Cette note a pour objectif d'alimenter la réflexion portée par le Forum Vies Mobiles sur les mobilités et les rythmes de vie abordés par le prisme des loisirs et d’ouvrir des perspectives de recherche. À la croisée d’un travail de synthèse, d’analyse et d’étonnement, elle questionne le concept de loisirs en tant qu’activité sociale dans sa relation au temps et aux déplacements. Elle articule des concepts existants et tente une réflexion exploratoire sur l’importance de la maîtrise des temps, notamment des temps de loisir et des temps libres, dans la construction du bien-être à travers l’idée de « capabilité rythmique » et de « temps libre discrétionnaire ».
Produite en 2018, cette note a été mise à jour en mai 2021, notamment avec les résultats de la Recherche « Partir/revenir : la gestion de l’absence au domicile » 1, ainsi que par l’ajout de la partie 5 : « Confinement, déplacements et loisirs », qui intègre à la réflexion les périodes de confinement, durant lesquelles le rapport au temps a été bouleversé, la notion même de temps libre repensée, et les inégalités en termes de capabilité rythmique particulièrement mises à l’épreuve.
« Quitte-toi aussi, à la première occasion, ce vacarme, cette agitation vaine, ces travaux dépourvus du moindre intérêt, et donne-toi à l'étude et au repos : comme le dit notre cher Atilius avec tant de profondeur et d'humour, mieux vaut être oisif que ne rien faire ! » (Pline le Jeune, p. 22, dominer le temps, traduction Daniel Stissi)
Le temps de loisir peut se définir positivement comme la « libre disposition de son temps », selon Le Grand Larousse, ou négativement comme le « Temps vide que nos devoirs nous laissent », selon l’Encyclopédie de Diderot. De manière synthétique, le loisir se présente comme une enveloppe de temps libérée des temps de contrainte, quelle que soit la manière dont ces temps sont libérés par l'individu. La formalisation occidentale du loisir se fonde sur cette représentation comportementale de l’idée de temps libre qui est investi par les individus dans des activités librement choisies.
Toutefois, le temps libre n’est pas uniquement un temps de loisir. Dominique Meda souligne que l’opposition principale n’est pas entre le travail et le loisir, comme tentent de nous le faire croire un certain nombre d’interprétations trop rapides des chiffres, mais bien entre plusieurs usages du temps (Meda, 2004). Elle distingue temps professionnel, temps parental, temps domestique, temps de repos et temps de loisir.
La question du loisir est loin d'être résolue et les catégories manquent pour comprendre ce qui relève du loisir pour certains et non pour d'autres. Il existe une imprécision du concept qui « montre la nécessite de travailler sérieusement sur la conceptualisation du loisir devenu un des champs majeurs structurant nos sociétés » (Crozat & Fournier, 2005). Nous proposons de rendre compte de quelques approches du temps de loisir.
Le temps de loisir, un temps relatif au travail. Le temps de loisir a longtemps été abordé comme un temps hors travail. Cette approche en creux s’ancre dans une sociohistoire. Le temps de loisir a en effet été l’objet d’une différenciation progressive des activités dites productives depuis la révolution industrielle. Considéré comme recoupant le temps libre, il émerge comme catégorie par le réaménagement progressif des temps hors travail en fonction de la centralité croissante du temps industriel (Pronovost) dans la droite ligne des thèses de E.P. Thompson (1979, 1988). Le travail est le temps pivot, les autres activités s’y articulent (religieux, familial, civique, etc.) dans le temps laissé libre et sont considérées globalement comme des loisirs. Idéalement, « Chacun est libre d'occuper à sa guise les heures comprises entre le travail, le sommeil et les repas, non pour les gâcher dans les excès et la paresse, mais afin que tous, libérés de leur métier, puissent s'adonner à quelque bonne occupation de leur choix. » (More, [1516], 1987). La question du choix dans l’investissement du temps libre est centrale mais pas acquise.
Le temps de loisir relativement aux concepts de temps non contraint ou temps hors travail renvoie plutôt à cette approche dans son rapport avec le temps de travail considéré comme temps pivot et dominant.
Le temps de loisir, un temps relatif à des activités spécifiques. Une autre approche du temps hors travail a émergé grâce notamment aux travaux pionniers de Joffre Dumazedier, prenant appui sur les études d’emploi du temps. Plutôt que d’en faire un simple dérivé du travail, on a alors cherché à étudier la nature, le contenu et la signification du temps de loisir. Les études d’emploi du temps qui illustraient la diminution régulière du temps consacré au travail démontraient que ce temps se reportait presque exclusivement sur des activités sociales, personnelles, familiales. Dumazedier a alors tenté de décrire les caractéristiques et les fonctions du temps de loisir. Le temps de loisir revêtait alors un caractère libératoire, désintéressé, hédonistique et personnel (Dumazedier, 1966) dans un ensemble de temps autres que celui du travail qui constituait des activités plus ou moins contraintes (alimentation, éducation, tâches domestiques, sommeil, etc.). On citera à la suite de Dumazedier les travaux d’Alain Chenu qui soulignent une pause dans l’augmentation des temps de loisir (Chenu et Herpin, 2002) et analysent les usages du temps en France à partir des enquêtes emploi du temps (Chenu, 2003). Ce qui est relativement certain est que « les temps libres, que nous les consacrions à notre famille, nos amis, nos vacances, nos loisirs […], sont incontestablement devenus des temps de référence des sociétés modernes développées » (Viard, 2002).
Le temps de loisir relativement au concept de temps libératoire, temps personnel, temps hédoniste ou désintéressé renvoie plutôt à cette approche dans son rapport à des activités considérées comme spécifiques.
Le temps de loisir, un faux temps libéré. En son temps, Marx analysait à l’inverse le temps de loisir comme un temps nécessaire à la reproduction de la force de travail ouvrière inclus dans les rapports de domination du système de production capitaliste, ce temps contrôlé et instrumentalisé par la classe dominante permettant d’augmenter la productivité ouvrière. Les courants néomarxistes des années 1970 voient également dans le temps de loisir un temps dominé et marchand détournant l’attention des travailleurs de la domination subie. Dans ce cadre, le temps de loisir se définit dans le rapport au travail et s’inscrit dans des enjeux de domination. Le temps de loisir des sociétés industrielles puis de consommation serait donc faussement libératoire, même si ce temps ouvre sur une action portée par le sentiment de la libre décision dans la construction de l'identité (Rauch, 2003).
Le temps de loisir, relativement au concept de temps contrôlé et instrumentalisé par le système de production, nécessite d’être réapproprié par l’individu, de manière libre et créative, pour en jouir comme un temps véritablement hors travail et détaché de lui.
L’enjeu est alors d’émanciper le temps de loisir de ce lien à un modèle économique de production des richesses et de conduire l’individu vers une utilisation libre de son temps propre, hors de toute domination. C’est notamment Baudrillard qui, critiquant cette analyse d’un temps de loisir « asservi » au temps de travail, souligne que le temps libre lui-même ne peut plus être utilisé à autre chose qu’à la consommation faisant tourner l’appareil productif.
« Dire que le loisir est aliéné parce qu'il n'est que le temps nécessaire à la reconstitution de la force de travail est insuffisant. « L'aliénation » du loisir est plus profonde : elle ne tient pas à sa subordination directe au temps de travail, elle est liée à l'impossibilité même de perdre son temps. [...] Partout ainsi, et en dépit de la fiction de la liberté dans le loisir, il y a impossibilité logique du temps « libre », il ne peut y avoir que du temps contraint. Le temps de la consommation est celui de la production. Il l'est dans la mesure où il n'est jamais qu'une parenthèse « évasive » dans le cycle de la production. […] Le loisir est contraint dans la mesure où derrière sa gratuité apparente il reproduit fidèlement toutes les contraintes mentales et pratiques qui sont celles du temps productif et de la quotidienneté asservie. » (Baudrillard, 1970)
Aujourd’hui, le temps de loisir est un temps parmi d’autres qu’il s’agit de maximiser dans une approche quantitative mais également qualitative du temps libre, les deux étant bien entendu liés, pour un individu proactif dans l’utilisation de ses temps. Toutefois, la quantité de temps hors travail dit « libre » investi d’activités dites de loisirs diffère en qualité selon les conditions dans lesquelles ce temps libre émerge.
Le temps de loisir pourrait alors aussi se comprendre relativement à une autre catégorie de temps quasi substantivé et investi théoriquement, mais peu empiriquement, qu’est le temps perdu, le temps vide qui semble, à la manière d’un signal faible, reprendre une certaine valeur aujourd’hui dans une société aux agendas saturés, entraînant la fatigue de l’être.
Il nous semble qu’une piste féconde est celle du « temps discrétionnaire » : « La quantité des temps non contingents aux nécessités de la vie (revenus suffisants, travaux domestiques, soins personnels et aux enfants) dont un individu peut disposer à discrétion » (Goodin et al., 2008). Il renvoie à la possibilité de l’individu d’être maître de ses agendas et de les équilibrer entre les rythmes contraints et les rythmes plus libres. Avec le temps discrétionnaire on peut penser la maîtrise individuelle et réflexive des rythmes dans l’organisation du quotidien. Il est une ressource pour ralentir ou accélérer, rompre ou continuer l’agencement et la dynamique interne des temps sociaux. Il redonne le contrôle sur le rythme de vie. Il est utilisé comme un indicateur de liberté individuelle.
Il s’agit alors de transposer le temps libre en temps discrétionnaire selon l’importance des obligations autres que professionnelles. Car il existe des temps contraints autres que ceux du travail et qui varient suivant l’importance que leur donnent les individus dans la structuration de leur quotidien : civiques (vote), familiales (tâches ménagères), religieuses (rituels), scolaire (amener ses enfants à l’école) mais aussi vitaux (dormir, manger). Il existe également des temps dans les temps : le temps de mobilité contraint domicile-travail peut être considéré comme libre dans la possibilité qu’a le passager de l’investir pour travailler, se reposer, lire, etc. Le temps discrétionnaire suppose donc d’être libre d’investir ses temps dits libres car relativement détachés de contraintes d’activités pour en faire un véritable temps à soi, détaché, articulé ou investi relativement aux obligations sociales. « La flexibilité des emplois du temps a ouvert la voie à des aménagements différenciés du temps libre. Ce “temps à soi” perce de plus en plus de “trous” dans le temps professionnel. Dans ce défi, inventer un style de vie à soi paraît essentiel pour qui veut échapper au “temps contraint”. » (Rauch, 2003)
La maîtrise du temps dans ses agencements (agenda) et ses activités (séquence) représente donc une composante de la capacité à utiliser les ressources existantes pour les transformer en bien-être, cette liberté de se réaliser dénommée « capabilité » (A. Sen). Cette capabilité est relative et inégalement distribuée. Elle est une compétence construite par divers facteurs : dépendance aux proches, degré de maîtrise du quotidien, attitude envers l’existence (Sauvain-Dugerdil et Ritschard, 2005). Cette dimension discrétionnaire du temps permet ainsi de souligner les « bénéfices différentiels du temps libre » selon les catégories de populations. Certaines peuvent en jouir d’avantage que d’autres en pouvant, par exemple, acheter du temps de l’autre pour remplir les obligations non professionnelles. Les plus aisés achètent le temps d’autres pour se dégager de certaines tâches (ménage, repassage, garde des enfants, préparation des repas, etc.). D’autres ne peuvent en revanche pas s’y soustraire : recherche d’un second emploi sur le temps libre, tâches domestiques reposant majoritairement sur les femmes, etc.
