Les mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.
Les mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.
Des confinements ont été imposés dans de nombreux pays du monde en 2020 1. L’étendue de ces confinements a été assez variable. Pour les plus durs, comme en Chine, des quartiers et des villes entières ont été totalement isolées. Dans d’autres pays, comme l’Espagne, la France ou l’Italie, les confinements ont pris la forme de fermetures des commerces et équipements non essentiels associés à de fortes restrictions de déplacements, avec des amendes pour sanctionner le non-respect de ces règles. Enfin, en Allemagne et dans de nombreux pays du nord de l’Europe, des formules souvent plus légères ont été appliquées, comprenant une limitation des regroupements de personnes associée à des fermetures ponctuelles de commerces et d’équipements, et à un appel à la responsabilité individuelle.
Le confinement a eu un impact massif sur la vie quotidienne des populations concernées. L’assignation à résidence a souvent généré mal-être et angoisses, comme l’a montré l’enquête pilotée par Lise Bourdeau Lepage pour la France 2. Elle a également creusé les inégalités face au logement ainsi que les inégalités sociales et de genre 3. La réduction de la portée temporelle et spatiale des déplacements a en revanche été un vecteur de bien-être et a permis à une partie de la population d’expérimenter des changements de modes de vie, comme l’a montré l’enquête menée par le Forum Vies Mobiles sur l’impact du confinement sur les mobilités et les modes de vie des Français 4. En concentrant la plupart des activités de la vie quotidienne dans le logement, le confinement a redistribué spatialement les activités dans l’espace domestique, nécessitant de nombreux réaménagements, et a modifié la succession temporelle des activités en faisant disparaître les transitions que sont les déplacements ou les attentes. La substitution des déplacements par de la télécommunication, pour le travail, les achats, les loisirs ou encore la santé a été massive dans de nombreux pays d’Europe, accélérant une tendance préexistante. Le confinement s’est également accompagné de l’évaporation d’une part importante des déplacements, notamment les déplacements domicile-travail et de loisirs. Les habitants des pays concernés ont alors connu un retour de la proximité spatiale dans leur vie quotidienne, avec un déploiement de leurs activités chez eux et aux abords de leur domicile. On a également constaté des changements de pratiques modales, baisse drastique de l’utilisation des transports publics 5 et de l’avion, et à l’inverse recours à la marche et au vélo, déjà croissant depuis quelques années. Les mobilités de longue distance ont été stoppées net. Ces expériences ambivalentes du confinement ouvrent la voie à des transformations possibles des modes de vie, mais ces transformations relèvent de la modification de règles collectives et doivent être soutenues par des politiques publiques ambitieuses, non seulement dans le domaine des transports mais dans tous les domaines qui touchent à la mobilité : aménagement du territoire, travail, loisirs, tourisme, famille, santé, etc.
D’une manière générale, le confinement a eu un impact massif sur la mobilité et il est ici proposé d’en brosser les grands traits en Europe. En introduction, et avant de détailler les différents effets, relevons que le coronavirus s’est propagé très rapidement à travers le monde par l’intermédiaire de déplacements longue distance, reposant principalement sur l’avion, par des personnes porteuses du virus 6. En ce sens, la rapidité de sa transmission est imputable aux grandes mobilités qui caractérisent le capitalisme globalisé que nous vivons et les modes de vies qui y sont associés.
Avant d’explorer les moyens permettant de transformer les normes sociales associées aux mobilités et aux modes de vie, identifions précisément les évolutions de la mobilité qui ont vocation à être pérennisées.
Les conséquences du confinement sur la mobilité en France et en Europe sont désormais largement documentées par la recherche. Quatre vont en particulier retenir notre attention.
