Le président sortant Jean Rottner, pour Les Républicains, et la candidate de la gauche écologiste, Éliane Romani (EELV, PS, PCF…) prennent à bras le corps les enjeux auxquels fait face la région la plus centrifuge de France, en déprise à la fois démographique et économique 1.Ces visions politiques apportent un contrepoint édifiant pour la compréhension du territoire national aux échanges des candidats franciliens, confrontés pour leur part aux défis de l’attractivité internationale de la région capitale jusqu’à la saturation.
La transition écologique ne semble plus un objet de débat entre les candidats en lice, au moins au niveau du discours : dans sa déclaration, le président sortant des Républicains partage les mêmes grandes orientations et mots d’ordre que la candidate écologiste, en visant un aménagement durable du territoire. Les deux candidats se saisissent aussi de l’aspiration des habitants à vivre dans des cadres de vie plus agréables et moins pollués : notre enquête montre d’ailleurs que, à rebours de l’image de déprise de la région Grand-Est, les habitants souhaitent dans l’idéal continuer d’y vivre. Derrière ce consensus apparent, la divergence idéologique entre les deux candidats est explicitée par la tête de liste écologiste : elle souhaite s’inscrire en rupture avec la logique d’attractivité et de compétitivité qu’elle perçoit à travers les politiques publiques menées par l’équipe sortante. En matière de développement de l’offre de transports, on note une volonté commune de redévelopper l’infrastructure ferroviaire, en particulier pour les déplacements du quotidien, et de mettre en place une véritable politique cyclable à l’échelle de la région, sans pour autant qu’une proposition précise de réseau ne soit associée à ces plans.
Éliane Romani propose de penser les mobilités à l’échelle des bassins de vie des habitants et Jean Rottner, pour sa part, fait du développement des services de proximité une priorité, notamment dans le domaine de la santé et du sport. L’un et l’autre ont de concert intégré le désir des Français de vivre au quotidien plus près de leur domicile 2 et le traduisent par l’amélioration de l’accès aux réseaux et aux activités. Mais que veut dire être proche des ressources quand on habite une région aussi vaste et aussi peu dense ? Une réflexion approfondie sur les activités et services de proximité souhaités par les habitants – en particulier dans les espaces éloignés des villes – en prenant des références concrètes en termes de temps et de distance, serait nécessaire pour voir précisément comment réduire la dépendance des habitants aux déplacements carbonés. Notre enquête montre qu’à l’échelle de la région les trois quarts des actifs (75%) souhaitent pouvoir travailler à moins de 9 kilomètres de chez eux, soit à moins de 15 minutes en voiture ou 30 minutes à vélo. Si la « ville du quart d’heure » fait désormais référence pour penser les espaces urbains, quand parlera-t-on du « territoire de la demi-heure » ?
Pour les deux prétendants à la direction d’une région au cœur de dynamiques centrifuges (à l’ouest en direction de l’Ile-de-France, à l’Est au profit des pays frontaliers), la réponse à la déprise démographique et à l’allongement des distances parcourues au quotidien par les habitants est de créer de l’activité économique et des emplois non-délocalisables. Pour le président sortant, cet objectif implique de chercher à attirer des capitaux étrangers et de s’ouvrir vers l’international, tandis que la candidate écologiste défend une approche centrée sur les forces intrinsèques du territoire géographique, en visant sa résilience et le développement de son autonomie. Chacune de ces visions présente des limites pour penser concrètement l’enjeu des distances domicile-travail et de l’ensemble des déplacements induits par le fonctionnement d’un territoire. Par exemple, la question des travailleurs transfrontaliers et plus largement des liens avec les régions dynamiques voisines (en matière d’emploi, de formation, de tourisme...) n’est pas traitée par les candidats dans leurs réponses. Les actions en matière d’emplois et d’activité économiques ne sont pas non plus déclinées selon les spécificités des différentes zones géographiques de la région (petites métropoles dynamiques, ruralité, zones de montagne…), tout comme les secteurs d’activités et les types d’emplois visés ne sont pas précisés par les candidats. En tant que région industrielle tournée vers l’automobile, une stratégie de développement des petits véhicules, plus légers et moins polluants, pourrait par exemple s’inscrire en cohérence avec l’objectif de durabilité des déplacements et, par exemple, avec la proposition d’Éliane Romani de développer l’énergie hydrogène.
Si les deux candidats ont bien perçu les limites de la généralisation du télétravail que ce soit en matière d’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, de cohésion des équipes de travail ou encore de santé, aucun des deux ne se saisit du potentiel du travail à distance en matière d’aménagement du territoire et d’attractivité régionale. La région ne pourrait-elle pas chercher à attirer des salariés télétravailleurs, par exemple parmi ceux qui souhaitent quitter l’Ile-de-France 3, en valorisant ses petites et moyennes agglomérations bien desservies par le train et qui offrent des logements abordables dans des cadres de vie agréables ? Un maillage du territoire avec des espaces de travail partagé pourrait par exemple permettre d’attirer de nouveaux habitants et les accompagner dans leur changement de vie. Le potentiel de redynamisation du télétravail mériterait selon nous d’être exploré par les futurs élus de la région, en complément des réflexions sur les emplois locaux, dont certains pourraient eux-mêmes être créés par la présence de télétravailleurs (services, restauration, garde d’enfants…).
En conclusion, si les deux candidats ont bien perçu les mouvements de la société autour de l’aspiration à vivre en plus grande proximité, avec une meilleure qualité de vie, et l’intérêt écologique de ce souhait - qui devrait permettre de moins se déplacer avec des modes polluants, ils ne se saisissent pas pleinement de la réactualisation, par la crise sanitaire, du désir de vivre dans des espaces moins denses et du formidable levier qu’elle offre pour réorganiser le territoire régional.
Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xExercice d’une activité salariée hors des locaux de l’entreprise, à domicile ou dans un lieu tiers pendant les horaires de travail habituels et nécessitant d’avoir accès à des outils de télécommunication.
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Pour citer cette publication :
Forum Vies Mobiles (14 Juin 2021), « Élections régionales dans le Grand Est – Audition des candidats : quel futur désiré et durable pour la région ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 24 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/evenements/13715/elections-regionales-dans-le-grand-est-audition-des-candidats-quel-futur-desire-et-durable-pour-la
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