En 2018, le Mouvement des Gilets jaunes dénonce la fermeture progressive des services publics et à fortiori l’effacement de la présence étatique dans les territoires. En réponse, le Gouvernement annonce la création d'un nouveau réseau de proximité : les Maisons France Services, garantissant un accès aux services administratifs à moins de 30min en voiture de chez soi. Ce déploiement entend également répondre à la dématérialisation progressive des démarches en offrant une assistance physique et un accompagnement au numérique. Dans un contexte de nécessaire réduction de la part des déplacements, cet atelier étudiant interroge l’enjeu des mobilités liées aux services administratifs et esquisse des recommandations.
Chaque année, le Forum Vies Mobiles pilote des ateliers étudiants avec un réseau d’écoles et d’universités. Originaux et engagés, ces ateliers explorent des thématiques importantes mais peu traitées dans la perspective du tournant écologique et social des mobilités.
Des étudiants du Master 1 Stratégies Territoriales et Urbaines de l’Ecole Urbaine de Sciences Po Paris se sont intéressés à l’accessibilité des services administratifs à l’heure du tournant écologique et social. Comment l'organisation et l'implantation des services administratifs influencent-elles les mobilités, et réciproquement, comment les politiques de mobilité peuvent-elles modifier l'accessibilité et la proximité de ces services ? En quoi l’implantation des Maisons France Services parvient-elle à contrebalancer ou à accompagner la dynamique de dématérialisation des démarches administratives ?
La définition des services administratifs retenue dans cette étude a été fixée à l'ensemble des services inclus dans le périmètre initial du dispositif France Services, auxquels ont été ajoutés les services liés aux démarches d'immigration. Ces nouveaux espaces de proximité rassemblent neuf services (Assurance Maladie, Allocations Familiales, Mutualité sociale agricole, La Poste, France Travail, Assurance retraite, Agence nationale des titres sécurisés, Points Justice et Finances Publiques), rejoints en 2024 par les Chèques énergie et France Rénov'. Le dispositif entend répondre au double besoin d’accompagnement à la dématérialisation et de réponse au retrait progressif des services publics au sein des territoires de faible densité.
La dématérialisation représente un mouvement de fond dans la réorganisation de l'État depuis une vingtaine d'années. Les objectifs de réduction des dépenses publiques ont entraîné de nombreuses fermetures de guichets de services administratifs, en partie justifiées par leur numérisation. Pourtant, cette dématérialisation ne supprime pas le besoin d'accéder physiquement aux guichets pour certains publics, nécessitant un accompagnement dans leurs démarches ou n’ayant pas la capacité de les effectuer en ligne. Dans un contexte où les inégalités de mobilités sont particulièrement différenciées selon les territoires, l’accessibilité aux services administratifs soulève d’importants enjeux. La réduction de 40 à 60 % du nombre de kilomètres parcourus en voiture, conformément à l’Accord de Paris, nécessite une reconsidération du réseau des guichets administratifs sur le territoire. Les étudiants rappellent dès lors la nécessité d’analyser les parcours de mobilité des usagers afin de mieux intégrer les points d'accueil physiques.
L’étude s’appuie sur une enquête qualitative réalisée à l’échelle de quatre départements présentant des disparités en termes de contexte administratif et mobilitaire :
Des entretiens ont été menés avec une diversité d’acteurs : des services administratifs (l’Assurance maladie, la Caisse de retraite, France Travail, la CAF…), des acteurs institutionnels (maires, préfets, sous-préfets), des acteurs liés à la mobilité ainsi que des acteurs du monde associatif. À ces échanges institutionnels s'ajoutent des discussions informelles avec des habitants rencontrés dans les différents sites d'étude.
L’analyse inter-départements a été complétée par la mise en récits de plusieurs entretiens permettant de rendre compte de l’accès aux services administratifs tel qu’il est perçu par les usagers et les acteurs des territoires visités.