La substitution de déplacements par de la télécommunication. Le télétravail, le téléachat, les loisirs en ligne, la télémédecine et le téléenseignement se sont considérablement développés depuis le début de la pandémie, en suivant cependant les épisodes de confinement et déconfinement. C’est ainsi qu’en Europe, pendant le confinement du printemps 2020, le taux de télétravail a triplé 7, que les achats de « non food » en ligne ont connu des croissances de +30% à +70% (suivant les sources et la méthode de calcul), tandis que la télémédecine accusait une augmentation de +500% en France 8, et que l’enseignement universitaire est passé au 100% en ligne dans la plupart des pays. L’enquête internationale réalisée par le cabinet Mobil’Homme auprès de 14 886 personnes, vivant en Suisse, France, Belgique, Allemagne, Autriche, Luxembourg et Espagne, a montré à ce propos que le télétravail a surtout concerné les actifs du tertiaire et tout particulièrement les cadres 9. La même étude montre en outre que l’intensité du recours au télétravail varie en fonction de la rigueur des mesures de restriction des déplacements et les modalités de leur contrôle dans les différents pays étudiés (voir à ce propos la section « Compléments » du présent article). C’est ainsi qu’au printemps 2020, un actif sur deux l’a pratiqué (partiellement ou totalement) en France, au Luxembourg et en Suisse, des pays ayant pris des mesures strictes en matière de confinement, contre seulement un actif sur trois en Allemagne, pays où les mesures ont été moins strictes. Comme le relève Christian Licoppe, le télétravail répond alors à l’injonction à maintenir la continuité des activités professionnelles. Cette injonction est avancée comme une évidence, ce qui suggère que le télétravail s’inscrit dans une société régie par le contrôle et la surveillance 10.
L’évaporation d’une part importante des déplacements. Si la diminution de la mobilité s’est traduite par une augmentation des télécommunications, une part des déplacements a tout simplement disparu. Il s’agit en particulier de déplacements domicile-travail et de déplacements de loisirs. C’est ainsi qu’en France, d’après l’enquête menée par le Forum Vies Mobiles pendant le confinement du printemps 2020 11, 40% des actifs ont dû arrêter de travailler et que la plupart des déplacements pour les activités de loisirs et de sociabilité a fortement diminué, alors que les déplacements d’achats se sont maintenus, mais ont été davantage réalisés dans la proximité à des rythmes quotidiens plutôt qu’hebdomadaires.
Un retour de la proximité spatiale dans la vie quotidienne. La réalisation d’activités à son domicile (faire du pain, cuisiner) et la fréquentation des abords de son domicile ont augmenté durant la pandémie 12. Cette croissance ne s’est cependant pas traduite par une croissance des services rendus entre voisins. Comme le montre la recherche de Anne Lambert et al. : « Comme en temps normal, quatre Français sur dix déclarent avoir rendu un service dans leur quartier, et 29% disent en avoir reçu 13. » L’enquête internationale menée par le cabinet Mobil’Homme 14 a montré que la part des personnes qui pratiquent les sorties récréatives dans leur quartier de résidence a augmenté dans tous les pays étudiés, sauf en Espagne (où il y avait une interdiction de sortie pour ce type de motif). En Suisse par exemple, 23% de la population déclarait faire des activités à proximité de son domicile tous les jours avant le confinement du printemps 2020, contre 32 % pendant le confinement.
Des changements de pratiques modales. Les usages de la marche et du vélo sont en croissance, tandis que la pratique de l’avion a quasiment disparu, que l’utilisation des transports publics est en régression, et que la part modale de l’automobile augmente dans la mobilité quotidienne (pour des chiffres sur l’Ile-de-France, voir l’étude de l’IAU « Tableau de bord de la mobilité en Île-de-France » 15). En se basant à nouveau sur les données de l’enquête internationale menée par le cabinet Mobil’Homme, il apparaît concernant les transports publics que si la baisse de leur utilisation a été identifiée dans les sept pays étudiés, celle-ci varie fortement par son ampleur et sa temporalité. Ainsi, parmi les personnes qui ont continué à se déplacer pour aller travailler pendant le confinement du printemps 2020 et qui utilisaient les transports publics avant la crise pour se rendre sur leur lieu de travail habituel, une majorité a continué à utiliser les transports publics en Autriche, en Suisse, en Espagne, et en Allemagne. À l’inverse, en Belgique, mais surtout en France et au Luxembourg, un abandon très important des transports publics a été observé 16. Celui-ci est lié à des diminutions des volumes de services particulièrement fortes (entre 10% et 30% de l’offre de transports publics a été maintenue dans les agglomérations françaises pendant le confinement du printemps – 30% en Île-de-France). Toujours durant le confinement du printemps, la pratique du vélo a fortement augmenté, sans pour autant atteindre des parts modales importantes ; c’est ainsi que le vélo a connu en France une augmentation de fréquentation de + 200%, mais que celle-ci représente moins de 10% du total des déplacements de la vie quotidienne. Il est à noter que la marche a aussi augmenté pendant la période du confinement du printemps, au point d’atteindre 40% de l’ensemble des déplacements dans de nombreuses agglomérations urbaines.
