Dans la seconde partie de la table ronde tenue dans le cadre de la 16e édition du colloque MSFS « Mobilités spatiales, méthodologies de collecte, d’analyse et de traitement », Françoise Dureau, Pierre Lannoy, Jean-Pierre Orfeuil et Thierry Ramadier, étudiant chacun la mobilité à l’aune de leur spécialité, abordent la question des dynamiques d’échanges entre les chercheurs issus de disciplines scientifiques différentes. Quelles sont les conditions et les difficultés de la mise en place de l’interdisciplinarité dans la recherche française sur la mobilité ?
Échanges présentés par Laurent Cailly et Nicolas Oppenchaim
Le Forum Vies Mobiles a soutenu un méta-projet concrétisé à l’occasion de la recherche Sortir de la dépendance à la voiture dans le périurbain et le rural. Ce projet a été à le point de départ du colloque MSFS « Mobilités spatiales, méthodologies de collecte, d’analyse et de traitement », qui s’est tenu à Tours les 8 et 9 novembre 2018. À cette occasion a été organisée la Table ronde retranscrite ici, dont la première partie est disponible : Dialogue sur la mobilité entre F. Dureau, P. Lannoy, J.-P. Orfeuil et T. Ramadier. 1 : Genèses d’un champ
Nicolas Oppenchaim : Nous allons nous intéresser à la question des circulations entre disciplines dans l’étude des mobilités. Vous avez tous collaboré avec des chercheurs d’autres disciplines et dirigé, pour certains, des équipes de recherche pluridisciplinaire. Pourriez-vous revenir sur les conditions de ces échanges disciplinaires, sur les difficultés que vous avez pu rencontrer, et plus largement sur ce que vous pensez de l’absence de département de mobility studies ou d’urban studies en France ?
Françoise Dureau : De mon côté, je ne pense pas qu’il y ait besoin d’urban studies pour faire de la recherche urbaine ; ça me semble une aberration de construire des sous-champs disciplinaires comme cela se passe dans la recherche anglo-saxonne. Quand on regarde ce qu’il s’est passé dans la recherche urbaine française ces quarante dernières années, on voit justement comment il y a pu y avoir des lieux de débat, des échanges réels, à l’exemple du réseau socio-économique de l’habitat sur la question du logement 1. Ça s’est construit, ça a marché et ça a facilité beaucoup d’échanges entre disciplines des sciences sociales. Sur ce point, il faut rappeler que les productions des chercheurs sont souvent liées à une commande. C’est la commande publique sur le logement qui a permis la mise en place de ce réseau et des échanges entre sociologie, anthropologie, géographie et démographie. C’est un des effets positifs de la commande : on se retrouve dans une salle avec des gens qui ne sont pas de la même spécialité et on échange. À ce propos, ce qui est amusant, c’est que si je citais quelques chercheurs de ce réseau, je pense que personne ne saurait dire quelle est sa discipline. Un auteur comme Jean-Pierre Lévy, une personne sur deux se trompe sur son appartenance disciplinaire, idem pour Catherine Bonvalet. Au final, il peut donc y avoir des modes de fonctionnement de la recherche qui favorisent les échanges, et d’autres qui au contraire les freinent. Par exemple, aujourd’hui, avec la politique de l’excellence, je crois que tout est plutôt construit pour monter les gens les uns contre les autres : il faut être plus fort que son voisin, qu’une autre équipe de son laboratoire, que les autres UMR, etc. De même, s’il y a une injonction à l’interdisciplinarité, dans les faits les supports de publication sont actuellement disciplinaires. Je pense que ce retour du disciplinaire en France est aussi lié à des positionnements politiques : par exemple, la loi LRU de 2008 (loi relative aux libertés et responsabilités des universités), en mettant le curseur du côté universitaire plutôt que du côté des établissements de recherche, a redonné du poids à la discipline. On est donc face à un paradoxe : il y a un discours qui voudrait qu’on fasse de l’interdisciplinarité, mais dans les faits, le contexte ne la facilite pas.
