La réflexion conduite pendant ce séminaire s’est appuyée sur l’approche de Roger Pouivet, Grand Témoin, qui défend la posture du cognitivisme esthétique selon laquelle les œuvres d’art nous apportent des connaissances qui en constituent même une dimension importante. Mobilisés avec les sciences, ils peuvent contribuer à mieux comprendre les phénomènes étudiés que ce que permet une approche scientifique.
Pourquoi ? D’abord parce que les artistes – photographes, vidéastes, dessinateurs, écrivains, designers, etc. – ont développé des compétences spécifiques pour appréhender et représenter la réalité dans un autre langage que celui des scientifiques, pour donner à voir des idées abstraites, pour véhiculer des émotions, en jouant sur la composition de l’œuvre, sur les matières, les formes, les couleurs, etc. Par exemple, la photographe Sylvie Bonnot travaille avec des scientifiques et se nourrit de leur vocabulaire très technique pour identifier des réalités complexes, les symboliser par ses photographies et les rendre ainsi accessibles au grand public. La dessinatrice Florence Vernay a développé au fil du temps une acuité particulière pour observer un corps et représenter graphiquement ce qui le caractérise. Par exemple, dans le cadre d’une recherche menée pour Leroy Merlin Source sur l’expérience corporelle de l’habiter entre 65 et 100 ans, elle a observé un enquêté habiter son logement au prisme de son activité quotidienne : jardinage, cuisine, ménage, etc. et a rendu compte de ses observations par une œuvre représentant des mains sur un papier froissé, dont le relief évoque le travail des mains de l’enquêté pour transformer la matière.
Ainsi, appréhender une photo (relations entre les éléments de la composition), un dessin (dynamique et grosseur du trait, choix des couleurs) ou encore une vidéo (vitesse de défilement des images, passage du noir et blanc à la couleur, articulation entre images et sons) requiert un certain nombre de compétences logico-sémiotiques pour décoder une œuvre, comprendre son langage, saisir l’intention de l’artiste, accéder à la signification globale à laquelle la représentation singulière se réfère. Au contact des œuvres, nous développons et enrichissons ces compétences logico-sémiotiques et en cela, nous faisons appel au meilleur de nos vertus humaines, à notre rationalité.
Au-delà des compétences logico-sémiotiques qu’ils nous permettent de développer, les arts font appel à nos émotions pour nous renseigner sur l’état du monde et les sentiments des autres. Par exemple, une photographie qui s’attache à un parcours individuel peut nous aider à nous identifier à une personne et à éprouver quelque chose de ses émotions, ce qui nous permet de comprendre quelque chose de la vie, de l’expérience, de la manière de penser d’un autre et nous fait appréhender quelque chose de sa singularité, apportant une dimension humaine au discours plus général que peut produire la recherche. Les émotions sont également une source de compréhension lorsque nous regardons la vidéo Yi de l’artiste chinois Wang Gongxin : le caractère dérangeant des scènes stridentes et rapides de foules en ville, en contraste avec la paix et le silence des scènes de nature, nous fait éprouver quelque chose du rapport des Chinois à l’accélération de l’urbanisation et au développement rapide des mobilités qui ont caractérisé la transformation de leur société depuis les années 1950. Enfin, un récit nous permet d’explorer le monde, d’expérimenter des choix, d’imaginer des possibles qui resteraient autrement impensables et en cela, il nous permet d’aiguiser notre jugement et nos capacités à faire des choix. C’est par exemple le cas dans le jeu narratif 2061, conçu par le collectif AE Coop à la demande du Forum Vies Mobiles pour explorer les imaginaires de la mobilité des jeunes dans un futur contraint du point de vue des ressources énergétiques . Les joueurs élaboraient ensemble des récits, ce qui leur permettait d’« expérimenter un demain fictionnel en co-construction, [de] s’y mouvoir et s’y émouvoir, et dès lors [d’] opérer effectivement des arbitrages, [d’]imaginer et subir les contraintes qui pèsent sur leur choix » (Nicolas Prignot).
Enfin, en renouvelant notre regard sur le monde, sur les autres et sur nous-mêmes, les arts peuvent nous amener à agir, à faire des choix individuels ou collectifs, à nous engager pour une cause. Par exemple, le dispositif Solar Sound System mis en place par Cédric Carles s’appuie sur des animations musicales lors de fêtes électros pour sensibiliser aux enjeux de la transition énergétique et amener ainsi à une prise de conscience débouchant sur un engagement collectif.
Ainsi, les échanges ont permis de mettre en lumière l’intérêt pour les sciences de collaborer avec les arts, qui mobilisent compétences cognitives, émotions, imagination d’une manière spécifique au service d’une compréhension de la réalité et des futurs possibles que ne permet pas toujours le discours scientifique.
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xPour citer cette publication :
Forum Vies Mobiles (07 Février 2023), « Collaborations arts-sciences : que nous apprend l’art et comment nous l’apprend-il ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 21 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/evenements/15559/collaborations-arts-sciences-que-nous-apprend-lart-et-comment-nous-lapprend-il
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