Après le confinement du printemps, la reprise de l’utilisation des transports publics s’est avérée contrastée suivant les pays en Europe. Si elle a été assez franche et rapide en Allemagne ou en Suisse, elle est restée plus modeste en Belgique ou en France 17. Pour les déplacements quotidiens de longue distance, notons que la reprise est partout très lente, y compris pour les déplacements en automobile. Il convient enfin de relever à propos des pratiques modales que si l’on raisonne en volume de trafic, la hausse de la part modale de l’automobile pendant les périodes de confinement ne s’est pas traduite par une hausse des flux routiers, au contraire : comme beaucoup de déplacements n’étaient pas réalisés durant cette période, l’intensité du trafic automobile s’est avérée être plus faible que durant la période pré-crise sanitaire 18.
Mis à part la croissance de la part modale de l’automobile et la diminution drastique des usages des transports publics et de l’avion, toutes ces tendances étaient préexistantes à la pandémie de la Covid-19 : la crise n’a fait que les amplifier et les accélérer.
La vie confinée a permis des expérimentations en partie positives, notamment dans l’apaisement des rythmes de vie qui en a découlé, comme nous venons de le relever 19. Dans la mesure où ces expériences vont clairement dans le sens de la transition mobilitaire, il est important de se poser la question de savoir comment les pérenniser dans la normalité future. La recherche de Greg Marsden ouvre à ce propos des pistes importantes 20. Spécialiste des questions de gouvernance, il relève en particulier que pour pérenniser les aspects positifs du confinement en matière d’apaisement du rythme de vie et de durabilité des pratiques, il est plus efficace de modifier les règles collectives que de se focaliser sur ce que chacun pourrait faire individuellement. Cela découle du constat qu’une injonction à la mobilité s’est progressivement érigée dans nos sociétés sous forme de norme sociale. Greg Marsden relève : « Dans chacune de nos études, nous avons constaté une prise de conscience de la nécessité de remettre en cause les représentations sur le besoin de voyager, le besoin de disposer de lieux d’achats diversifiés ou le besoin de se rendre au travail. Ces conceptions ne dépendent pas de choix individuels, mais plutôt d’une négociation entre différents acteurs de la société, entreprises et gouvernement, à propos de ce qui est attendu ou considéré comme normal pour une activité en particulier 21. » Il s’agit donc de profiter de la rupture introduite par la pandémie pour opérer un virage politique en faveur de nouveaux modes de vie et de nouvelles pratiques de mobilité, privilégiant la proximité, les mobilités douces ou encore les transports en commun ferrés ou routiers au détriment de l’avion. Cette vision disruptive est clairement en opposition avec les acteurs qui plaident pour des sorties de crise axées sur un retour des grandes mobilités en avion et en voiture en appelant à des soutiens financiers massifs de ces secteurs. Les aspirations individuelles et leur traduction en nouveaux modes de vie ne peuvent pas tout transformer. Il est nécessaire de les soutenir par des politiques ambitieuses qui les promeuvent. Une telle politique concerne naturellement les politiques de transports, mais également les secteurs directement concernés par la mobilité : l’aménagement du territoire, le travail, les loisirs, le tourisme, la famille et la santé 22.
Si l’exercice de prospective est toujours difficile, un certain nombre de signaux suggère des transformations de la mobilité à moyen terme suite au confinement, pour autant que cette transformation s’appuie sur des politiques ambitieuses visant à transformer les normes sociales en matière de mobilité et de modes de vie. Il s’agit en particulier de la croissance du télétravail, de la diminution de la pendularité de longue distance et des voyages professionnels, de la recomposition du tourisme et des mobilités de loisirs vers plus de localité, de la mobilité résidentielle, ainsi que de la prise en compte systématique du facteur risque sanitaire dans les déplacements à réaliser.