Françoise Dureau : Néanmoins, il y a bien eu durant ces quarante dernières années des transferts, notamment au niveau méthodologique, entre les disciplines, qui ont eu des effets très importants sur la production de connaissances, par exemple sur la mobilité résidentielle. Ainsi, ce n’est pas la démographie qui a inventé l’approche biographique des mobilités, les anthropologues pratiquaient depuis très longtemps les histoires de vie, mais à partir d’un moment, les démographes se sont mis à faire des enquêtes biographiques sur des gros échantillons, en respectant les règles de l’art de leur discipline, en particulier la représentativité statistique, et en développant des outils d’analyse adéquats pour traiter ces données. Pour moi, c’est l’exemple typique d’un transfert d’une discipline à une autre qui a eu lieu et qu’on ne peut pas nier. Et on peut penser que cette approche serait bénéfique à l’étude d’autres types de mobilité. Voir la mobilité quotidienne à l’échelle d’une vie et avec l’acquisition, ou la perte, de compétences et de savoir-faire, constituerait sans doute une manière un peu renouvelée de lire les pratiques de mobilité quotidienne. Donc, l’idée de dire : « On est compétent dans toutes les sciences sociales et, en tant que géographe, je saurais faire de la sociologie ou de l’anthropologie correctement », pour moi c’est non. Par contre lire ce qu’ont produit des anthropologues et des sociologues, et essayer d’en tirer parti par rapport à un questionnement géographique, oui. Par exemple, moi ce qui m’intéresse dans les mobilités spatiales, ce sont les liens avec les transformations de l’espace, qui est typiquement une interrogation de géographe.
Thierry Ramadier : Je rejoins Françoise Dureau sur ce point : faire de l’interdisciplinarité, c’est s’appuyer sur sa discipline, sinon on évacue l’idée même de discipline. Mais le point central pour échanger entre disciplines, c’est, il me semble, la dimension épistémologique : quel lien épistémologique peut-il y avoir entre nos disciplines ? Si on ne se pose pas cette question, ça va être très compliqué de discuter, d’imaginer des méthodes, d’analyser, de décrire. Je prends un exemple : dans la période dite « des déplacements » (des années 1970 au milieu des années 1990 : voir la première partie de la table ronde), durant laquelle la mobilité est vue comme dérivant d’un besoin individuel, la psychologie s’invite et est invitée dans ces recherches. Mais tous les psychologues ne sont pas invités : le sont ceux qui imaginent une psychologie rationnelle, dont les fondements épistémologiques sont compatibles avec ceux de l’économétrie. La psychologie vient illustrer l’idée de rationalité limitée, en montrant comment les choix des individus en matière de mobilité s’appuient sur des dimensions subjectives, comme la distorsion de distance. Autre exemple : sur les questions de changements modaux, l’hypothèse des économistes est que les individus comparent les coûts des déplacements, mais on s’est rendu compte très vite que les gens qui utilisent l’automobile ne connaissent pas le coût d’un transport en commun. Dans ces différents exemples, l’économiste peut dialoguer avec le psychologue parce qu’ils partagent la même épistémologie, celle de la rationalité limitée. À l’inverse, des articles comme ceux de Serge Moscovici 2 (1959) ou de Françoise Askevis 3 (1985) ne sont pas repris parce qu’ils sont, à ce moment-là, sur un autre champ épistémologique et abordent d’une autre manière les mobilités. Le deuxième élément qui me semble important sur les échanges interdisciplinaires, c’est l’effort d’acculturation de chaque chercheur aux enjeux scientifiques des autres disciplines. Je ne parle pas de manipuler et de connaître l’ensemble des pratiques d’une autre discipline, mais de comprendre sur quoi repose le discours du chercheur avec qui on collabore. La question n’est pas de devenir sociologue quand on est géographe ou psychologue, mais de comprendre a minima les enjeux scientifiques de l’autre discipline, par exemple la logique de l’entretien en sociologie. Il me semble qu’à partir de là, il y a des échanges possibles et évidemment des manières multiples de faire de l’interdisciplinarité.
Pierre Lannoy : J’ajouterais quelque chose qui va dans ce sens, mais qui permet de préciser ce qu’on entend par interdisciplinarité. Il me semble que les échanges disciplinaires récents sur la question des mobilités sont liés à la volonté d’ouvrir la boîte de Pandore de la compréhension, au sens sociologique du terme, de la mobilité, c’est-à-dire d’essayer de retrouver la logique de cette activité. C’est le principe du mobility turn : comprendre ce qui motive les déplacements, quels qu’ils soient. Les différentes disciplines ouvrent cette boîte de Pandore avec leurs outils, avec leur passé, leurs habitudes, mais les chercheurs partagent un implicite : il faut comprendre le sens de ces mobilités. Les chercheurs ne partagent cependant pas toujours les mêmes implicites. Sur ce point, les divisions ne se situent pas uniquement entre disciplines, mais aussi à l’intérieur de celles-ci. Je ne pense pas que les disciplines soient homogènes, en tout cas pas en sociologie. En s’appuyant sur ce que vient de dire Thierry Ramadier, on voit qu’il y a des différences internes aux disciplines, qu’on peut appeler les épistémologies ou les positionnements ontologiques, c’est-à-dire « comment est-ce que l’on conçoit la réalité ? » et « qu’est-ce qu’il est important d’étudier ? ». Ces positionnements influencent les échelles, les objets et les intérêts de recherche. Par exemple, pour certains ethnographes anglo-saxons des mobilités, la question n’est pas la transformation de l’espace comme pour les géographes, mais plutôt la diversité des modes de vie contemporains. En conséquence, ils vont étudier aussi bien la vie des gens qui sont en permanence dans les avions que les discothèques, pour voir comment s’opèrent les déplacements au sein de cet espace. Or, ces différents positionnements épistémologiques, qui ne sont pas proprement disciplinaires et peuvent être transversaux à certaines disciplines, font qu’il peut y avoir des formes d’irréductibilité dans le dialogue entre certains chercheurs travaillant sur la mobilité.