Enfin, le temps discrétionnaire est aussi organisé selon les obligations sociales qui nous lient aux autres. Les moments passés avec des proches sont importants dans la qualité de l’organisation des temps de loisir, en ce qu’ils correspondent effectivement aux moments de « bien-être ». Cette question du bien-être est au cœur de la question des temporalités car elle est liée à l’organisation rythmique où il apparaît important de maîtriser ses temps libres individuellement tout en conservant des synchronismes collectifs permettant la vie sociale. La synchronie avec autrui peut être contrainte par l’obligation d’effectuer une activité à plusieurs (travail). Elle peut être considérée comme plus libre dans les relations amicales tout en étant en partie déterminée par les agendas d’autrui. Cette contrainte d’agenda produit de la négociation et de l’ajustement temporel permettant la rencontre. C’est le concept de « rendez-vous » chez Simmel ou « d’occasion sociale » chez Giddens, qui découlent d’une disponibilité individuelle à rejoindre une situation de coprésence. Dans ce cadre où le loisir est considéré comme organisateur de lien social et organisé par lui, il générerait alors des « mobilités de sociabilité » (Ramadier, Petropoulou & Bronner, 2008) ou des « mobilités du vivre libres ensemble » (Godard, 2006). La mobilité de loisir serait moins une « mobilité de transit » qu'une « mobilité de reliance », pour reprendre les expressions de Georges Amar (2010) : la première a pour objectif de franchir les distances, traverser les territoires, pour aller le plus rapidement possible d’un point A à un point B en évitant tout contact, frottement, danger, le temps devant être épargné et réduit ; la seconde repose sur la création de liens, de relations aux autres dans l’espace et le temps, elle permet de rencontrer des territoires et des lieux, le temps étant plus vécu et intéressant.
La mobilité est donc au cœur du processus de négociation et de confrontation médié par des stratégies temporelles individuelles (Nowotny, 1992) permettant de déployer des loisirs comme support d’interaction sociale. Dans cette veine, la synchronie recherchée dans ou via la mobilité peut être source d’amélioration des déplacements (Munch, 2017) et de leur confort. Par exemple, retrouver ses collègues de travail dans le train en rentrant au domicile est un motif de distraction en fin de journée orientant le choix du mode (Pradel, 2014) : jouer aux cartes, échanger des blagues. La mobilité est autant un outil d’organisation de la synchronie qu’une synchronie en elle-même en tant qu’elle organise la rencontre et l’interaction.
Le temps discrétionnaire est investi suivant les disponibilités individuelles dans des activités d’amusement qui apportent du bien-être. Les individus sont cependant inégaux devant ce temps discrétionnaire car le temps libre « à soi » est inégalement réparti et le contrôle sur ce temps libre nécessite des dispositions et des marges d’actions qui sont inégales. L’idée d’une « capabilité rythmique » permettant d’analyser les plus ou moins grandes possibilités dont disposent les individus pour organiser leurs temps sociaux est une piste à explorer. Nous proposons ainsi une définition. La capabilité rythmique rend compte de la possibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de fonctionnement lui permettant d’organiser son quotidien supportant son projet de vie dans un territoire. Amartya Sen fait d’ailleurs directement le lien entre « bien-être » et « capabilité ».
La capabilité rythmique explore l’hypothèse de l’importance des capitaux (en termes de ressources accumulés) et des compétences (en termes de dextérité à utiliser ces ressources) dans l’organisation et la coordination maîtrisées et choisies de ses rythmes propres avec ceux des individus, activités et pratiques constituant l’organisation quotidienne de la vie sociale. Par exemple et d’une manière générale, les ménages possédant un bagage culturel plus élevé, donc les diplômés sur-occupés professionnellement, s’organisent mieux et arrivent à mieux utiliser leur temps que les moins diplômés. La définition de priorités dans le temps étant un moyen permettant de réduire la complexité, pouvoir et savoir prioriser permet la maîtrise (Nowotny, 1992). À l’inverse, les ménages moins qualifiés qui sont soumis à une forte pression temporelle ont beaucoup plus de mal à organiser leur vie, soit parce qu’il leur manque les moyens culturels et techniques de jongler avec un agenda en perpétuelle modification, soit parce que leur programme d’activités est subi et qu’ils n’ont aucune possibilité de pouvoir s’organiser par eux-mêmes (Michon, 2014). Dans ce cadre, l’accès à la mobilité et la motilité individuelle participeraient d’une plus ou moins grande maîtrise de l’organisation de ses temps propres. D’autre part, le temps discrétionnaire est marqué, souligne Dumazedier, par des exigences, et en premier lieu celle de l’expression de l’individualité. Elle peut être entendue comme une nouvelle contrainte obligeant l’individu à déployer, dans ce temps spécifique, une image de soi valorisante qui passe par des activités socialement valorisées.
En reprenant l’approche d’Amartya Sen pour qui le « bien-être » découle du « pouvoir d’être ou de faire » (capabilité), on peut explorer, en négatif, la capabilité rythmique comme « pouvoir de ne pas être ou de ne pas faire » , renvoyant alors le temps libre à une définition du type : « Ce que l'on pourrait aisément ne pas faire si on ne le souhaitait pas ». La capabilité rythmique au temps libre investi de loisirs s’exprimerait alors dans la capacité de l’individu à dégager du temps pour son bien-être des temps contraints (« ce que je peux vouloir faire »), au cœur du temps contraint (« ce que je peux faire malgré tout ») ou contre le temps contraint (« ce que je ne veux pas faire).
Mais la capabilité rythmique s’insère aussi dans une structure collective du temps qui agit sur cette capabilité, mais également sur les choix d’organisation temporels des individus, quand bien même ils posséderaient une totale liberté rythmique. En effet, les rythmes collectifs sont des rythmes de socialisation et le temps individuel ne peut se penser hors d’une structure partagée du temps. Les rythmes collectifs sont le fruit d’une synchronisation des individus les uns avec les autres à un moment donné précis qui est source de vie sociale. Se désengager totalement des synchronisations revient à s’isoler totalement. La vie en société nécessite des moments de synchronisation portés par des individus (repas entre amis), des groupes (entreprises), des législations (code du travail), des États (célébrations nationales), etc. D’un côté, le caractère structurant des rythmes collectifs à toutes les échelles sur les rythmes individuels peut s’entendre comme une approche holistique du fait social. Il peut aussi s’entendre comme une approche interactionniste où la synchronisation est une forme de base de l’organisation des sociétés et de la construction de l’individu social. Il peut enfin s’entendre comme une forme de domination où les rythmes collectifs émanent de « donneurs de temps », y compris dans la manière dont est découpé le calendrier par exemple, qui s’imposent à l’individu dans sa volonté d’intégration sociale.
Derrière la capabilité rythmique, les modalités d’application d’une certaine forme de pression sociale à l’investissement du temps libre pour différentes populations réduiraient alors la liberté d’organiser librement ses temps propres. La mobilité de loisir serait alors contrainte par une pression sociale et une distorsion pourrait apparaître entre motilité (capacité de déplacement) et horizon de déplacement à atteindre (quantité de déplacement) pour répondre à cette pression sociale et créer des formes de frustration. La multiplication des loisirs de développement personnel, culturels, sportifs, mais également de mobilité (tourisme, voyage, excursion, etc.) peuvent entrer dans cette course à l’expression de l’individualité. L’augmentation des mobilités de loisir serait-elle liée au remplissage de ce temps discrétionnaire, du temps libre investi de loisir faisant de ce dernier un motif croissant de déplacement ? Se déplacer serait en soit un motif de valorisation personnelle, un « tiers temps » entre le loisir et le travail, quelle que soit la manière dont il est investi.
« Le repos, la détente, l'évasion, la distraction sont peut-être des « besoins » mais ils ne définissent pas en eux-mêmes l'exigence propre du loisir, qui est la consommation du temps. Le temps libre, c'est peut-être toute l'activité ludique dont on le remplit, mais c'est d'abord la liberté de perdre son temps, de le “tuer” éventuellement, de le dépenser en pure perte ». (Baudrillard, 1970)
Et cette liberté de perdre son temps semble, mécaniquement, de moins en moins accessible dans l’accélération des rythmes de vie si l’on en croit le travail d’Harmut Rosa. « L'accélération technique devrait logiquement impliquer une augmentation du temps libre, qui à son tour ralentirait le rythme de vie ou au moins éliminerait ou réduirait la “famine temporelle”. Puisque l'accélération technique signifie que moins de temps est nécessaire à l'accomplissement d'une tâche donnée, le temps devrait devenir abondant » (Rosa, 2010). L’introduction de la voiture serait donc à l’origine d’un gain de ressources de temps libre en permettant de parcourir plus rapidement une même distance qu’avec tout autre mode de déplacement individuel. Cela serait le cas si nous continuions de parcourir les mêmes distances et à la même fréquence. Or nous multiplions nos déplacements et nous les allongeons, ce qui remplit le temps qui aurait été laissé libre par ce saut technologique. La même logique s’applique aux smartphones. Les communications numériques nous permettraient de gagner du temps libre en évitant certains déplacements et certains prédisaient, à la fin des années 1990, la fin des réunions de travail en présentiel. Or ces dernières ne disparaissent pas, et ont même tendance à se multiplier tant elles prennent de la valeur maintenant que la possibilité de les éviter existe. Cela ne les empêche pas de se multiplier aussi en distanciel, pour un individu toujours connecté et connectable, contractant ainsi le temps laissé libre.
