En France, la population est de plus en plus âgée et cette tendance va perdurer encore plusieurs décennies. Ce phénomène représente un double défi, sanitaire et climatique, pour notre système de mobilité car, comme le rappelle régulièrement l’Organisation Mondiale de la Santé, vieillir en bonne santé passe par une activité physique régulière et parce qu’il est primordial de développer des alternatives à la voiture accessibles à toute la population pour décarboner la mobilité. Pour apporter des réponses à ce double défi, cette enquête du Forum Vies Mobiles cherche à connaître la pratique actuelle et potentielle du vélo par les Français nés entre 1943 et 1963 et donc aujourd’hui âgés de 60 à 80 ans. Cette enquête quantitative fait suite à un volet qualitatif mené par le chercheur Alexandre Rigal, docteur en sociologie à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.
Cette enquête sur la pratique du vélo des séniors a été menée à l’échelle de la France métropolitaine auprès de 783 Français âgés entre 60 et 80 ans du 6 au 21 novembre 2023, via le panel en ligne de BVA Xsight. Cet échantillon est composé de 536 personnes — représentatives de la population des séniors en France—, auxquels nous avons ajouté un échantillon de 247 cyclistes séniors pour consolider les résultats auprès de cette cible particulière.
Cette enquête quantitative s’appuie sur un volet qualitatif mené par le chercheur Alexandre Rigal, docteur en sociologie à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, via des entretiens semi-directifs organisés avec 29 individus de soixante ans et plus (moyenne : 70 ans), dont 24 cyclistes réguliers, au 2e semestre 2022 dans la Métropole de Lyon et ses alentours. La présente page se concentre sur les résultats de l’enquête quantitative. Le rapport complet de la recherche qualitative est accessible ici.
En raison de la domination du système voiture depuis des décennies et des difficultés pouvant être liées à l’âge, on pouvait s’attendre à trouver une part très faible de cyclistes au sein de la population sénior. Pourtant, les personnes âgées entre 60 et 80 ans sont assez nombreuses à faire du vélo régulièrement, 38% en font au moins une fois par mois :
Malgré tout, 62% n’en font donc que très rarement ou jamais. On retrouve donc à peu près la même diffusion de la pratique du vélo chez les séniors que dans l’ensemble de la population : en effet, 63% des Français font du vélo moins d’une fois par mois d’après la dernière enquête du ministère de la transition écologique 1.
L’enquête permet de mettre en évidence un problème de compétences chez un quart de la population sénior. En effet, 22% des séniors français déclarent n'avoir jamais pratiqué le vélo et ainsi n’avoir jamais appris à en faire. Au total, cela représente environ 3 millions de séniors entre 60 et 80 ans qui n’ont pas les compétences de base nécessaires à la pratique du vélo.
L’impact du niveau de diplôme sur la pratique cycliste n’est pas linéaire. Les séniors diplômés du supérieur sont plus enclins à pratiquer le vélo que ceux détenant le baccalauréat ou un CAP/BEP. Cependant, les plus assidus sont sans diplôme. Toutes choses égales par ailleurs, ils ont près de trois fois plus de chances de pratiquer régulièrement le vélo qu'une personne titulaire d’un CAP/BEP ou du baccalauréat, et deux fois plus de chances qu’une personne diplômée du supérieur.
Quant au niveau de revenus, il ne semble corrélé, ni positivement ni négativement, à la pratique cycliste.
Nous avons souhaité savoir ce qui motivait la pratique du vélo chez les séniors, en mettant en avant deux types de motifs : prendre son vélo pour réaliser un déplacement utilitaire (se rendre au travail, à un rendez-vous, faire ses courses, ...) et faire du vélo pour le plaisir (sport, balade, ...).
