’automobile. Ces études identifient aussi le collège comme un moment charnière où la très grande majorité des enfants deviennent autonomes pour aller à leur établissement scolaire. Mais comment se manifeste cette autonomie ? Sa concrétisation varie-t-elle selon les contextes sociogéographiques ?

Acteurs de la recherche

 

Chaque année, le Forum Vies Mobiles pilote des ateliers étudiants avec un réseau d’écoles et d’universités. Originaux et engagés, ces ateliers explorent des thématiques importantes mais peu traitées dans la perspective du tournant écologique et social des mobilités. Des étudiants du Master 2 Urbanisme et Aménagement de l’université Paris - Nanterre ont cette année répondu à la question suivante : « Comment se concrétise la mobilité autonome en 6e ? »

L’ensemble de l’étude peut être téléchargé en bas de cette page.

Ce que le Forum Vies Mobiles retient :

  • Pour être autonome, un collégien ne doit pas seulement savoir se déplacer physiquement d’un point A à un point B mais doit intégrer une série de compétences et de savoir-être : respecter l’heure, ne pas perdre ses clés, connaître son emploi du temps lorsqu’il fait son cartable, être joignable par téléphone…
  • Contrairement à de nombreux enfants ruraux, la grande majorité des enfants urbains ne découvrent pas l’autonomie au passage en 6e. Elle est testée progressivement par les parents, notamment à la fin de l’année de CM2. Elle se concrétise néanmoins bien durablement en 6e. Les enfants des territoires ruraux, compte tenu de la faible marchabilité de leurs espaces, sont confrontés à des difficultés qui se cumulent. Les espaces ayant la plus faible marchabilité rencontrent des individus ayant une faible motilité 1 à pied.
  • La co-présence de pairs sécurise les déplacements pendulaires des 6 es et les rendent très souvent agréables. Le déplacement vers le collège constitue en effet un des seuls instants quotidiens où les collégiens interagissent en l’absence d’institution sociale dominante (collège, famille…).
  • La marche est le mode de déplacement dominant pour les 6es pour une diversité de raisons (intermodalité avec les transports en commun, peur du vélo, capacité à interagir), pourtant de nombreuses difficultés sont rencontrées, en particulier dans les secteurs ruraux.

État de l’art

Selon les Children’s geographies, la place de l’enfant dans l’espace public a progressivement diminué au point de parfois disparaître totalement pour certains auteurs. La démocratisation de la voiture au XXe siècle et l’aménagement fonctionnaliste de l’espace pour celle-ci y ont fortement contribué. Les distances se sont allongées et les fractures urbaines dangereuses se sont multipliées. De fait, l’espace a souvent été pensé sans l’enfant, voire contre lui (Brossard-Lottigier, 2015). Les aménagements pensés pour les enfants constituent le plus souvent des espaces fermés et sécurisés : école, maison, aire de jeux… (Monnet, 2020). Si certains quartiers 2 ont bien été conçus pour eux, ceux-ci ne sont pas reliés entre eux. Comment se débrouille un élève de 6e pour se déplacer de manière autonome dans cet environnement hostile ?

L’entrée au collège constitue une rupture sur les plans géographiques, pédagogiques et affectifs (Bride et Priou, 2009) au cours duquel on passe de la familiarité à l’anonymat (Naceur, 2023). Si des politiques publiques accompagnent cette transition sociale et éducative, et bien que des transports publics dédiés sont parfois proposés, aucune politique publique ne vise l’apprentissage de la mobilité autonome au collège. C’est pourtant bien l’âge où elle se concrétise, a minima pour rejoindre son établissement scolaire (Forum Vies Mobiles, 2024).

Or, avant l’arrivée au collège, l’enfant est préparé à l’école élémentaire au passage à l’autonomie (Granié et Espiau-Nordin, 2008). Mais l’ampleur du saut varie selon les contextes socio-spatiaux. Il est par exemple plus important dans le rural qu’en milieu urbain selon les auteurs Devain et Oppenchaim). En l’absence d’accompagnement public, les inégalités socio-spatiales de mobilité sont-elles démultipliées ? Certains signaux l’indiquent. À titre d’exemple, les pré-adolescents vivant en quartier populaire sont surreprésentés parmi les victimes d’accident avec des voitures (Huguenin-Richard, 2010).