Mais si nous donnons du corps au temps de déplacement lui-même, pourquoi ne pas le penser à l’inverse comme le temps idoine pour l’oisiveté, le repos, la détente comme nouvel eldorado d’une société qui remplit tous les « temps morts ». Le déplacement pourrait être envisagé comme un « intervalle » entrant dans la palette des stratégies temporelles pour retrouver et maîtriser le temps. Reprendre la main sur l’intervalle, le créer, serait un moyen de sortir du remplissage et de la saturation des temps sociaux pour l’investir comme un temps discrétionnaire. L’intervalle entre deux lieux et deux actions qu’est le déplacement peut tout autant être vide que plein. Il structure les relations temporelles, il « marque, interrompt, ralentit, accélère, prolonge ou délimite les flux de temps » (Nowotny, 1992). Ce concept d’intervalle est, selon nous, à explorer pour redonner au temps discrétionnaire une base empirique dans l’analyse des rythmes de vie et penser la « désaturation » des agendas en donnant de la valeur aux entre-deux. Nombreux sont ceux qui profitent du train pour « rêvasser », laisser vagabonder la pensée en regardant le paysage défiler. Le trajet en voiture du matin est un temps pour réfléchir (Pradel, 2014). En devenant un temps en soi, une séquence dans la journée, le déplacement peut être un intervalle de temps libre investi ou non d’activités, qui enrichissent les premières approches davantage quantitatives des mobilités de loisir.
Pour analyser les temps de loisir, l’OCDE ne prend en compte que les personnes qui exercent une activité à temps plein. Les chiffres ne tiennent pas compte des étudiants, des chômeurs ou des femmes au foyer. Le temps disponible correspond en fin de compte au résidu du temps de travail. Pas de travail, pas de temps de loisir ? Ou plutôt uniquement du temps de loisir ? Dans le temps disponible global, il y a le temps de sommeil (les Français font partie des plus gros dormeurs, avec environ 8h30 de sommeil par jour) ou le temps passé pour manger (là aussi, la France est championne avec plus de deux heures par jour). L’OCDE inclut aussi dans le temps disponible global le temps consacré au « travail domestique » c'est-à-dire aux tâches ménagères ou à la garde des enfants. Ainsi, le temps de « loisir » réel (faire du sport, participer à des événements culturels, rendre visite à ses amis, regarder la télé ou écouter la radio) est plus spécifique que le temps de loisir disponible. Entre temps de loisir réel et disponible, c’est aussi l’idée de temps libre qui interroge. Souvent, temps de loisir, temps disponible et temps libre entretiennent une relation ambivalente.
Les loisirs peuvent être analysés par des moyennes de temps, comme le fait l’étude du CREDOC de 2014 2 consacrée au temps libre, défini comme le temps consacré aux loisirs, à la sociabilité, aux repas, au bricolage, au jardinage et au soin des enfants, en opposition aux temps physiologiques (sommeil, toilette), du travail, des études et des tâches ménagères considérés comme contraints. L’enquête démontre que le temps libre des Français a augmenté de 47 minutes par jour entre 1986 et 2010, passant de 7h19 à 8h06 par 24 heures. À l'inverse, le temps consacré au sommeil et à la toilette a diminué de 12 minutes, celui au travail ou aux études de 25 minutes et celui imparti aux travaux ménagers de 23 minutes. Le temps de transport est traité à part. Il est, avec le temps libre, le seul à augmenter, de 17 minutes par jour.
Le temps libre peut aussi être analysé par le prisme des budgets des ménages. Le temps libre est alors directement lié au budget loisir qui augmente également. Selon la même étude du CREDOC, ce poste représentait 8,1 % en 2012, contre 6,5% en 1959. Si la forte hausse des dépenses contraintes – notamment de logement – pèse sur le budget loisir, très dépendant de la conjoncture économique, ces chiffres placent tout de même les Français au niveau de la moyenne des pays européen, proche du niveau des dépenses de loisir en Suède, Norvège, Finlande, Royaume-Uni ou Allemagne, où elles représentent environ 10 % du budget des ménages.
D’autres approches sont parlantes pour souligner l’importance prise par les loisirs et le temps libre, comme le travail de Jean Viard, organisé par grands agrégats à l’échelle de la vie d’une personne. En 2002, il faut travailler 9 % du temps de vie et 16 % du temps de vie éveillé pour avoir droit à la retraite, soit 67 000 heures, en prenant en compte l’espérance de vie, les 35 heures et 42 annuités de cotisation. Les études quant à elles représentent 30 000 heures. Viard souligne alors que nous sommes passés de 100 000 heures disponibles au XIXe siècle (hors sommeil et travail qu’il considère comme du temps contraint) pour un ouvrier ou un paysan avec une espérance de vie de 500 000 heures en moyenne, à « environ 400 000 heures pour soi, sa famille, ses temps libres, sa culture, ses engagements et ses voyages », pour une espérance de vie d’environ 700 000 heures (Viard, 2014). Dans son calcul, 200 000 heures sont gagnées sur la mort par l’augmentation de l’espérance de vie et 100 000 par la baisse du temps de travail 3. Il précise que sur ces 400 000 heures de temps libre, 100 000 sont absorbées par la télévision – sans préciser le temps absorbé par tous les écrans cumulés (télévision, smartphone, ordinateur, etc.).
Enfin, le temps libre est mis de côté dans les enquêtes mobilité qui se concentrent, hors travail et étude, sur les loisirs comme motif de déplacement, finement analysés et compilés dans l’ouvrage de Viard, Potier et Urbain (2003). La part des loisirs comme moteur de la mobilité choisie a augmenté de 28 points (de pourcentages) pour la période des années 1976/1980 aux années 1981/1990 et de 27 points pour la période des années 1981/1990 aux années 1991/2000. En un quart de siècle, les déplacements liés aux loisirs ont augmenté de plus d’un quart. En milieu urbain notamment, le temps consacré aux déplacements ayant comme motif le loisir a augmenté à Rennes entre 1990 et 2000 de 66,1 %, à Lyon entre 1985 et 1995 de 31,9 %, à Bordeaux entre 1990 et 1998 de 82,1 %. En Île-de-France aussi, le nombre moyen de déplacements par jour et par personne de six ans et plus un jour de semaine ayant pour motif le loisir augmente ; la portée moyenne en kilomètres des déplacements liés aux loisirs a augmenté tous modes de déplacement confondus ; le nombre de déplacements ayant pour motif le loisir augmente aussi alors que la durée reste stable. Côté déplacement hors quotidien, 64 % des Français quittent leur domicile tous les ans durant au moins une semaine, dont 20 à 30 % plus souvent. 16 % ne sont jamais partis. La durée moyenne des départs est de 21 jours, ce qui signifie que 50 % des vacances sont vécues au domicile. À 70 %, le voyage à lieu en voiture, et pour plus des trois quarts se fait en France.
À ces données quantitatives, Jean Viard ajoute une dimension plus qualitative et affirmant que c’est dans « la dilatation du temps à faible contrainte que se tient la révolution temporelle ». Nous serions entrés dans « une société d’activités de temps libres “actifs” , alternatifs à l’hyperactivité professionnelle et en contrepoint du temps libre de repos inactif, décompression, de l’individu fatigué ». C’est là un changement central pour développer l’idée d’un individu proactif dans le remplissage de son temps libre et se dégager de l’idée de contrainte traditionnelle.
Mais la quantité du temps libre investi dans des loisirs ne dit rien de la qualité de ces derniers. D’où l’importance d’y ajouter la dimension du « temps à soi » effectivement disponible. D’où l’importance aussi d’analyser les possibilités différentes propres à chacun de dégager du temps à soi. D’où enfin l’intérêt d’une approche subjective et sensible de l’idée de contrainte, des capacités de chacun à s’en défaire, à les transformer via par exemple le jeu ou à les mettre à distance via l’idée de distraction. Dès lors, quels sont les loisirs pris en compte pour découper le temps si l’on avance l’idée que la distraction peut s’insérer dans des interstices difficilement appréhendables par les statistiques ?
La distinction entre temps libre et temps non libre (en creux) effectuée dans l’enquête du CREDOC classe pourtant le temps consacré à la mobilité à part. Cela n’est pas anodin lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux mobilités de loisir car la plupart de ces activités du temps libre se cantonnent au territoire domestique et ne produisent donc pas de mobilités de loisirs. Pourtant, nous pourrions avancer qu’une promenade autour de la maison est une forme de mobilité, mais nous entrons alors dans des considérations trop qualitatives.
Le traitement statistique de la mobilité de loisir dans les enquêtes origine/destination envisage en revanche le loisir comme un motif de déplacement, donc relatif à une activité considérée comme hors travail. La mobilité de loisir est considérée par l’INSEE dans l’enquête ENTD (2008) comme un segment du transport de personnes. Elle concerne tous les déplacements des personnes dont les activités de loisirs ne sont pas cantonnées à l’intérieur de leur propre maison et qui engendrent ainsi du trafic de loisir. Dans la nomenclature INSEE, elle relève des déplacements privés et les motifs se répartissent comme suivant :
Relativement aux autres motifs de déplacement de la nomenclature INSEE, nous pouvons souligner quelques éléments d’étonnement. D’abord, on voit apparaître que le déplacement peut être parfois considéré en lui-même comme un loisir à travers la catégorie « Se promener sans destination précise ». Cette nature ludique du déplacement considérée ici à travers la déambulation, la flânerie, chère à Walter Benjamin, constituera par la suite une de nos réflexions. Ensuite, la nomenclature de l’INSEE prévoit un segment « Mobilités extra-locales », au sein de laquelle le motif « Loisir » disparaît dans le motif « Affaire » défini ainsi : « déplacements ayant pour origine le domicile et pour motif tout ce qui n’est pas travail fixe ou école ou université c’est-à-dire à la fois le travail non fixe, les courses et achats, les affaires personnelles ou professionnelles, etc. ». Le « tourisme d’affaire » questionne la dichotomie loisir, travail et déplacement. Enfin, le segment « Visite » (« visite à des parents » et « visite à des amis »), tout comme les motifs « Achats », ne sont pas inclus dans le segment « loisirs » mais dans des catégories à part, logique qui peut être réinterrogée.
La catégorisation des motifs est nécessaire et nous ne sommes pas des spécialistes. Elle rend parfaitement compte des grandes évolutions des mobilités de loisir, mais un non-statisticien aura des difficultés à les trouver désagrégées et analysées comme telles. Dans les multiples articles d’exploitation de l’ENTD 2008, la focale est mise sur les déplacements quotidiens et au sein de ceux-ci, dans les déplacements hors travail, sont principalement traités les déplacements pour achat ou pour les études. Côté loisirs, la mobilité longue distance et les voyages touristiques trustent les analyses. Difficile de trouver des analyses à partir d’un traitement des données sur les différents motifs spécifiques des loisirs : comment s’organisent les mobilités relatives aux « activités associatives » ? Quelle est la fréquence des mobilités « sans destination précise » ? Quels sont les individus qui vont le plus souvent « manger à l’extérieur du domicile » ? Peut-on identifier des variables socio-démographiques expliquant de plus grandes fréquences de « visites à des amis » ? Difficile aussi de ne pas penser l’imbrication des motifs et surtout leur vécu différent selon les catégories de personnes.