Jean-Pierre Orfeuil : Je crois que, sur la question de l’interdisciplinarité, il y a aussi une question de rythme. Quand on dit « travailler ensemble », ça ne veut pas forcément dire « travailler ensemble tous les matins ». Par exemple, dans le domaine de la mobilité quotidienne, j’ai participé à l’ATP (Action technique programmée) « socio-économie des transports », où intervenaient des psychologues, des ingénieurs, etc. On s’est enrichi au contact les uns des autres, mais on se voyait une ou deux fois par an. C’était la même logique avec les programmes de recherche finalisés du PUCA (Plan urbanisme construction architecture) et ça n’a pas si mal fonctionné que ça. L’important n’est pas de se dire « on va construire des équipes pluridisciplinaires », mais « est-ce qu’on est ouvert à la parole des autres ? ». Ça c’est le premier point. Le deuxième point sur lequel j’aimerais insister lourdement, c’est que les sujets de nos travaux sont des gens. Et si vous demandez à des gens si leur comportement relève de la sociologie, de l’écologie, de l’éthologie, de l’ethnologie, de l’économie, ou de l’ingénierie, ils vous répondront soit qu’ils n’y comprennent rien, soit que ça relève de tout cela à la fois. C’est logique, parce qu’il y a dans leurs pratiques un mélange de rationalités instrumentales, d’autres types de rationalités, etc. Un troisième point primordial est l’objectif de la recherche, c’est-à-dire la question que je me pose, la problématique. Cette problématique va aussi guider l’ouverture plus ou moins importante vers d’autres disciplines. Enfin, le dernier point est, à mon avis, l’extrême responsabilité du monde de la recherche dans les débats d’aujourd’hui. Le monde académique est pour moi actuellement le dernier monde où il y a une parole construite et libre. Il est au fond le dernier rempart d’une forme de pensée construite, que n’a pratiquement plus la presse et dont les pouvoirs politiques se sont un peu dessaisis. Dans ce contexte, il y a une responsabilité forte à produire en des termes compréhensibles pour tous. De ce point de vue-là, je ne suis pas totalement convaincu, quand je vois de plus en plus d’articles dits « scientifiques » où les chercheurs ne parlent qu’aux chercheurs.
Laurent Cailly : Je rebondis sur deux éléments qu’a énoncés Pierre Lannoy. Tout d’abord, le mobility turn, ne constitue-t-il pas un moment où il y a eu la construction d’un fonds paradigmatique commun ? Cette construction se fait à mon avis autour de trois choses : d’une part, l’approche compréhensive, liée en partie au tournant actoriel, à la reconnaissance des logiques d’action des acteurs ; d’autre part, une approche systémique des mobilités, avec des auteurs comme Vincent Kaufmann en sociologie, ou Rémy Knafou en géographie, qui essaient de poser la question des relations entre mobilité résidentielle, mobilité quotidienne, migrations, etc. ; enfin, c’est aussi le moment où apparaît l’idée de mobilité généralisée, dans différentes sphères sociales, dans la sphère du travail par exemple, comme l’ont bien décrit Chiapello et Boltanski dans Le Nouvel Esprit du capitalisme. Je me demande si ce moment n’a pas fait bouger les lignes à l’intérieur des disciplines en renforçant l’hétérogénéité intra-disciplinaire. Par exemple, en géographie aujourd’hui, il y a quand même des manières de traiter la question de la mobilité très différentes. Et pour un géographe comme moi qui travaille sur les mobilités pour appréhender la diversité des modes d’habiter et des dynamiques socio-spatiales, je me sens plus proche de Françoise Dureau ou de certains sociologues urbains qui travaillent sur cette question des modes d’habiter, que de certaines géographies très quantitatives qui travaillent sur la mobilité comme système de flux. La question qui se pose alors est de savoir si les transactions entre disciplines ne deviennent pas plus importantes que les formes d’unité et de cohérence disciplinaire.