Malgré la progression rapide de la pratique ces dernières années dans les centres-villes, le vélo n’est pas l’apanage des urbains chez les séniors. Il est en effet pratiqué aussi fréquemment dans le rural qu’en centre-ville. En revanche, l’équilibre entre les motifs poussant à faire du vélo n’est pas le même selon les territoires :
Jusqu'à 75 ans, la pratique régulière du vélo est stable entre les différentes tranches d'âge de la population, mais à partir de cet âge elle connait un déclin significatif. En effet, l’avancée en âge et le déclin des capacités physiques qui l’accompagne sont à l’origine d’une diminution de la pratique du vélo. Parmi les anciens pratiquants réguliers, 40% évoquent des maladies et problèmes physiques pour justifier l’arrêt de leur pratique.
Notons que les recherches sur la conduite automobile indiquent que cette chute commence relativement plus tôt chez les automobilistes, autour de 70 ans 2.
Le tournant de la soixantaine semble plutôt favorable à une augmentation de la pratique régulière du vélo chez ceux qui en faisaient déjà. En effet, à 60 ans :
Ces variations peuvent s'expliquer par des changements de mode de vie, comme un déménagement et surtout le passage à la retraite qui implique des rythmes moins contraints et des distances moins importantes à parcourir au quotidien.
Néanmoins, il est particulièrement notable qu’un nombre infime de séniors débute la pratique du vélo à 60 ans ou après : ce ne sont que 1% des séniors qui se mettent au vélo après 60 ans s’ils n’en faisaient pas déjà avant.
Au sein des cyclistes séniors, le facteur le plus discriminant est le genre : seules 36% des cyclistes réguliers séniors sont des femmes, contre 64% de cyclistes hommes. Si parmi les hommes et les femmes cyclistes séniors, le niveau de pratique déclaré à l’enfance et à l’adolescence diffère peu, les femmes sont bien moins nombreuses que les hommes à déclarer avoir pratiqué régulièrement le vélo à l’âge adulte.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet écart. Les femmes sont encore davantage sujettes que les hommes à des normes sociales les poussant à éviter l’activité physique et à limiter les déplacements seules. Elles sont également confrontées à un espace public qui leur est inhospitalier, où la domination masculine se manifeste de diverses manières : occupation de l’espace, harcèlement sexuel, risques d’agression physique. Enfin, on sait que les femmes assument encore aujourd’hui la majorité des tâches domestiques – courses, accompagnement et soins des enfants ou des plus âgés – les obligeant souvent à privilégier la voiture et à délaisser le vélo pour leurs déplacements.
En revanche, on peut supposer que cet écart à l’âge adulte entre les hommes et les femmes ne s’explique en rien par manque de goût pour le vélo car il semble que ces dernières « rattrapent » partiellement ce retard après 60 ans en augmentant davantage leur pratique du vélo que les hommes :
Prendre davantage le guidon relèverait d'une expérience plus féminine que masculine après 60 ans. Ces résultats contrastent particulièrement avec le constat d'une déprise automobile féminine plus fréquente et plus précoce. Est-ce justement parce qu'elles s'éloignent du volant que certaines femmes se mettent au vélo ?
Les cyclistes séniors disent apprécier très fortement l’expérience de faire du vélo. On note également que plus la pratique du vélo est régulière, plus ces bienfaits sont ressentis comme importants. Plus de 9 séniors sur 10 qui pratiquent le vélo au moins une fois par semaine disent « ressentir du bien-être en regardant le paysage », « ressentir une vitalité accrue à vélo » et déclarent que « l’idée de fournir un effort physique les enthousiasme » et que « l’idée d’aller faire du vélo leur procure de l’énergie ».
On peut noter également que 95% des séniors cyclistes se considèrent en bonne santé, soit 10 points de plus que ce que déclarent les séniors en général. On est certainement face à un cercle vertueux : plus on fait de vélo, plus on est en forme (OMS), plus on est en forme, plus on va faire régulièrement du vélo.