Figure 1 : SOeS, Insee, Inrets, enquêtes nationales transports 1994, 2008
Comme le montre le traitement ci-dessus, les loisirs constituent une catégorie à part des « Visites » ou « Achats ». Or la délimitation des frontières des mobilités liées à des activités relevant d’un loisir n’est pas toujours aisée.
Ces choix catégoriels alimentent pourtant une grande partie des analyses en géographie spatiale qui démontrent, par exemple, que l’augmentation et l’évolution des mobilités liées aux loisirs et au tourisme contribuent aujourd’hui à complexifier la localisation spatiale des individus et à accentuer la dissociation des lieux de production et de consommation dans la vie des ménages (Lejoux, 2007). Ces motifs à destination sont aussi à l’origine des travaux en géographie économique sur l’importance croissante de « l’économie présentielle » et des dépenses des « consommateurs de passage » (Ruault, 2014) sur la richesse d’un territoire. Ici, les mobilités de loisir et d’achat sont toutes deux prises en compte comme des flux à capter le plus possible, la richesse d’un territoire ne se définissant plus seulement par la richesse produite et redistribuée sur ce territoire. Cette approche tente de répondre à Laurent Davezies qui insistait en 2004 sur le fait que la plupart des analystes n'ont pas pris la mesure des impacts territoriaux de la dissociation entre temps de travail et temps de loisir, et de l’importance prise par ce dernier dans la compréhension du fonctionnement urbain.
Le choix des catégories n’est donc pas neutre dans l’analyse des mobilités de loisir et de leurs impacts sur le territoire. Pour autant, ces nouvelles analyses de la mobilité de loisir butent sur la difficulté à renouveler les motifs fins des activités auxquelles elles se réfèrent. En 2002, Patricia Lejoux dans un article pourtant intitulé « Les mobilités du temps libre » avouait déjà : « L’étude de ces mobilités spatiales [de temps libre] n’est pas aisée car étant donné qu’il s’agit de pratiques émergentes, il n’existe pas encore d’outils statistiques adéquats pour les appréhender. Les analyses sont donc tributaires des données existantes. Ainsi les déplacements à la journée ne pourront pas être examinés ici car les enquêtes mises en place depuis 2002 par le ministère du Tourisme ne permettent pas encore de disposer de données exploitables (Bernardet, 2003). »
La marche à pied ou le vélo comme modes de déplacement engendrant du loisir ne sont pas captés par ces enquêtes par exemple. Or, les mobilités sont également le lieu de nouvelles pratiques ludiques. L’importance dans ces cas de figure est le déclaratif de l’enquêté, qui définit le sens de l’activité à destination et donc le motif principal du déplacement, mais aussi ses activités en déplacement. On peut alors s’interroger sur la nature du temps de loisir, sa plus grande volatilité ou encore de son grain très fin qui s’inscrit au cœur d’activités qui ne sont pas considérées comme du loisir, voire de sa capacité émergente. Et plus largement, est-il possible, au-delà du loisir, de penser un temps libre non investi ? Et dans l’activité de loisir, ne peut-on pas penser des moments sortant de ce cadre dans un brouillage des temporalités à l’image du travail s’insinuant au domicile et des relations interpersonnelles s’affichant dans le temps de travail ?
Cette intrication temporelle pousse à la complexité dans l’approche des « usages des temps libérés » (Boulin) à travers la capacité d’usages variables de ces temps libérés, au sens donné par chacun aux activités dans les temps libérés, voire à l’évolution de la nature même des temps libérés qui peut se trouver, par exemple, dans l’activité « déplacement ». Une piste compréhensive est d’explorer l’inclinaison de l’individu à une « modalisation du cadre de l’expérience » (Goffman, 1991) vers le loisir. La modalisation est « Un ensemble de conventions par lesquelles une activité pourvue d’un sens dans l’application d’un cadre primaire [ici achat dans un commerce], se transforme en une autre activité qui prend la première pour modèle mais que les participants considèrent comme différente [achat dans un commerce devenant un loisir] » (Goffman, 1991, p. 52). Si Goffman prend comme exemple le jeu dans ses travaux, ce n’est pas un hasard. Il est souvent possible de modaliser une activité quotidienne, banale, en activité ludique en lui donnant de nouvelles finalités notamment d’amusement et de distraction et en transformant le cadre de cette activité. Transformer le déplacement en espace-temps ludique est une modalisation que nombre de voyageurs exercent au quotidien. Cette modalisation est plus ou moins simple à déployer selon les situations, par exemple en termes de fréquentation d’une rame, de connexion wifi disponible, de fatigue personnelle, etc. Ici, l’analyse rythmique peut s’articuler à l’action de modalisation du cadre en pointant l’attention sur les moments et les récurrences du passage d’une activité à l’autre, ou d’une disposition cognitive à l’autre vis-à-vis d’une même activité dans des séquences de temps quantitativement homogènes et continues statistiquement parlant, dont le déplacement.
Si la mobilité de loisir peut se définir en fonction de l’activité à destination, elle est aussi approchée à partir de l’enveloppe de temps dans laquelle elle s’inscrit. La logique de définition est alors renversée, puisque ce n’est plus l’activité qui définit la mobilité de loisir, mais le temps hors travail dans laquelle elle s’inscrit. Les temps de la mobilité hors temps de travail déterminent alors les mobilités de loisirs. C’est le cas notamment des traitements quantitatifs dans certains travaux (Nessi, 2012) où il semble que le choix est de considérer les mobilités de loisir comme celles incluses dans les temps d’excursion, les week-ends et les vacances, les séparant des mobilités quotidiennes hors travail et de loisir qui ne sont pas prises en compte.
Figure 2 : moyenne des km parcourus par an lors de la mobilité de loisir selon la localisation géographique en Île-de-France par un individu pour la catégorie des actifs (Nessi, 2012)
Ce choix méthodologique peut être discuté, mais il se trouve effectivement que les activités contraintes, c’est-à-dire celles liées au travail ou aux études, sont beaucoup moins nombreuses le week-end que la semaine. Elles représentent 40 % des déplacements effectués un jour de semaine, contre seulement 8 % le samedi et 4 % le dimanche. Les achats, qui oscillent entre loisir et activité contrainte (cf. partie précédente) engendrent plus de déplacement le week-end, notamment le samedi (29 % des déplacements effectués ce jour-là sont occasionnés par des achats).
Figure 3 : les déplacements non liés au travail en 2001 selon que l'actif a ou non travaillé le jour considéré et selon le sexe (Massot et al., 2006)
Pourtant, d’après le tableau ci-dessus, considérer le temps hors travail en semaine comme automatiquement dévolu à des activités de loisir n’est pas tout à fait satisfaisant. En effet, les jours de travail, les activités privées réalisées hors du domicile sont principalement liées à la gestion du quotidien, en particulier aux achats courants et à l'accompagnement des enfants. Les loisirs y ont peu de place. Ces résultats traduisent la faible marge de manœuvre des actifs pour programmer des activités privées les jours où ils travaillent. Les déplacements de loisir relèvent principalement, les jours de travail, de repas au restaurant pris lors de la pause déjeuner (Aguilera, Massot, Proulhac, 2010). Ainsi, les loisirs et les visites ne représentent que 16 % des activités un jour ouvrable contre plus d’un tiers des déplacements du samedi et pratiquement la moitié des déplacements du dimanche 6.
Figure 4 : Enquête globale transport : les déplacements du week-end. La mobilité en Ile-de-France, n°20, janvier 2013
De cette convergence entre temps hors travail statutaire (vacances, week-end) et activités dites de loisir, est déduite l’idée que l’enveloppe de temps hors travail est moins contrainte et plus ouverte à des activités dites de « temps libre » partagé. Le choix des modes de déplacement dans ces temporalités change alors. Si la structure des flux reste identique, la part modale des transports collectifs selon les liaisons diminue le samedi et plus encore le dimanche. En Île-de-France, pour les déplacements radiaux entre Paris et la banlieue, ou les déplacements d’échanges entre petite et grande couronnes, la part modale des transports collectifs est divisée par deux le dimanche au profit de la voiture (EGT, 2013).
La moindre contrainte dans les horaires et la volonté d’une certaine liberté temporelle des déplacements, dont celle permettant la synchronie avec des proches, peut expliquer le recours à la voiture. Dès lors, l’enveloppe de temps disponible hors travail investie d’activités de loisirs favoriserait le recours à la voiture comme instrument de liberté personnelle, non pas tant dans les trajets que dans la maîtrise de ses rythmes (partir, revenir, quand on le souhaite) et dans leur articulation avec ceux d’autrui (pouvoir se retrouver en un lieu à un moment voulu hors des contraintes de fréquences ou de destination des lignes de transport).
Selon que le déplacement se situe dans un temps contraint ou plus libre, selon le sens associé à l’utilisation de certains modes, selon que ce mode permette de faire autre chose (cf. plus loin) ou pas durant le déplacement, le loisir comme activité et comme manière d’être s’articule finement avec la mobilité. D’où l’importance des approches compréhensives de la mobilité comme séquence d’activité et lieux-moment à part entière participant à brouiller un peu plus les frontières entre les temps sociaux. D’une part, le déplacement devient un loisir en soit, d’autre part, il se remplit d’activités de loisir.
On peut considérer que le déplacement de tourisme s’inscrit dans un temps de loisir qui comprend l’activité à destination, mais également le temps de transport comme faisant partie intégrante de la séquence de temps qui le constitue. À l’image de la prise en compte du temps de transport comme faisant partie intégrante du temps de travail en semaine dans les statistiques sur les mobilités, « le tourisme implique le transport puisqu’il exprime le loisir en déplacement » (Wackerman, 1993). Or le tourisme peut être défini comme « un système d'acteurs, de pratiques et d’espaces qui participent à la ‘recréation’ des individus par le déplacement et l'habiter temporaire hors des lieux du quotidien » (Knafou et Stock, 2003, p. 931).
Le tourisme s’apparente à une pratique de loisir dans sa dimension de recréation dont la séquence de mobilité fait pleinement partie intégrante. S’il existe plusieurs types de voyages et de voyageurs, « le transport est toujours une partie intégrale et un élément clé de l’expérience touristique. Le transport est même parfois au cœur de cette expérience comme dans les cas des croisières et du cyclotourisme » (Bigras, Dostaler, 2013). Tout comme la multiplication des itinéraires de cyclotourisme, l’essor du marché des camping-cars, ces « véhicules habitables », semble attester (+8 % de vente entre 2016 et 2017) de l’importance de la mobilité comme activité prise dans l’enveloppe de temps consacrée aux loisirs. De plus en plus, habiter en mobilité a quelque chose à voir avec une pratique ludique générant du bien-être parce que reflet d’un mode de vie où le déplacement, synonyme de liberté, est valorisé en tant que tel.
