Le projet « Partir et revenir », croisant les deux thématiques de la mobilité et de l'habiter, traite de l’absence domestique par l’éloignement physique et temporaire du logement de ses habitants en déplacement. Quels liens entretiennent-ils alors avec leur domicile ? Quelles implications sur l’organisation sociale et spatiale du logement ? Quitter sereinement son logement et bien vivre sa mobilité relève à la fois du profil des individus, de leurs attentes vis-à-vis de leur déplacement et d’un apprentissage qui devient presque une compétence à part entière dans un monde où se déplacer souvent est devenu la norme.
La gestion de l’absence du domicile serait devenue un enjeu contemporain majeur dans une société dite « hypermobile » où les individus ont une propension importante à se trouver éloignés de leur environnement de vie domestique. Malgré le développement du travail à domicile ou des communications à distance, nous serions entrés dans une « société d’absence ritualisée » (Viard, 2014). Permise par une plus grande mobilité notamment de loisirs mais aussi professionnelle, elle entraine davantage de moments où nous sommes hors de nos logements habituels. Dans ce cadre, l’absence du logement apparaît comme une modalité grandissante des modes d’habiter, reposant sur des pratiques sociales spécifiques. La gestion de cette absence influencerait l’organisation matérielle du logement et plus largement les relations entretenues avec l’habitat - entendu comme environnement de vie intégrant les proximités et les solidarités sociales.
Ce projet de recherche, issu de la collaboration entre le Forum Vies Mobiles et Leroy Merlin Source, s’est intéressé à l’absence physique et temporaire des habitants de leur logement à l’occasion d’un déplacement. Il s’agissait d’étudier les modalités de gestion de cette absence au domicile dans l’avant, le pendant et l’après des situations de mobilité, et d’explorer la relation d’attachement et de détachement au logement, en articulation avec les besoins et les pratiques de déplacement.
La situation d’absence entraînerait des pratiques sociales, spatiales et temporelles spécifiques liées à l’organisation, la gestion, la préservation du logement vide de tout ou partie de ses habitants usuels. Au même titre que la présence, ces pratiques participeraient de l’appropriation symbolique et matérielle du domicile.
Plusieurs motivations peuvent expliquer la mise en place de dispositifs et de tactiques permettant de gérer voire pallier l’absence du domicile :
(conciergerie, société de gardiennage, etc.), des objets programmables ou pilotés à distance (arrosage automatique, distributeur de croquettes, etc.), des solidarités entre voisins, ou encore le recours à la famille proche (passer vider le courrier, nourrir le chat, arroser les plantes, aérer le logement, etc.).
Ces pratiques ne sont pas exclusives et s’articulent les unes aux autres pour produire des formes d’”habiter l’absence”. Deux types de dispositifs sont convoqués pour gérer le domicile en situation d’absence :
Il s’agissait d’analyser leurs usages et leurs significations dans le rapport au logement et aux mobilités.
Il est important de noter que l’absence concerne un logement qui n’est pas obligatoirement vide d’occupants. Il peut être sous loué tout comme une partie du ménage peut y séjourner. L’idée étant de voir aussi comment l’éloignement d’un des occupants peut produire des dispositifs d’habiter spécifiques.
Une approche pluridisciplinaire a été privilégiée et a fait dialoguer photographie et sociologie. Partant du postulat que les habitants créent un imaginaire de leur lieu de vie en leur absence et en situation de mobilité, l’objectif fut de s’en saisir par la photographie comme trace, pour produire des images permettant de rendre compte des espaces et des tactiques de gestion du chez-soi à distance, qu’elles soient matérielles, sociales ou symboliques. Faire usage de la photographie dans ce contexte fut aussi l’occasion de montrer certains gestes effectués par les habitants et qui sont révélateurs de leur gestion de l’absence au domicile.
Le travail photographique a été mis en perspective avec l’analyse des usages et des pratiques et confronté aux représentations du logement vide saisies par le discours dans l’enquête sociologique.
Il s’agissait ainsi de comprendre les représentations du logement vide et la relation au domicile qui sous-tendent le déploiement ou pas de pratiques de gestion du domicile, de qualifier ces pratiques, de les catégoriser et de les contextualiser en lien avec les types de déplacements qui produisent l’absence.
Les différentes modalités de l’absence et leurs représentations associées conduiraient à différents modes de gestion de cette absence et, in fine, à différents modes d’habiter la distance au domicile.
Hypothèse 1 : Les dispositifs de gestion de l’absence au domicile et leur utilisation varient en fonction de la nature du déplacement effectué et notamment de sa réversibilité. La fréquence approchée en termes de routine de mobilité, la durée approchée en termes de période d’éloignement et la distance approchée en termes de temps de déplacement font varier la nature et l’usage des dispositifs.