Enfin, l’encadrement parental en 6e se fait plus lâche mais il demeure. De fait, si les parents « s’efforcent souvent d’éviter d’angoisser », certains en viennent à prévenir leurs enfants que « des personnes inconnues peuvent ‘‘manger’’ les enfants » (Rivière, 2018). Quel rôle jouent aujourd’hui les outils numériques dans la surveillance parentale ?

La méthodologie et les terrains d’étude :

L’étude a été menée dans trois collèges différents. Des ateliers ont été menés dans 2 classes de chaque collège, soit environ 130 élèves. Ces ateliers intégraient des nuages de mots pour décrire leurs trajets, des journaux de bord à remplir à la maison (97 ont pu être récupérés) permettant des comparaisons et des ateliers cartographiques. 61 entretiens qualitatifs ont été menés auprès des collégiens et 12 entretiens ont été menés auprès de parents.

Les trois collèges sont :

Le collège Lamartine à Houilles, une commune de banlieue parisienne au niveau de vie assez élevé. La carte scolaire y est de faible ampleur et le collège est assez mixte socialement.

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Figure 1 : Provenance des élèves enquêtés au collège Lamartine à Houilles

Le collège Debussy à Saint-Germain-en-Laye, une commune riche de lointaine banlieue parisienne. Une classe à option musique y a été étudiée. Une part conséquente de ses élèves parcourent des distances importantes pour aller au collège et au conservatoire.

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Figure 2 : Provenance des élèves enquêtés au collège Debussy à Saint-Germain-en-Laye

Le collège Jean Moulin à Ambazac, une commune située dans la deuxième couronne périurbaine de Limoges. Le niveau de vie y est moyennement élevé. Sa carte scolaire est de grande ampleur et intègre des communes rurales. Selon la classification de l’INSEE, la très grande majorité des élèves enquêtés vivent dans un cadre de vie rural sous l’influence d’un pôle urbain.

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Figure 3 : Provenance des élèves enquêtés au collège Jean Moulin à Ambazac

Il convient donc de noter que malgré les démarches des étudiants, aucun collège réellement populaire n’a pu être enquêté.

Les résultats :

Les multiples formes et facteurs d’autonomie

Le passage en 6e ne constitue pas un « saut » dans le vide pour la majorité des enfants des collègues urbains enquêtés. L’autonomie est acquise via un desserrement progressif du contrôle parental (sur une section seulement ou un jour par semaine par exemple), mais celle-ci ne se concrétise définitivement qu’au collège. À l’inverse, dans l’étude du cas rural réalisé, la majorité des élèves ne commencent à se déplacer de manière autonome qu’à partir de la 6e. Cela peut notamment s’expliquer par la très faible marchabilité 3 de ces territoires pour les enfants.

Puisque les déplacements physiquement autonomes sont plus tardifs dans les territoires ruraux, l’acquisition de certaines compétences l’est tout autant : gestion et utilisation des clés, gestion du temps… En effet, l’autonomie est aussi temporelle : le pré-adolescent doit parfois se réveiller tout seul, savoir quand il doit se brosser les dents pour ne pas être en retard. En contexte rural, tout retard est en outre particulièrement important – puisqu’il peut signifier rater son bus – et a un impact déterminant sur le reste de la journée ou sur ses proches.

Les variables de genre et de classes sociales pour décrire la manière dont s’incarne l’autonomie se sont révélées moins explicatives que le territoire. Il existe néanmoins un rapport différent à l’autonomie selon le genre. Alors que les garçons la relient à la capacité à se déplacer seuls, les filles rattachent ce concept à des responsabilités domestiques. Les filles peuvent également moins sortir que les garçons, une fois qu’elles sont rentrées du collège. Ces interdictions sont détournées par ces filles … en rallongeant volontairement le déplacement domicile-collège pour profiter de leurs amis 4.

Certaines variables démographiques se révèlent très parlantes. Les enfants des familles monoparentales, dans lesquelles la disponibilité parentale est souvent plus faible, sont autonomes plus tôt et de manière plus intense : « il a les clés, il va promener le chien […], il fait ses devoirs, il prend sa douche… c’est les mamans solos quoi », témoigne une mère infirmière.