Figure 2 - Plaisir et vitalité en fonction de la fréquence de la pratique du vélo chez les séniors cyclistesQuand on fait du vélo, on ne souhaite pas arrêter : 82% des cyclistes séniors considèrent qu’ils auraient du mal à arrêter de circuler à vélo. Par ailleurs, ce n’est pas qu’une question « pratique » mais aussi un enjeu « d’image » : 72% des cyclistes estiment qu’ils renvoient une meilleure image d’eux-mêmes à vélo qu’en voiture et 79% déclarent que voir des personnes de leur âge faire du vélo leur donne envie d’en faire.
Enfin, aujourd’hui, un sénior sur un vélo, ça n’étonne personne. En effet, 98% d’entre eux considèrent qu’il est normal de faire du vélo à cet âge et 91% d’entre eux estiment que cette pratique est considérée comme normale également par leurs proches.
Figure 3 – Perception de la pratique du vélo chez les séniors cyclistesLes séniors cyclistes déclarent se sentir le plus en sécurité lorsqu’ils sont sur une voie séparée du trafic automobile (80% en moyenne). À l’inverse, c’est lorsqu’ils sont sur une voie avec beaucoup de trafic automobile qu’ils sont les moins nombreux à se sentir en sécurité (4%).
Ensuite, on trouve un plus grand sentiment de sécurité en zone résidentielle ou, dans une moindre mesure, sur les routes de campagne. Dans les deux cas, le trafic est moindre qu’en centre-ville ou que sur certaines routes très fréquentées, mais à la campagne les vitesses de circulation des voitures, généralement plus élevées, augmentent le sentiment d’insécurité.
On constate également que le fait de partager la voierie avec d’autres vélos ou trottinettes participe à créer un certain sentiment de sécurité, certainement lié à l’effet de « sécurité par le nombre » théorisé par l’économiste des transports Frédéric Héran : « plus il y a de cyclistes, plus ils sont en sécurité (Jacobsen, 2003), parce qu’ils deviennent plus visibles des autres usagers, qu’ils contribuent à apaiser la circulation par leur faible vitesse » 3.
On note également une tolérance au risque qui augmente avec la pratique car, si le partage de la voierie avec les automobiles et la densité du trafic sont très insécurisants pour tout le monde, plus on fait du vélo régulièrement, plus on se déclare à l’aise sur tous les types de voiries.
Figure 4 - Niveau de confiance des séniors cyclistes en fonction du type de voirie et de la fréquence de pratiqueSans surprise, pour leur sécurité, 9 cyclistes séniors sur 10 déclarent choisir systématiquement ou presque des itinéraires peu fréquentés. Et ce, plus encore que le fait « d’éviter les disputes » (81%) ou d’éviter de doubler (61%).
Figure 5 – Stratégies des séniors cyclistes pour sécuriser leur trajet à véloLe manque de sécurité, qui se traduit par la peur des accidents, est le principal frein évoqué par les séniors non cyclistes pour expliquer leur absence de pratique, auquel on pourra ajouter le manque d’infrastructures adaptées (respectivement 79% et 60%).
Les autres freins sont la météo (70% des répondants), l’âge (68%) et les problèmes de santé ou de mobilité (66%) ou encore des distances à parcourir trop importantes (61%). Ainsi, ce ne sont ni le manque de temps (27%) ni le coût ou l’entretien de la bicyclette (30%) qui empêchent les séniors qui le peuvent de faire du vélo.
Figure 6 - Les freins à la pratique du vélo chez les séniors non cyclistesPartant du principe qu’il est positif pour la santé des séniors de pratiquer une activité physique régulière et que réduire la place de la voiture pour réduire les émissions de CO2 de nos mobilités peut passer par un usage plus régulier du vélo, cette étude donne quelques pistes pour augmenter la pratique du vélo des séniors.