Figure 5 : Quotidien ou de loisir, le déplacement doit être considéré comme une activité en soi et, de plus en plus souvent, une expérience transformée en mode ludique.
Mais la mobilité de loisir peut également s’inscrire dans une enveloppe de temps plutôt consacrée au travail. Ainsi la catégorie du « tourisme d’affaire » 7 est intéressante en tant qu’hybridation entre temps de loisir et mobilité liée au travail, ou plutôt l’intégration du premier dans la seconde. Le tourisme d’affaire est un tourisme effectué dans le cadre de l’activité professionnelle : congrès, conférences, colloques ou symposium, séminaires ou workshop, visites de salons, de foires, incentives (réunions de motivation des employés d’une organisation) (Bazin, Beckerich, Delaplace, 2010). Il suppose un déplacement de plus de 24h avec au moins une nuitée hors du domicile. Si le déplacement est motivé par l’activité professionnelle, cette activité sort de l’espace de travail du quotidien et peut se doubler d’activités récréatives insérées qui peuvent, pour certains, motiver la participation même au déplacement selon sa localisation, les aménités du territoire, les sorties proposées.
Au-delà du tourisme, la pratique sportive comme la marche, le vélo ou le footing relève de l’intégration de la logique de déplacement à celle de loisirs. Cette vision peut s’exporter à l’échelle de la mobilité quotidienne où le déplacement vers le travail devient une activité de loisir en soi. C’est notamment le cas des mobilités actives. Pour certains, le vélo empêche le temps de loisir car il ne permet pas à celui qui effectue le déplacement de pratiquer une activité de loisir, à l’inverse du bus par exemple. Pour d’autres, le vélo est un temps de loisir qui permet de se détendre, y compris pour se rendre au travail (Daguzé et al.). Cette dichotomie entre vélo loisir et vélo déplacement s’observe aussi pour la marche à pied : d’une part, la « marche-loisir » (promenade, visite, balade, randonnée, trekking, etc.) choisie et réalisée pour elle-même, d’autre part la « marche-déplacement » qui « brille par son absence dans les discours de ces acteurs et par son omniprésence dans la vie quotidienne » (Monnet, 2015). Pour autant, la marche déplacement ou le « velotaff » sont présentés, par une grande partie des pratiquants, comme des moments de loisirs, de détente et de bien-être, dans l’enveloppe de temps contraint, estompant alors les frontières strictes entre pratiques de loisir et pratiques de déplacement.
La dimension ludique, liée au bien-être, des déplacements a son importance dans les choix modaux. Les mobilités actives ne doivent pas être seulement analysées sous le prisme de l’efficacité relativement aux autres modes de déplacement (vitesse, capacité, fréquence), mais comme des activités au-delà du simple fait qu’elles permettent le déplacement géographique. Dès lors, les déterminants de la mobilité tels que l’âge, le niveau de santé, les valeurs (sportives, écologiques, etc.) rentrent d’autant plus fortement en ligne de compte.
Les espace-temps du déplacement ne peuvent plus être seulement considérés comme des vides. Ils sont des possibles lieux d’activités et pleinement « habités ». Les trains (Lanéelle, 2005), les aéroports (Frétigny, 2013), les bus périurbains (Pradel et Al., 2014) abritent des activités sociales et, souvent, de loisirs. Le voyage en avion peut ainsi être vécu comme « une contrainte, un temps imposé ou, au contraire, un moment magique atemporel. Le temps contraint étant un temps “perdu” dans une optique économique, le voyage va voler au voyageur du temps discrétionnaire au détriment de son temps de loisir ou du temps de travail utile. » (Bergada, 2009). Cependant, le loisir aurait cette propriété de pouvoir émerger dans diverses enveloppes de temps généralement définies par les activités à destination. De même, les délimitations temporelles des activités dans des séquences fixes passent à côté d’une imbrication des temps de loisir avec les temps du déplacement : lire dans un train lors d’un déplacement professionnel, jouer à un jeu en ligne sur Smartphone dans le métro pour aller au travail, écouter de la musique dans la voiture pour aller faire des courses, etc. La mobilité comme « sas qui sépare et relie » (Pradel, 2014) peut être « habitée » de loisirs. Elle n’est plus seulement incluse dans le temps d’activité ou ne s’y réfère totalement. Dans l’enquête Emploi du temps 8, l’INSEE intègre dans les activités professionnelles les trajets liés au travail qui peuvent, toutes proportions gardées, être un temps consacré à tout autre chose que le travail (échanges téléphoniques, podcast, rêverie, etc.). La destination à elle seule ne détermine pas la nature du déplacement pour l’individu. La mobilité envisagée comme une séquence d’activité en soi redistribue alors les cartes de l’analyse des temps sociaux.
On pourrait appeler « les temps de loisir discrétionnaires » ces temps ludiques et de divertissement qui émergent au cœur des temps traditionnellement entendus comme contraints et exclusifs. La régulation de l’utilisation des messageries personnelles, réseaux sociaux ou des jeux en ligne dans le cadre du temps de travail est une question pour les entreprises. La généralisation des smartphones et l’amélioration de la qualité de la connexion aux réseaux dans les transports en commun (Adoue, 2016) transforment le temps de déplacement en temps autre. Plus largement, les écrans (Smartphone, tablette, télévision, ordinateur, etc.) constituent le support d’une catégorie de loisirs mobiles qui peuvent être utilisés presque partout. Le développement des « divertissements mobiles » en tant que loisir est parlant dans le nouveau rapport qu’ils permettent avec le temps de déplacement. On y retrouve d’une part les applications des réseaux sociaux reposant notamment sur des vidéos ou photos. Elles se placent en tête des applications les plus téléchargées sur Smartphone (Instagram, Tik Tok, Likee, Youtube, Snapchat, NetFlix) 9. Elles relèvent de l’ordre du divertissement en déplacement pour beaucoup de leurs utilisateurs, qui consomment les images, s’amusent à poster des vidéos et à les commenter. Certaines de ces vidéos se veulent exclusivement ludiques et destinées à engranger le plus de « likes ». On y retrouve d’autre part les applications dédiées spécifiquement aux jeux (AngryBird, Clash Of Clan, CandyCrush, etc.). Elles perdent de leur poids relativement aux premières, mais ont une place de choix dans les Smartphones, d’autant plus que certaines d’entre elles se doublent d’une fonction réseau social en permettant de jouer à plusieurs, se rencontrer via des alias ou encore échanger des goodies. SubwaySurfer, titre paru en 2012, a dépassé en 2020 les 1,2 milliards de téléchargements. Ces applications sont aussi celles dans lesquelles les personnes ont dépensé le plus d’argent.
Jouables sur appareil mobile (téléphone mobile, smartphone, assistant personnel, tablette tactile, mobile digital media player), ces jeux se sont fortement développés ces 10 dernières années et constituent un univers vidéoludique associé au temps de transport. Il n’est pas rare de trouver des articles listant, par exemple, les « Dix jeux gratuits pour passer le temps dans les transports 10 ». Si cette définition n'inclut pas les jeux vidéo joués sur les systèmes dédiés que sont les consoles portables, ces derniers se multiplient eux aussi. La portabilité des consoles de salon va dans le sens d’une portabilité du temps de loisir dans le temps de déplacement tout comme la connectivité des smartphones avec les voitures permet une continuité des applications (musique par exemple) depuis la maison jusque dans l’habitacle : « Jouez à vos jeux favoris n'importe où, n'importe quand et avec n'importe qui grâce à la Nintendo Switch », annonce le constructeur de consoles sur son site. Et la possibilité de jouer à plusieurs sur une même console renforce la dimension socialisante d’un temps de transport devenu temps de loisir. Minassian et Boutet (2015) font apparaître dans la diversité des profils de joueurs de jeux vidéo la figure du nomade : sa pratique du jeu vidéo sur Smartphone est occasionnelle et donne lieu à des parties courtes, peu chronophages. Parmi ces « nomades », les jeunes adultes de moins de 35 ans sont surreprésentés, souvent des étudiants ou des actifs à haut niveau de formation, des cadres ou professions intellectuelles supérieures. Les habitants des grands centres urbains sont eux aussi surreprésentés, en particulier les Parisiens, qui empruntent souvent les transports publics).
Figure 6 : La portabilité et la connectivité des jeux et des consoles de jeux vidéo interrogent la continuité et les frontières temporelles entre les lieux et les pratiques de la vie quotidienne. (Image publicitaire Nintendo Switch)
L’espace de la mobilité est un lieu pour ces divertissements portables et connectés, des réseaux sociaux aux jeux vidéo, qui recomposent les routines de mobilité. Les « équipements numériques accompagnent les transformations actuelles de la vie quotidienne en donnant aux acteurs la maîtrise d’un grain fin des temporalités et des spatialités, qu’ils mettent en œuvre tout au long de la journée et au sein des lieux qu’ils habitent ou qu’ils traversent » (Minassian, Boutet, 2015). Si les jeux vidéo mobiles et les réseaux sociaux sont largement absents des études sur les temps de loisir et la mobilité, il ne faut pas oublier non plus l’antériorité des pratiques d’amusement dans la mobilité. Les déplacements familiaux sont souvent le cadre d’invention de jeux partagés pour faire passer le temps, la lecture d’un livre de chevet dans le train transporte une partie de l’évasion culturelle qu’il procure, depuis la chambre jusque dans l’espace public avec une certaine continuité. Les enfants ont toujours joué dans les transport et l’écoute d’émission de divertissement à la radio ou de musique a toujours été une activité dans les voitures. En revanche, les interactions à distance, qu’elles soient synchrones ou non, permises par les applications des réseaux sociaux renouvellent, depuis plus de 10 ans maintenant, les types de divertissement et l’expérience du voyage qui, avant, était davantage considérée comme un temps déconnecté des deux bouts du déplacement. Si ce dernier sujet fait l’objet de plus en plus d’attention, la fonction de divertissement qu’apportent ces applications dédiées aux réseaux ou aux jeux est en revanche traitée de façon marginale dans les travaux sur les mobilités alors que les loisirs, en tant que distraction, peuvent changer l’expérience du déplacement et la rendre bien plus acceptable, voire agréable. Peut-être est-ce un levier de changement dans les choix modaux sur lequel s’appuyer.