• Télétravail. Si l’expérience du confinement a été douloureuse en termes de santé mentale et en termes de creusement des inégalités, elle a été appréciée sous certains aspects. L’apaisement des rythmes de vie, la redécouverte de la proximité, le télétravail ont été pour beaucoup une expérience positive. L’enquête menée par le Forum Vies Mobiles pendant le confinement du printemps 2020 l’a clairement montré 23. Un chiffre ressort en particulier de cette étude : parmi les salariés ayant pratiqué le télétravail depuis leur domicile pendant le confinement du printemps, plus de la moitié (53%) a apprécié cette expérience. Comme le relève Christian Licoppe, le télétravail ne constitue pas simplement une alternative au travail en présence, mais une ressource qui permet des configurations permettant de combiner différemment présence et télé-présence au fil du temps et des besoins liés aux activités pratiquées 24. Selon lui, l’essor du télétravail est l’occasion d’une discussion politique relative aux interactions dans le cadre du travail, mais aussi au droit à la télé-présence et aux modalités de surveillance des salariés. Il invite à transformer les normes juridiques liées au travail pour soutenir la transition mobilitaire 25.
• Tourisme. En matière de tourisme, la crise sanitaire a actuellement pour conséquence d’encourager la population à délaisser les destinations touristiques lointaines au profit du tourisme local et de proximité 26. Il est probable que cette tendance perdure à moyen terme, en lien avec la persistance de la peur de nouvelles crises sanitaires. À long-terme, soit à un horizon de 5 ans et plus, nombreux sont les experts qui prédisent un rebond du tourisme international, du fait notamment d’un habitus des vacances lointaines fortement ancrés dans les modes de vie 27. Il est cependant probable que la crise économique annoncée aura pour conséquence que le tourisme international de longue distance ne retrouvera pas son niveau d’avant la crise. Ce sera d’autant plus le cas si des arbitrages en matière de politiques touristiques promeuvent activement une transition des mobilités de loisirs vers davantage de proximité et moins d’avion 28.
• Mobilité résidentielle. Parmi les conséquences de la pandémie sur la mobilité du futur, notons également les envies de migration résidentielle. Elles sont clairement centripètes et concernent en particulier en France la volonté de quitter l’Île-de-France. Les régions métropolitaines, l’habitat urbain dans des contextes de forte densité, sont plus mal vécus depuis le confinement et cela se traduit dans toute l’Europe par un marché du logement particulièrement dynamique dans les petites villes, le périurbain et les régions rurales. À nouveau, l’étude menée par le Forum Vies Mobiles l’indique clairement, tout comme celles menées par La fabrique de la cité sur les villes moyennes 29.
Les différentes transformations de la mobilité qui viennent d’être évoquées auront probablement des effets sur le partage modal pour les déplacements de personnes, mais aussi sur la portée spatiale de la mobilité et sur les déplacements de marchandises et les systèmes logistiques urbains. Il est probable que le vélo et surtout la marche prennent à l’avenir de l’importance comme moyens de transport dans la vie quotidienne. Il est également probable que la pendularité de longue distance se contracte au bénéfice du développement du télétravail. On peut également supposer que les voyages d’affaires lointains ne retrouveront pas leur niveau d’avant la crise sanitaire ; il en sera peut-être de même pour les mobilités touristiques lointaines. Si ces évolutions se vérifient, il en résultera alors une diminution des flux de déplacements en automobile. Le développement du téléachat aura probablement pour conséquence une importance croissante des systèmes de logistiques de livraisons à domicile.
Il est important de prendre la mesure de ces changements possibles pour planifier des offres de mobilité du futur en conséquence : le futur de la mobilité peut ne pas être une simple prolongation des tendances passées si des politiques ambitieuses viennent appuyer les changements, avec pour claire ambition de promouvoir de nouvelles normes sociales en matière de modes de vie désirables.
En complément de ce qui vient d’être développé, trois thématiques méritent d’être abordées en lien avec le confinement.
La centralité du travail dans les dispositifs de confinement. Dans les dispositifs de confinement mis en place dans le monde, le motif travail a partout occupé une place particulière. Il s’agit en général du premier motif autorisé sans restriction et il a été considéré dans de nombreux pays comme relevant des « activités essentielles » ou des « besoins essentiels » de la population. Ceci indique naturellement la persistance de la centralité du travail comme vecteur d’insertion sociale et met au jour des tensions inédites entre la vie professionnelle et la vie privée. Le droit d’exercer sa profession, et même l’injonction à poursuivre le travail, a en effet été associé dans de nombreux pays dont la France à l’interdiction de réaliser des activités essentielles à la vie sociale et culturelle : les fêtes de famille, les sorties récréatives (limitées à une heure), toutes sortes d’activités sportives en équipe ou même individuelles, les activités culturelles. Controverses et polémiques ont suivi ces décisions : ne privilégie-t-on pas l’économie au détriment de la vie sociale et culturelle ? Pourquoi les activités et services essentiels seraient-ils uniquement ceux qui relèvent du rapport marchand ?