Enfin, certaines pratiques intensifient l’autonomie. La réalisation d’activités extrascolaires en milieu urbain peut impliquer une très forte autonomisation qui dépasse le simple déplacement. Une élève explique qu’à midi, entre ses cours et le conservatoire : « je vais m’acheter à manger, mais parfois je n’ai pas le temps parce que j’ai que 15 minutes pour y aller, donc je me dépêche. »

Contrôle parental et peur généralisée

Pour accéder à une autonomie complète, les pré-adolescents doivent non seulement « se débrouiller seul » mais aussi « avoir la confiance des parents ». Ces règles peuvent rendre l’autonomie plus complexe encore. Le fait de devoir rentrer à une heure précise (souvent pour que le parent ne soit pas inquiet) impose un rythme à respecter.

Les outils numériques sont une des modalités de ce contrôle. Ceux-ci se sont fortement démocratisés. Près de 80% des élèves interrogés au cours de cette enquête ont un téléphone portable à la fois par conformisme social (les pré-adolescents en veulent car leurs pairs en ont), mais aussi car cela peut arranger les parents. Le téléphone permet d’être tenu au courant et de surveiller l’enfant via la géolocalisation du téléphone 5. À cela s’ajoute les airtags, des traceurs permettant de savoir où est son enfant, particulièrement répandus 6. Plusieurs parents témoignent d’un malaise face à ce type de pratique. Nombreux sont ceux qui aimeraient l’avoir au « cas où » tout en étant conscient que cela contrevient à la vie privée de leur enfant.

Il convient de noter que ce contrôle peut être compris par les pré-adolescents car la peur est très présente dans leurs propres discours. Certains lieux comme un bar-tabac à Houilles reviennent dans le discours de tous les élèves du collège. Ces peurs sont tant transmises par les parents que par les élèves entre eux. Certains se sentent suivis par des adultes au quotidien 7. Si les filles ont davantage peur d’enlèvement, les garçons se révèlent plus effrayés par les accidents avec des voitures.

Le rôle bénéfique du trajet entre amis

La mobilité vers le collège pour les 6es donne une place centrale à l’accompagnement entre pairs. Dans toutes les études de cas, une part conséquente des élèves se déplacent au collège avec leurs amis (entre 1/3 et la moitié). Cette part est particulièrement élevée dans le cas d’Houilles, un collège doté d’une carte scolaire resserrée permettant de mutualiser les trajets sur certains axes.

Pour de nombreux élèves, c’est un moyen de sociabiliser, de faire passer le temps. « Je trouve que c’est mieux quand t’es avec des gens : tu peux parler alors que quand t’es seul, c’est ennuyant » dit un élève. Certains aimeraient même avoir des trajets en car plus longs pour continuer à jouer avec leurs amis. En effet, le déplacement autonome vers le collège est un moment privilégié de sociabilité entre pairs où les institutions sociales scolaires et familiales sont absentes.

La présence d’amis rassure à la fois les parents mais aussi les pré-adolescents eux-mêmes. Plusieurs élèvent témoignent : « quand je suis tout seul, j’ai peur. »

Néanmoins, cet attrait n’est pas généralisé. Certains élèves préfèrent être seuls pour s’isoler et la sociabilité des enfants ne se résument par à leurs amis. De plus, les voisins peuvent souvent être mobilisés en cas de pépin et sécuriser les trajets, en particulier lorsqu’une vie sociale de quartier existe et/ou quand ils travaillent à domicile.

Quels modes pour l’autonomie des 6es ? Une marche très présente et un car scolaire structurant Assez logiquement, plus un élève habite près de son établissement, plus il se déplace en marchant. Les modes motorisés sont davantage mobilisés lorsque les distances s’allongent. Néanmoins, y compris pour des trajets de près de 20 minutes, la marche demeure un mode de déplacement non négligeable. Plus d’un tiers de l’ensemble élèves enquêtés se déplacent en marchant, et même plus de la moitié à Houilles. Dans cette commune cependant, le bus est parfois mobilisé au gré des envies et des intempéries en substitution à la marche. En milieu rural, l’usage du car scolaire domine, mais pour se rendre à l’arrêt la marche est nécessaire et parfois très difficile, en particulier le long de routes départementales où trottoirs, passages piétons et candélabres sont bien souvent inexistants. Le car scolaire organise le déplacement en milieu rural, mais sa très faible fréquence (un aller-retour par jour à Ambazac !) implique des journées à rallonge, des réveils précoces alors que les cours ne démarrent parfois qu’à 10h. Pour faciliter la vie de leurs enfants, les parents mobilisent alors la voiture soit directement, soit en faisant appel à des proches ou d’autres parents d’élève pour covoiturer. Ces adaptations face au manque d’alternatives en transports en commun impliquent une plus grande dépendance à l’automobile et à son voisinage ou à ses proches.