La proximité des services administratifs ne se limite pas à une simple proximité géographique ; elle incarne également une présence symbolique de l'État au sein des territoires. Dans un contexte de dématérialisation des services administratifs, le guichet assure une présence physique et contribue au lien social, en particulier pour les usagers qui n’ont pas accès aux outils numériques ou ne sont pas à l’aise avec leur utilisation. Bien que la dématérialisation ait simplifié les démarches pour de nombreux usagers, les points d'accueil physique restent essentiels pour garantir l'accès aux droits et offrir à chacun la possibilité de choisir son mode de contact avec l'administration. Ce besoin d’être rassuré et de venir sur place au cas où, concerne non seulement les personnes âgées, mais également les jeunes et certaines familles. La maîtrise des outils numériques et des démarches en ligne n’exclue pas le besoin de se rendre sur place afin d’obtenir de l’aide et établir un contact social avec les conseillers.
Une part importante des démarches administratives concerne l'accès aux prestations sociales, principalement les allocations familiales ou les prestations de retraite. Selon les données recueillies dans les Maisons France Services visitées, ces deux types de prestations représentent entre 25 et 50 % des démarches effectuées par leurs usagers pour l'ensemble des partenaires. L’accessibilité aux services administratifs représente dès lors un impératif tant spatial que social.
Olivier Culmann, Administrations - Au cœur du territoire de la Seine-Saint-Denis
Dans les territoires investigués, les mobilités administratives demeurent encore dépendantes de la voiture individuelle. Pour certains publics, une double contrainte s’impose : les personnes devant réaliser de nombreuses démarches administratives sont également celles qui semblent le plus faire face à des difficultés en termes de mobilité. Des dispositifs de transports alternatifs ont été mis en place dans les terrains étudiés tel le covoiturage, l’autopartage, le prêt de vélo ou encore le transport à la demande encadré par l’Autorité Organisatrice de la Mobilité de Valence-Romans.
Par ailleurs, si des alternatives à la voiture individuelle existent, la réduction des déplacements constitue un levier essentiel dans le cadre des objectifs 0 émission. Des dispositifs d’aller-vers ont été mis en place afin de se rapprocher des usagers pour limiter leurs déplacements vers les services administratifs. L’évitement des mobilités est également possible via l’amélioration de l'efficacité du traitement des démarches aux guichets, permettant d’épargner des allers-retours supplémentaires aux usagers.
Mairie de Montfleur (Jura), © Frédéric Migeon
Penser les mobilités administratives autrement : inscrire les services administratifs dans les parcours de mobilité L'enjeu de la sortie de la dépendance à la voiture nécessite de penser différemment l'implantation des points d'accueil physique. Les étudiants ont formulé trois grandes recommandations en s’inspirant de dispositifs identifiés lors des enquêtes réalisées :
Suivant un objectif de réduction des émissions de carbone, il est nécessaire de développer des services administratifs en proximité immédiate de services du quotidien afin de mutualiser les déplacements. La présence de guichets peut redynamiser les centres-bourgs en participant à la reconstruction d'un écosystème dynamique de services et commerces, tout en garantissant une facilité d'accès aux habitants.
La deuxième piste vise à poursuivre le développement des Maisons France Services, principal dispositif d'accompagnement dans les démarches administratives. Leur implantation pourrait être élargie à d’autres types de lieux déjà identifiés et fréquentés par les habitants, comme des tiers-lieux, des maisons de quartier ou des centres sociaux. Ces co-mariages permettraient de mutualiser les espaces et de réduire les déplacements.
La troisième recommandation consiste à intégrer les services administratifs dans les parcours de mobilité des usagers afin d’optimiser la distance des déplacements ainsi que leur nombre. En prenant en compte les flux de mobilité sur les territoires, il est possible d'affiner le maillage territorial des guichets afin de les implanter à l’échelle des bassins de vie. Les 30 minutes retenues actuellement pour la couverture des Maisons France Services correspondent au temps parcouru en voiture. L’approche par le bassin de vie pour leur implantation permettrait de s'affranchir du critère moins pertinent « temps de trajet » qui ne reflète pas complètement les habitudes de déplacement.
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Illustration : ©Manuel Bouquet / Terra
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xL’autopartage est la mise en commun d’un ou plusieurs véhicules, utilisés pour des trajets différents à des moments différents. Trois types d’autopartage peuvent être distingués : l’autopartage commercial, la location entre particuliers, et l’autopartage « informel » entre particuliers.
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