La question des autorisations et du contrôle des déplacements pendant le confinement. Si les pays du monde entier (ou presque) ont vécu des épisodes de confinement durant l’année 2020, l’ampleur de ceux-ci et les modalités de contrôle ont été très contrastées.
Concernant l’ampleur des mesures, relevons tout d’abord que les régimes autoritaires se situent aux deux extrêmes : la Chine a mis en place un confinement total de certaines régions, villes ou quartiers en empêchant physiquement les déplacements. La mesure a été jusqu’à murer des habitants dans leur immeuble pour les empêcher de sortir. À l’opposé, le Brésil de Jair Bolsonaro a minimisé la pandémie, la considérant comme « une grippette », et n’a pris aucune mesure de confinement particulière à l’échelle nationale. Dans les démocraties occidentales, en plus de l’obligation des « gestes barrière » (port du masque, distance interpersonnelle de 1,50 à 2m, utilisation de gels hydroalcoolique), les mesures de confinement ont également été contrastées. Dans les pays les plus stricts, elles ont consisté en une interdiction de se déplacer pour toute une série de motifs, avec des limites temporelles et spatiales des déplacements (en Espagne, en France et en Italie), la mesure s’associant à l’obligation de télétravail, la fermeture de nombreux commerces et la limitation des rassemblements à des jauges de 5, 10 ou 50 personnes. Dans les pays les moins sévères, les mesures de confinement ont consisté à recommander le télétravail et la limitation des déplacements, tout en limitant les rassemblements à des jauges variant de 50 à 1 000 personnes suivant les types d’activités. L’Allemagne a clairement pratiqué le confinement de cette manière, tout comme les pays scandinaves. En Europe, la Suède a fait exception, en ne pratiquant pas à proprement parler de confinement, mais en se bornant à émettre des recommandations.
Concernant les modalités de contrôle des mesures prises par rapport aux déplacements, deux grandes tendances se dégagent. La première est celle de l’appel citoyen à la responsabilité individuelle face à la pandémie et aux risques collectifs. Dans cet esprit, chaque personne est encouragée à scrupuleusement se conformer aux recommandations sanitaires, soit aux « gestes barrières », mais également aux règles sanitaires édictées. L’Allemagne, la Suisse et les Pays Scandinaves ont clairement pratiqué cette première modalité. La seconde consiste à obliger les individus qui se déplacent à avoir sur eux un justificatif de déplacement et les contrevenants sont sévèrement amendés. La France et l’Espagne sont tout à fait emblématiques de cette approche paternaliste du contrôle des mesures prises.
La conscience écologique et le confinement. L’expérience du confinement, en particulier le ralentissement et la vie en proximité qui y sont associés, a eu pour effet de pousser de nombreuses personnes à repenser leur mode de vie. Les recherches menées par le Forum Vies Mobiles montrent que depuis plusieurs années, nombreux sont ceux qui aspirent à de tels changements 30. Il est probable que l’expérience du confinement en 2020 pousse à des choix de vie allant dans cette direction 31.
Plus généralement, la pandémie est largement considérée comme associée aux phénomènes de globalisation économique à l’échelle mondiale. Sa diffusion est passée par les grandes mobilités, notamment l’avion, et le confinement a montré les limites d’un modèle économique où la production industrielle est très largement dépendante de la Chine. De nombreuses voix s’élèvent pour exiger des politiques de transition écologique ambitieuses et rapides à la suite de la pandémie, de même qu’une relocalisation des activités de production en Europe et une valorisation des circuits courts 32.
1 Cet article traite principalement du premier confinement intervenu au printemps 2020, qui a été à la fois le plus strict et le plus global sur le plan international. Il est également le seul offrant le recul nécessaire à l’analyse au moment de l’écriture de ces lignes.