Fait notable, parmi les 97 élèves enquêtés via les journaux de bord, un seul utilise le vélo, contrairement à la trottinette qui est mobilisé par plus de 12 élèves. Alors que la trottinette est admise sur le trottoir, le vélo se retrouve lui sur la chaussée et implique l’apprentissage de nouvelles règles et de nouvelles craintes parentales (accidents) et enfantines (peur de tomber). Cet apprentissage supplémentaire semble freiner la pratique du vélo à un âge où un grand nombre de nouvelles compétences doivent être assimilées. En effet, les vélos ne sont pas absents des parkings dédiés dans les collèges. Ils sont simplement mobilisés à un âge plus tardif : en 4e et en 3e notamment.

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Figure 4 : photo du parking du collège Lamartine à Houilles

Recommandations :

  • Prendre en compte les peurs des pré-adolescents en discutant avec eux, voire en sécurisant certains points qu’ils identifient comme problématiques aux heures de sortie du collège.
  • Vu le rôle bénéfique des déplacements entre pairs : penser et construire des espaces publics sécurisés et adaptés aux déplacements à plusieurs à pied, en trottinette ou à vélo.
  • Améliorer la desserte des cars scolaires en milieu rural pour limiter la dépendance à l’automobile des parents et les journées à rallonge des enfants. Informer parents et corps pédagogique de tout problème sur ces cars (comme les retards).
  • Mener un grand plan national pour améliorer l’accessibilité à pied des arrêts de cars ruraux par la création d’une continuité piétonne sécurisée et éclairée ; et améliorer leur confort par la création d’abris.
  • Reconnaître le rôle central de la marche parmi les modes actifs pour de nombreuses catégories vulnérables (dont les 6es) et construire des politiques publiques dédiées, en particulier dans les territoires ruraux où l’autonomie est plus difficilement acquise de par leur faible marchabilité.
  • -Associer au « savoir rouler à vélo » ou des « permis piétons » des modules dédiés à la trottinette au regard de ses spécificités et de son usage important à cet âge charnière.

La majorité de ces recommandations trouvent leur traduction dans le système national alternatif à la voiture pensé par le Forum Vies Mobiles. Celui-ci permettrait à tous et toutes de se déplacer librement et sans voiture sur tous les territoires.

Rapport à télécharger

Télécharger le rapport complet de l’atelier

Notes

1  La motilité est la possibilité effective qu’on certaines catégories de personnes de mettre en œuvre des déplacements. Ici la capacité à sécuriser son déplacement vis-à-vis d’une voiture, la capacité à lire une carte, à interagir ou non avec un inconnu sont par exemple essentiels. L’expérimentation de déplacement autonome augmente la motilité d’un préadolescent.

2  À l’image de la ZAC Basilique à Saint-Denis ou de La Grande Borne à Grigny.

3  Les distances à parcourir y sont plus grandes et les infrastructures piétonnes souvent inexistantes malgré la cohabitation avec des véhicules motorisés.

4  Loin de l’image des garçons occupant l’espace public, les observations in situ des étudiants témoignent plutôt d’une occupation féminine des espaces avoisinant les collèges.

5  Bien que son usage ne se résume pas au contrôle : il permet aussi de tenir informé son enfant et fluidifier son mode de vie. Un père témoigne « on savait qu’on ne serait pas là quand elle rentre et que c’était quand même pratique de la joindre ».

6  Un élève en avait même sur ses vêtements !

7  Il convient de noter que ces peurs peuvent être fondées sur des problèmes réels.

Mobilité

Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.

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Déplacement

Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.

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Transition

Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.

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Mode de vie

Un mode de vie est une composition - dans le temps et l’espace - des activités et expériences quotidiennes qui donnent sens et forme à la vie d’une personne ou d’un groupe.

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