Dans ces approches d’une « mobilité habitée » et potentiellement ludifiée et divertissante, une distinction importante doit être opérée entre être conducteur et être passager. Le temps automobile domicile-travail périurbain est un temps investi d’activités qui peuvent s’apparenter à des loisirs pour le conducteur : écouter une émission en podcast, de la musique, apprendre une langue étrangère, téléphoner à des amis, etc. (Pradel, 2014). En tant que passager, les possibilités d’activités ludiques sont multipliées. Peut-être peut-on trouver là une explication alternative du développement du covoiturage, qui est aussi une pratique socialisatrice pour les utilisateurs. Certains choisissent le bus ou le TER pour dégager du temps libre investi dans des activités de détente qui ne peuvent s’effectuer en conduisant : tricot, lecture, jeu mobile, etc. La position de passager ou conducteur change la qualité du temps de déplacement et sa possibilité d’appropriation, et cette dichotomie participe d’un nouveau rapport à la mobilité : « Chez les 14-17 ans Il y a une forme de ringardisation de l’objet voiture […]. Quand vous conduisez, vous ne pouvez rien faire d’autre. Ni regarder une série ni envoyer des messages WhatsApp. Du coup, conduire est une perte de temps » (Kaufmann, 2018, Le Temps).
Si les usagers ne cherchent pas nécessairement à minimiser leur temps de déplacement domicile-travail, ils cherchent en revanche à éviter des temps de déplacement inappropriables, car peu ergonomiques ou peu flexibles. De plus, il ressort que qualité du temps et vitesse du temps sont liées : lorsque le temps de déplacement est appropriable, il passe vite, lorsqu’il ne l’est pas, il passe lentement et s’apparente à une longue attente. La comparaison des temps de déplacement est donc un critère de choix modal qui prend sens par rapport à la forme et au contenu de ce temps. « Si la majorité des personnes interrogées préfère utiliser l’automobile plutôt que le transport public, c’est autant pour la flexibilité et la qualité du temps procurées par ce moyen de transport que pour sa vitesse » (Kaufmann, 2002). Les véhicules autonomes pourraient avancer cette dimension d’offrir un temps de déplacement hautement appropriable, notamment par la possibilité d’activités ludiques. Il y aurait plus d’espace et les occupants du véhicule n’auraient pas besoin de toujours regarder devant. La technologie du divertissement telle que les écrans vidéo pourrait être utilisée afin que les passagers ne s’ennuient pas pendant les longs trajets. Déjà, les constructeurs planchent sur des vitres écrans qui, en s’opacifiant, permettraient de regarder des films, de jouer à des jeux. Ce que « l’on peut faire » durant le déplacement doit être considéré comme un déterminant de la mobilité de plus en plus important.
Figure 7 : Conduire ou ne pas conduire, les voitures autonomes seront-elles les lieux de loisirs de demain, reconfigurant le rapport à la route et aux temps de déplacement domicile-travail ?
On peut considérer alors de nouvelles inégalités liées à la possibilité d’être transporté. Être immobile, assis, libre de porter son attention où bon nous semble tout en étant mobile n’est pas une situation dont l’accès est également partagé. La dépendance automobile de certaines populations périurbaines les prive de cette possibilité faute d’infrastructures de transport adaptées. Le confort variable de ces mêmes transports en commun, que ce soit en matière d’équipement intérieur ou de fréquentation aux heures de pointe, facilite plus ou moins les loisirs embarqués . Au-delà, on évoquera la maîtrise des agendas permettant l’emprunt de ces modes de transport (train, bus) ou la maîtrise de son budget pour choisir ceux permettant ces activités ludiques.
Ici, on retourne la problématique du déplacement fonctionnel pour lui redonner une valeur qualitative non pas en termes d’efficacité géographique, mais en termes de confort permettant une situation de bien-être via le déploiement d’activités ludiques et récréatives, ou la simple possibilité d’une oisiveté recréatrice. Mais, dans le sens de la préservation d’intervalles et de temps dits morts, la mobilité ne pourrait-elle pas être préservée d’un remplissage aujourd’hui saturant d’activités connectées ou d’impositions de relations sociales ? Le nom de « Blablacar » évoque cette importance de la discussion dans le covoiturage. Les campagnes visant à mettre en relation les passagers des TGV par la SNCF sont un autre exemple. À l’image des propos de Baudrillard cherchant à préserver le vide des temps morts face à une société de consommation les remplissant, jusque dans les transports, la mobilité ne pourrait-elle pas s’envisager comme une parenthèse recherchée permettant de conserver du « temps perdu » ?
Dans la mobilité et le trajet pourraient alors se jouer à la fois un éloignement physique et un éloignement psychologique des lieux des activités contraintes. Si le premier est un déplacement qui ne souffre pas d’ambiguïté, le second fluctue en fonction de l’attention que l’individu en mouvement porte à ses obligations et à la manière dont il remplit le trajet d’activités connexes (Pradel, Soichet, 2020). Cette possibilité pour l’individu de faire fluctuer son attention construit une forme de « présence à la mobilité » qui débute au pas de la porte, et qui est consubstantielle de la construction du statut d’absent. Cette présence à la mobilité peut alors devenir la base d’un temps plus libre. Pour certains, l’avion permet de s’absenter de ses obligations et de se déconnecter totalement du quotidien, produisant une bulle dans laquelle s’adonner à des activités de divertissement, notamment regarder des films « nuls » et jouer sur son smartphone (Minassian, Boutet, 2015). Les déplacements solos en voiture sont aussi pour certains conducteurs une parenthèse de calme et de tranquillité, ou de distraction solitaire (chanter à tue-tête sur une chanson) qui, à grande échelle, peut expliquer la persistance de ce mode dont l’usage va bien au-delà d’un calcul rationnel distance-temps (Pradel, Soichet, 2020). Le plaisir de conduire pourrait en lui-même s’apparenter à un loisir et la voiture serait alors le dernier endroit où l’on peut, finalement, être seul à ne rien faire d’autre que se mouvoir ?
L’important, nous semble-t-il, est de faire du temps discrétionnaire un outil de maîtrise des rythmes de vie et, à ce titre, d’accompagner les individus pour leur permettre de dégager du temps libre « à soi » dans l’organisation de leur quotidien. Plus que la quantité de temps libre dont ils disposent, la valeur du temps discrétionnaire réside dans la capacité des individus à l’utiliser pour équilibrer leurs rythmes. L’investissement du temps libre discrétionnaire dans des activités de loisirs qui semblent de plus en plus volatiles grâce aux technologies portables rejoint cette approche qualitative du temps et, au-delà, de sa possibilité d’appropriation pour déployer du « bien-être ». Ici, on revient sur une idée parfois subsumée par l’approche quantitative des loisirs ou l’approche par les activités à destination en réouvrant la question de la distraction, de l’amusement, lié au bien-être et hautement relatif à l’individu. Le loisir est difficilement saisissable comme source de bien-être, mais il donne fortement sens à l’action pour tout un chacun. De très proche lié à l’idée de loisir, le jeu, qu’il soit numérique ou social, est aussi une modalité d’action émergente, particulièrement dans les transports.
L’amusement et la distraction comme activités permettant de « se soustraire à » peuvent et doivent, à notre avis, être réinvestis comme objets de recherche sans perdre de vue les théories de la domination sociale, mais sans en faire non plus la seule grille d’interprétation. La distraction du quotidien, de ses contraintes, n’est pas nécessairement la distraction d’un système de domination, mais plutôt la recherche d’une légèreté de l’être, de détachement des contingences de la vie, qui est hautement subjective dans la recherche d’un bien-être. L’amusement est aussi un concept peu investigué. S’amuser au sens de distraction agréable, de passe-temps récréatif, occupant le corps ou l'esprit, peut qualifier de manière subjective l’activité in situ et ouvrir alors le temps de loisir au cœur des temps contraints. Ainsi, l’amusement peut émerger au cœur du temps de travail (pot de départ, blague entre collègue, etc.), tout autant qu’au cœur des déplacements dits contraints. De la même façon, le travail peut émerger dans ces mêmes temps de déplacement, que ce soit matériellement (lire un mail sur Smartphone), mais aussi, et c’est plus difficile à analyser, selon la disposition mentale de l’individu à un moment M (penser aux tâches à accomplir le temps du trajet vers le travail).
L’amusement et la distraction entrainent la réflexion vers la piste du sentiment de plaisir et de bien-être, ou de déplaisir et de mal-être, dont le grain temporel est microscopique. Ces sentiments peuvent être furtifs mais avoir de grandes conséquences sur la perception du contexte, moment et lieu, où ils émergent et dont ils sont en partie dépendants. Ce n’est pas pour rien que les employeurs cherchent à rendre le travail plus fun, voire ludique… Or ces sentiments peuvent se trouver fortement liés aux principes de la mobilité lorsqu’on pense, par exemple, combien les déplacements peuvent être le lieu du repos, de la détente, du temps perdu à forte valeur ajoutée tout autant que du temps stressant, pressuré, désagréable. Des travaux démontrent des corrélations entre mobilité sociale ou professionnelle et bien-être, mais bien peu travaillent, au-delà de la question du confort voyageur, la question de l’importance de l’appropriation des mobilités comme possible maîtrise temporelle impactant le bien-être individuel (Pradel, Soichet, 2020).
Comme nous l’avons vu dans la première partie (I. c), Amartya Sen fait correspondre le bien-être à la mise en œuvre de « capabilités », ou « pouvoir d’être ou de faire », celui-ci dépend de la liberté réelle qu’ont les individus de mener à bien le projet de vie qu’ils ont choisi en fonction de leurs préférences (Forsé et Parodi, 2014). Le projet de vie, dans son organisation quotidienne, repose fortement sur les déplacements et le plaisir ou déplaisir qu’ils peuvent engendrer. Traiter ces derniers comme un élément central du bien-être invite à formuler l’hypothèse que le temps de loisir au sens large et plus encore le temps libre voire perdu, comme source de bien-être, est fondamental dans l’analyse du rôle de la mobilité dans le bien-être social. C’est alors la capacité des individus à se soustraire aux contraintes de façon pratique comme symbolique pour retrouver des marges de liberté qui doit être étudiée.
De là, nous avons vu qu’une autre approche pourrait être heuristique en considérant la capabilité comme le « pouvoir de ne pas être ou de ne pas faire ». Le temps libre renverrait alors à une définition du type : « ce qu'on pourrait aisément ne pas faire si on ne le souhaitait pas » . Ici, c’est l’idée de dégagement d’un temps dominant et contraint qui se dessine dans le temps discrétionnaire. La mobilité pourrait être un de ces moments de dégagement du travail par exemple au cœur d’une journée de travail, lieu d’une oisiveté recréatrice, parenthèse qui doit être préservée. Elle possède à la fois cette fonction de coupure mais peut également être l’antichambre des activités à destination et se remplir, à son tour, de contraintes (Pradel, 2014). Entre temps d’obligation et temps libre, temps sérieux et de divertissement, le temps de déplacement pourrait se penser comme un intervalle à réinvestir d’activités intermédiaires, peut-être d’un temps véritablement « à soi » ou ne rien faire est permis.