2 Bourdeau-Lepage L. (2020). « Le confinement et ses effets sur le quotidien : Premiers résultats bruts des 1re et 2e semaines de confinement en France ». https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02650456/document
3 Voir à ce propos la note du ministère français de l’Économie https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/08/06/inegalites-de-conditions-de-vie-face-au-confinement et l’enquête Citizen Corona Science menée à l’EPFL https://actu.epfl.ch/news/premieres-tendances-apres-la-cloture-de-l-enquete-/
5 https://www.nytimes.com/2021/03/25/climate/buses-trains-ridership-climate-change.html
6 Le virus s’est ainsi propagé très rapidement à travers le monde par le canal de la mobilité de longue distance comme les voyages d’affaire ou le tourisme international (et au départ plus particulièrement intercontinental). L’avion a ainsi été concrètement le vecteur initial de propagation de la Covid-19, même si les contaminations sont rares dans les appareils, grâce au système complexe de circulation et de renouvellement de l’air au sein des cockpits. Concernant la propagation internationale de la Covid-19, voir l’article du Monde du 28 février 2020 : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/02/28/covid-19-les-foyers-proliferent-hors-de-chine_6031163_3244.html
7 Source : https://www.oodrive.com/fr/blog/productivite/covid19-teletravail-europe-et-france/
9 Dubois Y. et al. (2020). « Effets de la crise sanitaire ; 1. Le télétravail dans 7 pays européens », Bureau Mobil’homme: Lausanne (Suisse). https://mobilhomme.ch/2020/06/29/le-recours-au-teletravail-pourrait-perdurer-durablement-en-europe-apres-la-crise-mais-pas-avec-les-memes-chances-pour-tous. Ces résultats ont été confirmés pour la France par les études de 6T ( https://6-t.co/etude-sur-limpact-du-teletravail-sur-la-mobilite-et-les-modes-de-vie/ ), du Forum Vies Mobiles ( https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2020/04/23/enquete-sur-impacts-confinement-sur-mobilite-et-modes-vie-des-francais-13285 ), ou encore de l’ADEME ( https://www.ademe.fr/teletravail-immobilite-modes-vie ).
10 Voir à ce propos : https://fr.forumviesmobiles.org/2020/05/11/video-communication-visiophonie-et-confinement-13295
12 Voir à ce propos l’article de Fanny Laprise, paru dans The Conversation https://theconversation.com/le-confinement-une-transition-vers-de-nouveaux-modes-de-vie-134616
13 Lambert, A., Cayouette-Remblière, J., Guéraut, É., Le Roux, G., Bonvalet, C., Girard, V. & Langlois, L. (2020). Comment voisine-t-on dans la France confinée ?. Population & Sociétés, 6(6), 1-4. https://doi.org/10.3917/popsoc.578.0001
14 Dubois Y. et al. (2020). « Effets de la crise sanitaire; 2 pratiques et perspectives de la mobilité en Europe », Bureau Mobil’homme : Lausanne (Suisse) https://mobilhomme.ch/wp-content/uploads/2020/07/Enqueteconfinement_Mobilite-9juillet2020.pdf
16 Dubois Y. et al. (2020). « Effets de la crise sanitaire; 2 pratiques et perspectives de la mobilité en Europe », Bureau Mobil’homme : Lausanne (Suisse) https://mobilhomme.ch/wp-content/uploads/2020/07/Enqueteconfinement_Mobilite-9juillet2020.pdf
17 Pour approfondir l’ensemble des tendances relatives à l’évolution des parts modales pendant la période de confinement du printemps 2020 et la reprise des trafic par la suite et pendant le second confinement, nous renvoyons le lecteur aux sources suivantes : Pour l’Île-de-France : https://www.institutparisregion.fr/mobilite-et-transports/deplacements/tableau-de-bord-de-la-mobilite-en-ile-de-france.html; pour la France : https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-pointdevue-mobilite-transport-colard-septembre.pdf; pour la Suisse : https://ivtmobis.ethz.ch/mobis/covid19/reports/latest
18 Voir à ce propos le site de l’Observatoire européen du trafic Covid19 – France, Italie, Suisse, de Citec Digital. https://storymaps.arcgis.com/stories/0cc215bb43c64239bec39af0eb9315bc
19 Pour une synthèse, voir : https://fr.forumviesmobiles.org/2020/05/11/confinement-agit-comme-revelateur-des-limites-nos-rythmes-nos-modes-et-nos-cadres-vie-13296
22 Voir à ce propos le rapport de France Stratégie : « Mobilités et Covid-19 : quels impacts sur les comportements et les politiques de transport ? » https://www.strategie.gouv.fr/point-de-vue/mobilites-covid-19-impacts-comportements-politiques-de-transport, voir également la tribune du Forum Vies Mobiles du 19 février 2020 dans le magazine Reporterre https://reporterre.net/Pour-diminuer-les-transports-redonnons-vie-aux-territoires
24 Voir à ce propos : https://fr.forumviesmobiles.org/2020/05/11/video-communication-visiophonie-et-confinement-13295
25 https://fr.forumviesmobiles.org/2020/05/11/video-communication-visiophonie-et-confinement-13295
26 Service public fédéral Mobilité et Transports (2020) Enquête BEMOB¬ impact du covid-19 sur les habitudes de mobilité des Belges, Direction générale Politique de Mobilité durable et ferroviaire, Service Études et Enquêtes https://mobilit.belgium.be/sites/default/files/bemob_impactcovid19_fr.pdf Pour la France, des observations similaires sont effectuées par Emmanuel Briant et ses collègues dans un article paru dans la revue Téoros.