Pierre Lannoy : Je répondrai en deux temps. Il me semble, d’une part, que l’idée centrale du mobility turn de poser la question de la compréhension des logiques sociales, individuelles, symboliques et culturelles des mobilités amène nécessairement à ouvrir des portes entre différents types de mobilité, quelles que soient les méthodes qu’on utilise. Néanmoins, chaque discipline n’a peut-être pas les outils qu’il faut pour aller plus loin que cette porte-là, d’où la nécessité des collaborations disciplinaires. D’autre part, je pense que l’idée de mobilité généralisée peut être entendue en deux sens. La première acception de la mobilité généralisée est le fait que des formes de mobilités, de mouvements, de circulations et d’instabilité touchent l’ensemble des dimensions de la vie sociale. C’est-à-dire que tout change : les statuts changent, les institutions changent, les questions résidentielles changent, etc. La mobilité devient alors une idéologie centrale, le fondement de la vie contemporaine. C’est sur ce point que se basent les recherches menées dans la lignée de John Urry. L’autre version de la mobilité généralisée est la question des inégalités. Est-ce que tout le monde bouge de la même façon ? Est-ce que tout le monde a les mêmes ressources pour répondre à cette injonction mobilitaire ? Et là évidemment, cela induit de longs débats sur les différentes ressources des individus, le fait de choisir ou pas sa mobilité, son immobilité, etc.
Françoise Dureau : Je crois qu’on ne devrait pas continuer à parler pendant des heures de savoir s’il faut faire de l’interdisciplinarité ou pas : nos objets sont reconnus comme interdisciplinaires, nous sommes dans cette salle avec un certain nombre de disciplines, nous sommes là pour nous parler. Je ne suis pas persuadée qu’il faille toujours prolonger le débat sur « pourquoi et comment ? ». Faisons ! Mettons en acte la position que nous avons dès le départ, qui est de dire que la mobilité spatiale ou la migration est un objet pluridisciplinaire que l’on a tout intérêt à partager. Je voudrais tout de même rappeler le point central, évoqué par Jean-Pierre Orfeuil et qui est la question de recherche que je me pose, celle qui me pousse à étudier des formes de mobilité spatiale. Cette question a de nombreuses implications en termes méthodologiques : étudier la mobilité pour comprendre des dynamiques spatiales impose des choses en termes de plans de sondage, qui ont de multiples conséquences méthodologiques. Et je pense que c’est sur ces questionnements et ces problématiques, qui ne sont pas que le fruit d’une appartenance disciplinaire, que nous devrions avancer en priorité.
Thierry Ramadier : Cette question de la problématique est effectivement centrale. Elle permet de sortir des logiques institutionnelles, qui restent très liées aux disciplines, puisque les institutions se sont construites à partir des disciplines. Mais ces questions communes que l’on va se poser sont-elles un point de départ dans une perspective interdisciplinaire ? Ne sont-elles pas aussi parfois un point d’arrivée de l’interdisciplinarité, au sens où celle-ci est un moyen de renouveler la manière de questionner l’objet mobilité ? Françoise Dureau parlait par exemple de la question du logement : comment le logement est passé, dans les années 1990 avec les travaux de Catherine Bonvalet, d’un bien de consommation à un objet qui renvoie à une histoire familiale ? On aborde l’objet logement complètement différemment, et on est par conséquent capable d’aller discuter avec d’autres chercheurs avec lesquels on ne pouvait pas discuter tant qu’on le voyait comme un bien de consommation. Je crois que l’interdisciplinarité permet de faire évoluer les questions que l’on se pose sur l’objet. C’est quelque chose d’important, parce que cela évite d’entrer dans une routine de nos questionnements. Je prends l’exemple un peu caricatural des travaux sur le changement modal : aller vers la marche, vers les modes doux, etc. Si l’on met en regard les recherches actuelles avec celles des années 1970 sur les leviers du passage de l’automobile aux transports en commun, il apparaît que ce sont exactement les mêmes logiques, exactement les mêmes questionnements, sauf que d’un côté la problématisation se faisait à partir de l’énergie au sens économique du terme, « faire des économies d’énergie », alors qu’actuellement elle se fait plutôt dans une perspective écologique. Mais au fond, la manière de traiter ces transitions ou ces leviers de changement est exactement la même. Au contraire, je pense que l’interdisciplinarité pourrait nous permettre d’aller au-delà et de comprendre les passages d’un mode de transport à un autre de manière plus renouvelée.