D’où l’importance d’un « temps libre discrétionnaire » qui peut se transformer en « temps de loisir discrétionnaire » (TLD) qui émerge d’un penchant de l’individu au plaisir par le déploiement libre et choisi d’une activité lui apportant distraction et/ou amusement à différentes échelles de temps. Ce temps peut être dégagé des temps contraints (« ce que je peux vouloir faire »), au cœur du temps contraint (« ce que je peux faire malgré tout ») ou contre le temps contraint (« ce que je ne veux pas faire). Ce TLD a par exemple le pouvoir de colorer la mobilité et, inversement, cette dernière a le pouvoir de dégager du TLD. D’abord, le grain de ce temps de loisir discrétionnaire, comme celui des inclinaisons psychologiques à un moment donné à l’amusement et au détachement des contraintes, peut être éminemment fin, s’inscrire à l’échelle de l’instant ou doubler des activités (écouter de la musique au travail), comme plus épais à l’échelle de l’année et être davantage exclusif (partir en vacances). D’un autre côté, ce TLD peut être dégagé dans le temps de mobilité et par une mobilité maîtrisée permettant de parer à ses obligations en dégageant des temps libres investis.
Avoir la main et pouvoir faire émerger ce TLD où bon semble à l’individu, par une maitrise de son système spatiotemporel, relativement à ses besoins, ses temps d’obligation et ses moyens, serait un motif de bien-être dans l’organisation des rythmes de vie.
L’idée que l’émancipation collective et le bien-être individuel dépendent de la capacité des individus à maîtriser leurs rythmes de vie, aussi bien dans l’agencement, la succession et la nature de leurs activités, prend une coloration particulière dans le contexte actuel de la pandémie de Covid-19 qui a bouleversé les rythmes de vie. La capabilité rythmique se heurte aujourd’hui aux restrictions temporelles qui se multiplient pour tenter d’enrayer la propagation du virus. L’État renforce son rôle de maître des horloges, imposant des contraintes rythmiques aux activités du quotidien et limitant les pratiques spatiales. Les couvre-feux, les confinements, le temps de sortie limité restreignent les libertés rythmiques. La fermeture des écoles ou des classes et le télétravail à domicile contraignent les emplois du temps et imposent des rythmes difficilement négociables. Les périmètres de déplacement autorisés autour du domicile et les déplacements inter-régions dictent l’agencement et l’urgence des activités quotidiennes. Les règles sanitaires imposées depuis plus d’un an interdisent à peu près toute activité autre que le travail et compressent celles restantes dans des espaces congrus, or aucune société ne peut tenir que sur le travail (PUCA, 2021).
Les contraintes temporelles imposées par ces règles collectives rendent d’autant plus rares, et donc valorisées, les possibilités de dégagement de temps non contraints en tant qu’ils permettent de prendre de la distance physique et psychologique, de se distraire de l’ici et maintenant, de désaturer le rythme compacté du quotidien. Dans le contexte sanitaire, les individus cherchent une échappatoire à la camisole temporelle et spatiale imposée, par des formes de mise en mouvement des corps et des esprits. Cette mise en mouvement des corps et des esprits s’incarne dans le renouveau des loisirs en tant que distraction observable, par exemple, dans la multiplication des joggeurs et marcheurs autour du domicile, l’explosion des ventes de consoles de jeux vidéo, l’essor des salles de gym en ligne et des plateformes de vidéos à la demande, ou encore la revendication de l’ouverture des librairies et des lieux culturels. Le loisir rejoint alors directement le besoin de mouvement, entendu aussi comme une distraction du quotidien, du réel, du banal et du contraint. Par le loisir, l’individu cherche une maîtrise chorégraphique sur des rythmes imposés.
Parce que l’ensemble des lieux, formes et temps consacrés aux loisirs sont bousculés, la distraction, au sens de se détourner de l’ordinaire, et l’amusement, au sens de divertissement, sont ainsi devenus des objectifs de préservation d’un certain bien-être. Retrouver du temps à soi en faisant émerger de la distraction et de l’amusement au cœur de ces rythmes contraints n’est pas chose aisée. Les « capabilités rythmiques » sont inégalement distribuées. Les cadres ont par exemple davantage la maîtrise de l’agencement de leurs activités, notamment distractives, que les ouvriers. Les mères, qui accompagnent très majoritairement les loisirs des enfants, tout en possédant un haut niveau de diplôme, voient leur capabilité rythmique réduite, avec un temps global qu’elles peuvent consacrer aux loisirs d’autant plus faible. Durant le premier confinement, les temps de loisir des enfants ont, eux, augmenté avec une nette domination des écrans, notamment pour les enfants des ménages populaires et dont les parents ont télétravaillé (Berthomier et Octobre, 2020). Et si certains ont trouvé de la distraction dans les loisirs numériques et les écrans, d’autres ont tenté à tout prix de se dégager des moments en dehors du « tout-numérique, tout le temps, partout » qui a remplacé le présentiel pour le travail, les relations sociales, la scolarité, etc. (PUCA, 2021).
Le contexte actuel rend saillante l’idée de repenser les temps de loisir à travers la distraction en tant que capacité des individus à colorer de façon ludique et choisie un certain nombre d’activités, à tout moment de la journée, et à créer ainsi une rupture de rythme. Souvent déconsidéré car entendu comme un outil de détournement de l’attention aux structures de domination, l’amusement pourrait aussi être le fait des individus cherchant à déployer des activités distrayantes dans l’organisation de leur projet de vie. Distraction et amusement permettent de questionner un peu différemment les mécanismes d’émergence des temps de loisir et des temps libres. Ils ont la possibilité de créer une rupture salutaire dans les rythmes contraints des activités quotidiennes en temps de pandémie.
Si le temps libre s’inscrit dans le canevas des temps collectifs, l’idée de rattacher à la notion de « loisir » celles d’amusement et de distraction nous semble devoir être aujourd’hui retravaillée face à l’émergence de nouvelles pratiques ludiques et de l’intrication des temporalités. L’amusement et la distraction entraînent la réflexion vers la piste du sentiment de plaisir et de bien-être, ou de déplaisir et de mal-être, dont le grain temporel est microscopique – le sentiment de plaisir pouvant être très furtif –, et l’émergence propre à une certaine capacité des individus à les faire advenir. On touche alors ici le domaine de la psychologie ou de la psychosociologie en nous arrêtant à ce point de réflexion. Mais si l’on considère que le temps de loisir dépend des « capabilités rythmiques » que les individus ont de faire émerger l’amusement dans le tissu des temps sociaux, il peut alors émerger dans l’articulation comme au cœur des activités dites contraintes et être facteur de bien-être : quid ainsi de la petite victoire à CandyCrush ou de la blague qui fait rire le wagon dans un RER en panne et bondé... À ce titre, les espace-temps du déplacement, qu’ils soient contraints ou choisis, représentent une opportunité pour faire advenir du ludique, de la rupture, dans le rythme quotidien. La mobilité peut permettre de dégager du temps de loisir, et être considérée comme une activité de loisir ou encore être un temps d’où émerge des pratiques ludiques.
Cette « capabilité rythmique » des individus déploie alors l’idée de temps de loisir à partir d’une plus ou moins grande liberté à pouvoir faire de toute activité située, même en mouvement, un moment d’amusement et de distraction. C’est alors le temps libre en tant que temps à soi et temps du choix qui apparaît comme une base à partir de laquelle le loisir peut se déployer. Le temps libre renverrait ainsi à une double capacité. La première capacité correspond à la possibilité de se dégager quantitativement des temps contraints. Ainsi, la contrainte du confinement a pu apparaître pour certains comme une opportunité obligeant à un ralentissement des activités, notamment professionnelles, et à la possibilité de consacrer plus de temps à soi et aux proches (FVM, 2020), notamment autour d’activités ludiques et culturelles. Le temps libre renverrait alors à « ce qu'on peut aisément ne pas faire si on ne le souhaite pas ». La seconde capacité correspond à celle, quasi psychologique et cognitive, de dégagement d’un temps dominant, via la distraction des activités contraintes. Le temps libre renverrait alors à « la possibilité de détourner aisément l’attention si on le souhaite », pour dégager la possibilité de la liberté d’action et d’intention.
Dégagement d’un temps pour les activités choisies et possibilité de détournement de l’attention formeraient les bases d’un temps libre, investi de loisirs ou non, représentant la possibilité de maîtriser une partie des rythmes de vie. Ainsi, le temps de déplacement pourrait se penser comme un intervalle où ce détournement de l’attention est facilité, voire accepté, par la représentation sociale associée à l’individu en mouvement, symboliquement hors de tout lieu d’activité contrainte. Pour autant, la connectivité dans les trains et bientôt dans les avions, ou la voiture autonome, qui ouvre à une redistribution de l’attention du conducteur, réduisent cette possibilité et transforment ces représentations. Le déplacement est devenu un espace d’activité en soi qui, si on n’en prend pas garde, vient resaturer un peu plus le quotidien. Déjà, ce temps de transport est considéré par certaines entreprises comme du temps travaillé.
Ce besoin de temps de loisir immanents, de temps libres discrétionnaires, pouvant émerger à tout moment, comme révélateur d’une possibilité (relative) de maîtrise de ses rythmes de vie et donc de bien-être s’observe particulièrement dans les réactions à la fermeture des lieux de loisir et culturels (théâtre, restaurant, salles de sport, cinéma, etc.). Le sport, les jeux vidéo, les films, la radio, les jeux collectifs, la lecture, les activités manuelles, la gym, le yoga, le bricolage ont envahi les intérieurs et les espaces encore ouverts comme autant de soupapes aux temps contraints. Les contraintes extérieures imposées et distances autorisées font émerger de nouveaux espaces-temps contraints qui peuvent être des opportunités pour ralentir et retrouver du temps à soi, du temps libre, même au sein de la sphère familiale prenante. La maîtrise de ce temps supplémentaire renvoie à l’enjeu de maîtrise du temps tout court comme enjeu de bien-être, mis en danger cependant par l’essor du télétravail. Le temps du confinement comme le temps du déplacement pourraient-ils être vécus, structurés, organisés comme des « intervalles » (Nowotny, 1992) de temps supplémentaire où se jouent l’opportunité de retrouver du temps à soi et la possibilité de ne rien faire ?
Les logements sont questionnés par ces pratiques de loisirs et les espaces publics de proximité sont célébrés tandis que les déplacements ne sont plus des temps de référence du quotidien. Or ce temps de déplacement représentait jusqu’à récemment la possibilité d’un temps supplémentaire, à soi, et s’envisageait comme les prochains espaces-temps de résistance du loisir et du temps libre, tout du moins d’un temps à soi en mouvement. En temps de confinement, la promenade autour de la maison devient la mobilité de loisirs majoritaire pour de nombreux Français, faisant du déplacement, sans autre but que se mettre en mouvement, un enjeu de distraction quotidienne…
Anouar Abdel-Malek, (1967) « La sociologie du « temps libre » et le devenir de l'homme « Thèses préliminaires », L’Homme et la société, p. 153-164, https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1967_num_4_1_1033
Anne Aguilera, Marie-Hélène Massot, Laurent Proulhac, (2010) « Travailler et se déplacer au quotidien dans une métropole. Contraintes, ressources et arbitrages des actifs franciliens », Société Contemporaine, n°80, p.29-45.