Pour les 17% des séniors qui sont capables de faire du vélo mais qui en font moins d’une fois par semaine (10% moins d’une fois par semaine mais au moins une fois par mois et 7% moins souvent), une politique renforçant le sentiment de sécurité et améliorant le confort de la pratique pourrait les inciter à utiliser davantage le vélo. Cela passerait par :
Cette enquête a montré que seuls 1% des séniors commencent à faire du vélo après 60 ans et que 22% des séniors n'ont jamais fait de vélo de leur vie. On a là un potentiel important pour augmenter la pratique du vélo. Cela implique de :
69% des séniors en France considèrent que le vélo électrique convient mieux aux personnes de leur âge. 28% des non cyclistes pourraient être vraiment incités à commencer la pratique du vélo avec un vélo électrique. C’est une solution qui semble d’autant plus pertinente que le vélo électrique permet de moins se fatiguer sur un trajet donné, ou d’aller plus loin pour un effort équivalent.
Le vélo électrique présente tout de même quelques limites, qui ne sont pas toujours bien maitrisées avant l’achat, étant plus lourd qu’un vélo mécanique et donc plus difficile à manœuvrer.
Seuls 8% des séniors non cyclistes disent pouvoir être vraiment incités à pédaler avec un vélo adapté (tricycle pour adulte dans le questionnaire). On peut faire l’hypothèse que ce dernier pâtit d’une image négative.
Les séniors retraités bénéficiant de davantage de temps que les actifs et les cyclistes séniors étant très sensibles à la qualité du paysage et à la densité du trafic automobile :
L'analyse typologique réalisée sur l'échantillon principal par Yoann Demoli, sociologie et maitre de conférences à l’université de Lille, met en lumière l'existence de quatre classes de séniors, selon leurs pratiques du vélo, leurs propensions à se mettre au vélo plus ou moins facilement, voire leurs rapports plus ou moins enthousiastes et prosélytes à la pratique. Les quatre groupes, dont la part dans la population étudiée est décroissante, peuvent être nommés ainsi :
Notons que c'est le groupe des réservés qui peut constituer un important vivier de néo-cyclistes, tandis que le groupe des convaincus est susceptible d'intensifier sa pratique, au détriment de l'automobilité.
Les personnes aujourd’hui âgées entre 60 et 80 ans ont grandi en voyant le système automobile se mettre en place. La voiture a fait partie intégrante de leur vie (autonomie, progrès social, ...) et le vélo a peu à peu disparu des pratiques. Pourtant, cette génération n’a pas oublié le plaisir de la bicyclette et l’enfourche encore régulièrement pour un tiers d’entre eux, aussi bien pour le sport ou les promenades que pour les déplacements utilitaires, à la campagne comme en ville. La pratique est même jugée positivement par tous, qu’ils soient cyclistes ou non. L'âge ne semble devenir une vraie contrainte qu’à partir de 75 ans en moyenne et ce n’est ni le temps, ni le coût qui empêche les séniors d’avoir une utilisation plus régulière du vélo. Pour les cyclistes séniors comme pour les non cyclistes, c’est tragiquement l’insécurité liée au trafic automobile qui est le premier obstacle perçu à une pratique plus intense ou pour se (re)mettre au vélo. Mais cette étude dessine des pistes pour permettre aux séniors qui le souhaitent de faire du vélo plus régulièrement ou plus confortablement. Alors, il est l’or mon sénior !
• Télécharger la synthèse de l’enquête en PDF
• Télécharger la présentation complète de l’enquête
• Télécharger le rapport complet de la recherche qualitative
1 Enquête nationale « usage du vélo », résultats 2023
2 Demoli, Yoann, 2017, « Prendre ou laisser le volant. L'enracinement social de la pratique de la conduite automobile », Recherche, transports, sécurité, Vol. 2017, No 01-02, p. 83-101.
3 Le système vélo, Frédéric Héran, 2018, forumviesmobiles.org
4 https://www.velo-territoires.org/politiques-cyclables/politiques-nationales/
Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xUn mode de vie est une composition - dans le temps et l’espace - des activités et expériences quotidiennes qui donnent sens et forme à la vie d’une personne ou d’un groupe.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
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