Briant E., Bechet M., Machemehl C., Suchet A. (2020), « Utopies d’un tourisme en renouvellement. », Téoros [http://journals.openedition.org/teoros/7312](http://journals.openedition.org/teoros/7312). En Suisse la clientèle qui a pris ses vacances dans le pays a augmenté de 24% en 2020 durant la saison estivale, qui s'étale de juillet à octobre (mesuré en nuitées). Source : [https://www.rts.ch/info/suisse/11989952-la-crise-actuelle-pourrait-etre-un-point-de-bascule-vers-un-nouveau-tourisme.html](https://www.rts.ch/info/suisse/11989952-la-crise-actuelle-pourrait-etre-un-point-de-bascule-vers-un-nouveau-tourisme.html)27 Voir à ce propos l’article de Viceriat P. et Origet du Cluzeau C. (2021) « Les impacts de la Pandémie sur le tourisme mondial à court, moyen et long terme » dans la revue Espaces n°358, Janvier 2021.
28 Voir à ce propos l’article de Bourdeau Ph. (2020) « Le tourisme face à ses limites en période de crise » dans la revue Espaces n°355, Juillet 2020. Pour plus d’informations, voir également le dossier « Comment rebondir dans le monde post covid-19 ? » dans la revue Espaces n°358, Janvier 2021 et le dossier « Le tourisme dans ‘le monde d’après’ » dans la revue Espaces n°355, juillet 2020.
29 Pour les enquêtes menées par le think thank La fabrique de la cité, voir : https://cityramag.fr/quelles-perceptions-les-francais-ont-ils-des-villes-moyennes/ Toujours pour la France, voir aussi dans la presse : Le Monde Diplomatique, « la revanche des campagnes » ; Courrier International « quitter Paris, une tendance de fonds ».
30 Voir notamment : https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2018/03/07/modes-vie-et-mobilite-desires-quel-horizon-pour-demain-3509 ; https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2016/05/23/aspirations-liees-mobilite-et-aux-modes-vie-enquete-internationale-3240 ; https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2018/04/18/enquete-sur-laspiration-quitter-lile-france-12408
31 C’est une des conclusions de l’Enquête sur les impacts du confinement sur la mobilité et les modes de vie des Français https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2020/04/23/enquete-sur-impacts-confinement-sur-mobilite-et-modes-vie-des-francais-13285
32 Sur ces enjeux, nous recommandons la lecture de l’article de Christian Perthuis paru dans la revue Futuribles (no 437) « Covid-19 et réchauffement climatique. Comment la catastrophe sanitaire interagit avec l’action climatique ». https://www.futuribles.com/fr/revue/437/covid-19-et-rechauffement-climatique-comment-la-ca
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xExercice d’une activité salariée hors des locaux de l’entreprise, à domicile ou dans un lieu tiers pendant les horaires de travail habituels et nécessitant d’avoir accès à des outils de télécommunication.
En savoir plus xLes mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xLa mobilité résidentielle désigne, de manière large, le changement de lieu de résidence d’un ménage à l’intérieur d’un bassin de vie.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xUn mode de vie est une composition - dans le temps et l’espace - des activités et expériences quotidiennes qui donnent sens et forme à la vie d’une personne ou d’un groupe.
En savoir plus xPour citer cette publication :
Vincent Kaufmann (19 Avril 2021), « Confinement », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 24 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/dictionnaire/13661/confinement
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