George Amar (2010), Homo mobilis. Le nouvel âge de la mobilité, éloge de la reliance, Paris : FYP Edition, 228 p.
Jean Baudrillard (1970), La société de consommation, « Idées », Gallimard, p. 242-246.
Sylvie Bazin, Christophe Beckerich et Marie Delaplace (2010), « Desserte ferroviaire à grande vitesse, activation des ressources spécifiques et développement du tourisme : le cas de l’agglomération rémoise », Belgeo, 1-2 | 2010, p. 65-78.
Michelle Bergadaà, (2009), « Le temps économique et le temps psychologique du voyageur dans un aéroport international », La Revue des Sciences de Gestion, n°236, p.13-23.
Nathalie Berthomier et Sylvie Octobre, (2020), Loisirs des enfants de 9 ans en situation de confinement au printemps 2020, Ministère de la Culture, coll. Culture Etudes, 28 p., https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-synthese/Culture-etudes-2007-2021/Loisirs-des-enfants-de-9-ans-en-situation-de-confinement-au-printemps-2020-CE-2020-5
Yvon Bigras et Isabelle Dostaler,(2013), « Tourisme et transport : vers une vision intégrée », Téoros, 32-2 | 2013, 3-6.
Alain Chenu et Nicolas Herpin (2002), « Une pause dans la marche vers la civilisation des loisirs ? » Économie et statistique, n° 352-353.
Alain Chenu, (2003) « Les usages du temps en France ». Futuribles, p.21 - 31.
Jean Corneloup, Philippe Bourdeau (2004). « Les sports de nature. Entre pratiques libres, territoires et logiques institutionnelles », les Cahiers Espaces, 2004, p.117-125.
CREDOC (2014), « Les Français veulent vivre plus intensément », Consommation et mode de vie, n°268, La société des loisirs dans l’ombre de la valeur travail, Cahier de Recherche, n°305, https://www.credoc.fr/publications/les-francais-veulent-vivre-plus-intensement
Dominique Crozat et Sébastien Fournier (2005), « De la fête aux loisirs : évènements, marchandisation et invention des lieux », Annales de géographie, n°643, p. 307-328.
Sophie Daguzé, Clara Julien, Pauline Marchal, Maeva Rakotomanga, Cécile Terrié, Mobilité et mode de vie, Forum Vies Mobiles, https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2017/02/02/choix-vie-atypiques-atelier-exploratoire-3467
Laurent Davezies (2004), « Temps de la production et temps de la consommation : Les nouveaux aménageurs des territoires ? », Futuribles, n°295.
Enquête globale transport : les déplacements du week-end. La mobilité en Île-de-France, n°20, janvier 2013.
Forum des Vies Mobiles, 2020, Enquête sur les impacts du confinement sur la mobilité et les modes de vie des Français, https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2020/04/23/enquete-sur-impacts-confinement-sur-mobilite-et-modes-vie-des-francais-13285
Michel Forsé et Maxime Parodi (2014), « Bien-être subjectif et sentiment de justice sociale », L’Année sociologique, Vol. 64, p. 359-388.
Jean-Baptiste Frétigny (2006) L’espace du train en Italie dans une perspective de géographie culturelle. Mémoire de Master Géographie, Université Paris 1.
Francis Godard (2006), « Les mobilités du « vivre libre ensemble ». Déterminants et contraintes », Information sociale, n° 130, p. 60-71.
Vincent Kaufmann, (2002), « Temps et pratiques modales. Le plus court est-il le mieux ? », Recherche –Transports – Sécurité, vol. 75, p. 131-143.
Xavier Lanéelle (2005) « Réseau social, réseau ferroviaire ». In: Montulet B, Hubert M, Jemelin C, Schmitz S (dir.) Mobilités et temporalités. Publications Facultés universitaires Saint-Louis, collection « Travaux et recherches », pp. 197–206.
Patricia Lejoux, (2007). « Les mobilités du temps libre », EspacesTemps.net, Association Espaces Temps.net, http://www.espacestemps.net/
Dominique Méda (2004), « Manquons-nous de temps ? », Interventions économiques, n° 31, 15 p.
Christine deman Meyer, (2005) « Le tourisme : essai de définition », Management et avenir, n°3, p.7-25.
Pascal Michon , (2014) « Que penser et que faire des nouveaux rythmes de nos vies ? »,Rhuthmos, 16 octobre 2014 [en ligne]. http://rhuthmos.eu/spip.php?article1327
Hovig Ter Minassian et Manuel Boutet (2015), « Les jeux vidéo dans les routines quotidiennes », Espace populations sociétés [En ligne], 2015/1-2 | mis en ligne le 01 juillet 2015, consulté le 29 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/eps/5989 ; DOI : 10.4000/eps.5989
Jérôme Monnet, (2015), « La marche à pied, entre loisir et déplacement » La Géographie - Acta Geographica, Société de Géographie, p.12-15.
Thomas More, (1987), L'Utopie, 1516, tr. fr. Marie Delcourt, GF, p. 149-151.
Sébastien Munafò et Marc Pearce (Forum Vies Mobiles) (2016), « Cadre de vie et mobilités de loisirs : une remise en question de la ville compacte ? », Forum Vies Mobiles - Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 21 Juin 2018, URL: http://fr.forumviesmobiles.org/controverse/2016/11/28/cadre-vie-et-mobilites-loisirsremise-en-question-ville-compacte-3371
Hélène Nessi (2012). Influences du contexte urbain et du rapport au cadre de vie sur la mobilité de loisir en Ile-de-France et à Rome. Thèse de doctorat sous la direction du directeur de Recherche Olivier Coutard. Marne-la-Vallée : Université Paris Est.
Helga Nowotny (1992), Le temps à soi, génèse et structuration d’un sentiment du temps, Ed. de la Maison des sciences de l’homme, Paris.
Thierry Paquot,(2014) « Un temps à soi. Pour une écologie existentielle », Esprit 2014/12 (Décembre), p. 18-35. https://www.cairn.info/revue-esprit-2014-12-page-18.html
Benjamin Pradel et ali. (2014), « Relations sociales et solidarités collectives dans les déplacements périurbains : vers une identité de mouvement ? », Recherche Transport Sécurité, n°30, p. 125-141.
Benjamin Pradel, Sonia Chardonnel, Laurent Cailly et Marie-Christine Fourny, (2005) « Les routines de déplacement dans les espaces périurbains : les dimensions collectives des agencements quotidiens », Espace populations sociétés [En ligne], 2015/1-2 | 2015, mis en ligne le 01 juillet 2015, consulté le 05 novembre 2015. URL : http://eps.revues.org/5961
Benjamin Pradel et Hortense Soichet, (2020) Partir-Revenir, Gestion de l’absence, stratégie domestiques et mode d’habiter, Leroy Merlin Source et Forum des Vies Mobiles, https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2019/01/07/partirrevenir-gestion-labsence-au-domicile-12794
Gilles Pronovost, « Sociologie du loisir, sociologie du temps », Temporalités [En ligne], 20 | 2014, mis en ligne le 25 février 2015, consulté le 27 avril 2018. URL : https://journals.openedition.org/temporalites/2863 ; DOI : 10.4000/temporalites.2863
PUCA, 2021, « A la recherche du temps retrouvé ? Espaces et pratiques du divertissement face à la crise sanitaire », Note d’analyse n°7, mars, http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/note_covid_7.pdf
Thierry Ramadier, Petropoulou & Bronner, (2008) « Quelle mobilité quotidienne intra-urbaine sans la voiture ? Le cas des adolescents d’une banlieue de Strasbourg », Enfances, familles, génération, n°8, p. 60-85.
André Rauch (2003), « Les loisirs, temps libéré ? L'ère des loisirs a ouvert un autre usage du temps. Temps épargné, aménagé ? Temps pour soi ? », Revue Projet 2003/1 (n°273), p. 43-51. DOI 10.3917/pro.273.0043
Hartmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité, (2010), tr. fr. Thomas Chaumont, La Découverte, 2012, p. 28-31.
Jean-François Ruault, (2014) L’effet de la consommation de passage sur le développement et l’intégration métropolitaine des territoires en Ile-de-France. Géographie. Université Paris Est, 2014.
Jean Viard (2002), Le sacre du temps libre, la société des 35 heures, Paris, Éd. de l’Aube, 216 p.
1 https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2019/01/07/partirrevenir-gestion-labsence-au-domicile-12794
2 CREDOC (2014), « Les Français veulent vivre plus intensément », Consommation et mode de vie, n°268, La société des loisirs dans l’ombre de la valeur travail, Cahier de Recherche, n°305, https://www.credoc.fr/publications/les-francais-veulent-vivre-plus-intensement
3 Nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage Éloge de la mobilité. Essai sur la capital temps libre et la valeur travail pour plus de détails sur la place de la féminisation du travail, des transformations du couple ou encore de la baisse du temps de travail.
4 Comme la visite à des amis, le motif « achat » peut s’inscrire dans une même séquence de temps et motiver un seul déplacement mais avec des activités différentes sur un même lieu à l’image des shopping mall : galeries commerciales pour des achats « coups de cœur », grande surface pour les achats « nécessaires » et des espaces de jeu pour des activités récréatives.
5 http://www.cipra.org/fr/dossiers/4
6 http://www.omnil.fr/IMG/pdf/egt2010_week_end_bd-2.pdf
7 Définition du tourisme selon l’OMT : « Les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans les lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs » in Demen Meyer, 2005.
8 Enquête Emploi du Temps, INSEE, 2020, https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1224
9 https://www.emarketerz.fr/top-20-applications-mobiles-2019-monde/
Les mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xUn mode de vie est une composition - dans le temps et l’espace - des activités et expériences quotidiennes qui donnent sens et forme à la vie d’une personne ou d’un groupe.
En savoir plus xLa valeur du temps, en économie des transports, correspond à la disposition de chaque individu à payer pour gagner du temps. Elle permet d’expliquer les choix de modes de transport comme résultant d’arbitrages entre coûts financier et temporel. Elle sert également à orienter et à justifier financièrement les choix d’investissements sur la base des gains de temps permis par une nouvelle infrastructure.
En savoir plus xExercice d’une activité salariée hors des locaux de l’entreprise, à domicile ou dans un lieu tiers pendant les horaires de travail habituels et nécessitant d’avoir accès à des outils de télécommunication.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xModes de vie
Politiques
Théories
Autres publications