Hypothèse 2 : Les dispositifs de gestion de l’absence au domicile et leur utilisation varient en fonction de l’habitat approché en termes de type de logement (maison ou appartement, surface, configuration, etc.), d’environnement du logement (rural, périurbain, urbain, densité, immeuble collectif, lotissement, etc.) et du rapport factuel de l’habitant au logement (locataire ou co/propriétaire, ancienneté dans le logement, etc.) et sensible au chez-soi (bulle, protection, repos, tremplin, etc.).
Hypothèse 3 : Les dispositifs de gestion de l’absence au domicile et leur utilisation varient en fonction du capital social localisé, c’est-à-dire des réseaux sociaux des individus dans l’environnement spatial de leur logement. Les liens faibles (voisin, collègue, connaissance, etc.) et les liens forts (famille, amis, etc.) sont une ressource pour faciliter le départ et l’absence au logement.
Partir tranquille, c’est pouvoir, chemin faisant, détourner son attention de son chez-soi. C’est ne pas avoir trop de préoccupations pour ceux qui y restent, pour les activités qui s’y déroulent, pour les objets qui s’y trouvent. C’est bien vivre l’éloignement à cet univers domestique, pour déployer ses activités ailleurs, professionnelles ou personnelles, proches ou lointaines, les vivre sereinement et sans perturbation. C’est avoir la possibilité de retrouver son chez-soi, ses habitudes individuelles ou partagées et un lieu connu. C’est donc parvenir à faire de l’absence un acte presque banal dans l’organisation de la vie domestique, familiale, professionnelle, quotidienne et sociale. Cette sérénité n’est pas donnée, mais relève d’une organisation qui dépend des ressources de chacun. Ainsi, la maison tend à être produite pour y habiter mais aussi pour parvenir à s’en absenter.
Partir tranquille, c’est donc avoir les moyens de déployer autant de dispositifs sociaux, spatiaux, techniques et symboliques que de besoins, pour assurer une double continuité qui permet de bien vivre l’absence :
S’assurer de ces deux continuités, c’est tout faire pour ne pas avoir à revenir chez soi une fois parti.
Travail à distance, missions professionnelles, départs en vacances et en week-ends ou encore bi-résidentialité : la réversibilité de nos déplacement (la possibilité de partir et revenir rapidement et souvent à son domicile) nous amène à nous déplacer de plus en plus souvent, ce qui donne lieu à des départs de plus en plus fréquents de nos domicile.
Mettre la maison en mode absent, c’est mettre en place des rituels, des agencements spatiaux, activer des équipements techniques et des personnes ressources. Cela vise à mettre la maison dans un état de stabilité qui assure son intégrité et sa conservation malgré l’absence.
Trois modes absents associés à trois profils d’habitants apparaissent :
La distance plus ou moins grande ne semble pas jouer le rôle principal dans la différenciation de la gestion de l’absence et du choix des dispositifs. Même proche géographiquement, il s’agit de ne pas revenir pour ne pas rompre la continuité de l’activité en cours. La réversibilité des déplacements permise par la vitesse est intégrée par les habitants, et la distance ne fait donc pas varier outre mesure le choix des dispositifs.
La recherche a mis en évidence trois stratégies pour gérer le rapport au domicile dont on s’est éloigné, en fonction du besoin et du souhait de contact avec ce dernier. Et les outils numériques occupent désormais une place centrale.
Il existe deux types de sas nécessaires à un départ réussi, pour bien vivre son déplacement :
Ces routines d’organisation physiques et temporelles permettent de faciliter le départ et de pouvoir quitter fréquemment son logement.
Si l’éloignement physique est un déplacement qui ne souffre pas d’ambiguïté, l’éloignement psychologique fluctue en fonction de l’attention que l’individu en mouvement porte à la maison quittée. Il peut communiquer avec elle avec les technologies adaptées, se préoccuper de ce qui peut s’y passer en son absence, mais aussi faire en sorte d’établir une rupture, parce qu’il aura mis en place ce qu’il faut pour cela afin de se consacrer à l’activité à destination.
Rapport complet de la recherche
Portfolio 1 : Chronologie photographique
Portfolio 2 : Typologie des objets de l’absence
Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLa mobilisation est l’action par laquelle les individus sont appelés à se mettre en mouvement pour se rassembler dans l’espace public en vue d’une entreprise concertée, que ce soit pour exprimer et défendre une cause commune ou pour participer à un événement. En ce sens, il s’agit d’un phénomène social relevant du champ de la mobilité. Cet article a été rédigé par Sylvie Landriève, Dominic Villeneuve, Vincent Kaufmann et Christophe Gay.
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