Françoise Dureau : Je suis persuadée qu’une pratique interdisciplinaire fait évoluer les questions de recherche et que l’objet mobilité se prête bien à l’interdisciplinarité. Je pense aussi qu’il peut y avoir des problématiques différentes dans une recherche pluridisciplinaire. Un moment donné, même si mon objectif ultime est de comprendre des dynamiques urbaines, il faut bien pour y arriver observer correctement les pratiques de mobilité à différentes échelles de temps, et là je me retrouve avec des gens dont l’objet même est la compréhension des pratiques. Je pense toutefois que pour les sociologues, l’objectif est avant tout de partir des mobilités pour comprendre des dynamiques sociétales. Ce qui est important, ce n’est pas la diversité des problématiques, mais que celles-ci soient explicites. C’est pour cette raison que je disais que ce qui me gêne lorsque chacun parle de mobilité, en se référant dans la réalité à un objet beaucoup plus resserré qui est telle forme de mobilité, c’est que ce n’est ni scientifique, ni rigoureux (voir à ce sujet la première partie de la table ronde). Il faut être explicite : la première chose est de dire « pourquoi on étudie les mobilités ? » et, à partir de cette base, de se retrouver ensemble sur un morceau de chemin. J’ignorais par exemple l’existence des psychologues de l’environnement avant de croiser Thierry Ramadier et Sandrine Depeau ; puis, à un moment donné, je me suis dit « ah oui, c’est important pour comprendre telle et telle chose ». Mais c’était avant tout par rapport à ma propre problématique, et je fais la même chose avec les anthropologues.
Jean-Pierre Orfeuil : Les chercheurs qui ont contribué à l’évolution des regards sur la mobilité au sens transport du terme étaient à peu près tous des transfuges. Ils étaient à moitié ceci, à moitié cela. Et pour favoriser les échanges, il y a l’université, mais il y a aussi des institutions dont on peut espérer qu’elles se multiplient. Les organisateurs du colloque ont réussi à trouver le soutien du Forum Vies Mobiles : c’est typiquement ce genre d’institutions qui aujourd’hui peut être amené à jouer ce rôle que joue un peu moins le PUCA pour des tas de raisons – budgétaires et autres. Après tout, si ces problèmes de cloisonnement se posent un petit peu moins dans d’autres pays, c’est peut-être aussi parce qu’il y a plus de fondations pour fabriquer des choses à la rencontre de différentes disciplines. Pour conclure, je reviens un peu sur l’idée de carrière : si vous restez totalement dans votre discipline et sur les itinéraires déjà labourés, ce n’est peut-être pas là que vous allez vous faire un nom. Si du fait de votre curiosité, du fait de votre lecture dans différents champs, vous arrivez à établir la théorie générale du lien entre la mobilité résidentielle et la mobilité quotidienne, je vous garantis que votre poste, vous l’aurez ! Je dirais même, en étant un peu opportuniste, que faire le choix de se lancer dans l’exploration de quelque chose qui a été moins labouré par d’autres portera ses fruits. C’est aussi ça l’esprit de la recherche : être porté par un esprit de curiosité, avancer, mettre en relation. Peut-être qu’après tout, nos instances sont des freins dans ce domaine-là. Si je prends la mobilité, que je regarde à la fois comme un phénomène individuel et un phénomène collectif, j’ai envie de dire à des jeunes chercheurs aujourd’hui : « Foncez sur les champs peu défrichés qui vous paraissent légitimes, et ce n’est peut-être pas le plus mauvais moyen pour vous faire une place au soleil. »
Askevis-Leherpeux F., Mobilité et espace urbain : comment réduire l'ambiguïté d'une relation. In L'année psychologique. 1985 vol. 85, n°4. pp. 535-548.
Moscovici S., « La résistance à la mobilité géographique dans les expériences de reconversion », in Sociologie du travail, Seuil, n° 59, 24-36, 1959.
1 Le réseau « REcherche HAbitat-Logement » (REHAL) regroupe des chercheurs français (enseignants-chercheurs des universités, chercheurs des établissements publics scientifiques et techniques – CNRS –, doctorants) qui travaillent sur le logement et l’habitat. https://blogs.univ-tlse2.fr/rehal/le-rehal/
2 Moscovici S., « La résistance à la mobilité géographique dans les expériences de reconversion », in Sociologie du travail, Seuil, n° 59, 1959, p. 24-36.
3 Askevis-Leherpeux F., « Mobilité et espace urbain : comment réduire l’ambiguïté d’une relation », in L’année psychologique, vol. 85, n°4, 1985, p. 535-548.
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLa mobilité résidentielle désigne, de manière large, le changement de lieu de résidence d’un ménage à l’intérieur d’un bassin de vie.
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