Qu’il s’agisse des militants pour le climat s'opposant à la construction de l’autoroute A69, des Gilets jaunes protestant contre la taxe carbone, ou des débats publics sur la piétonnisation d’une rue, la question des mobilités suscite un grand intérêt parmi les citoyens désireux d'en débattre. Cependant, les concertations publiques autour de ces projets sont souvent critiquées. On leur reproche d’être a minima perfectibles voire franchement insuffisantes. Cet atelier étudiant explore ainsi la place accordée aux citoyens dans l’élaboration des projets de transport et les politiques de mobilité tout en esquissant des pistes de recommandations pour améliorer leur participation.
Chaque année, le Forum Vies Mobiles pilote des ateliers étudiants avec un réseau d’écoles et d’universités. Originaux et engagés, ces ateliers explorent des thématiques importantes mais peu traitées dans la perspective du tournant écologique et social des mobilités.
Des étudiants du Master 2 Urbanisme et Aménagement de l’Université Paris Nanterre se sont interrogés sur la participation citoyenne dans l’élaboration des politiques de transport et de mobilité. Si les citoyens sont souvent écartés des processus décisionnels sous prétexte de la technicité des projets, leur demande de participation n’en est pas moins croissante. Dès lors, comment surmonter les obstacles techniques, géographiques, politiques et sociaux qui entravent la participation citoyenne dans les politiques de mobilité afin de favoriser une prise de décision plus inclusive et démocratique ? Quelles sont les caractéristiques spécifiques de la participation citoyenne dans les projets de mobilité par rapport à d'autres domaines de l’aménagement urbain ?
À la suite d’un état de l’art mettant en évidence l’absence des citoyens dans l’élaboration des projets de mobilité et de transport, cinq projets considérés comme de « bons élèves » de la concertation ont été sélectionnés :
Projets d’infrastructure :
Projets de mobilité active :
Ces projets ont fait l’objet d’une enquête de terrain et d’entretiens auprès d’acteurs institutionnels et des représentants d’association d’usagers.
Figure 1 : Projet de transport par câble entre Saint-Martin-le-Vinoux et Fontaine. Source : France Bleu
Trois principaux défis liés à la participation citoyenne dans le domaine des transports et de la mobilité ont été identifiés :
o Le défi technique : Si la concertation est obligatoire, elle se fait très peu en phase avant- projet. Elle porte davantage sur des questions d’ordre secondaire que sur des questions ayant de réelles conséquences sur le projet.
o Le défi géographique : Les transports, à la différence d'autres projets urbains, ont la particularité de dépasser les frontières territoriales.
o Le défi démocratique : La participation citoyenne dans les projets de transport et de mobilité est rarement inclusive et représentative (socialement, territorialement, usagers...).
Les acteurs institutionnels justifient la faible concertation des citoyens en amont des projets en raison des contraintes techniques imposées par la réglementation, notamment dans le cadre des projets d'infrastructure lourde. Ces contraintes sont considérées comme inchangeables et nécessitant une expertise technique.
« On va ouvrir à la concertation, mais il y a des choses sur lesquelles on ne peut pas revenir ou même ouvrir à la concertation parce que ce sont des sujets techniques » Responsable du projet de la ligne de bus T5 à la Métropole de Rouen Normandie
En réponse, les étudiants rappellent l'importance de prendre en compte le savoir d’usage des citoyens. Cette connaissance compléterait l'expertise technique en adaptant les projets aux besoins réels des usagers, permettant ainsi de réaliser des projets plus pertinents et conformes aux attentes des habitants.
La transformation cyclable de Montpellier, impulsée par la mobilisation de l’association Vélocité, témoigne de l’importance de l’engagement des membres de la société civile dans les instances de gouvernance, ainsi que de l'intégration des savoirs d’usage dans la concertation. L’intégration de l’association aux prises de décision a permis à la fois de recenser les besoins des citoyens et d’apporter des améliorations au projet initial.
La taille ou l'échelle des projets n'est pas considérée comme un obstacle à la participation ; en effet, les projets de mobilité attirent un nombre significativement plus élevé de participants que les autres projets d’urbanisme tant les déplacements sont au cœur des modes de vie des citoyens. Toutefois, la diversité des attentes et des besoins selon les quartiers ou les communes peut complexifier la participation. Lorsqu'un projet s'étend sur plusieurs communes, les différences d'orientations politiques entre les municipalités peuvent également entraver la conception du projet.
Exemple du cas de Grenoble : le projet de téléphérique urbain qui devait s’étendre sur plusieurs communes a présenté des difficultés en raison des divergences politiques et des intérêts variés. Le projet qui prévoyait de passer notamment à Fontaine, une commune populaire et à majorité ouvrière, et Sassenage, plus bourgeoise et conservatrice, devait s’accompagner d’une opération de logements avec une part de logements sociaux. Sassenage s’est alors opposée au projet du métro câble.
L’inclusivité de la participation demeure le principal défi identifié. Bien que l'information sur les projets soit largement diffusée, la participation demeure relativement homogène parmi le public concerné, excluant souvent les minorités et les publics en situation de précarité, qui sont plus difficiles à mobiliser.
Afin de faire face aux différents enjeux identifiés, les étudiants ont proposé une série de recommandations :
• Participation en amont des projets : Il convient d’intégrer les citoyens avant même d’initier des projets de mobilité afin de recenser et comprendre leurs besoins réels. S’interroger sur la nécessité et l’intérêt public du projet, ainsi que sur le type de transport avec les habitants, permet à la fois de clarifier les objectifs et de s’assurer de la pertinence du projet. L’implication des citoyens en phase amont permet également de réduire les oppositions ainsi que de réaliser des économies de temps et de coûts en évitant les erreurs et les modifications tardives. Des dialogues préalables avec des dispositifs tels que des enquêtes sociales ou des diagnostics partagés peuvent être mis en place.
• Participation sur les phases décisives du projet : Dans la conduite du projet, il est essentiel d’impliquer les citoyens lors des phases décisives et de ne pas limiter leur contribution aux aspects secondaires tel que l'aménagement des espaces publics. Leur intégration aux moments clés permet d’enrichir le projet de perspectives auxquelles les professionnels et techniciens n’auraient pas pensé, ainsi que de s’assurer que le projet réponde aux besoins des habitants et aux réalités du territoire.
• Définition des invariants et impératif de transparence : Avant toute démarche de concertation, il est primordial d’en définir les objectifs ainsi que d’identifier les invariants du projet. Informer les participants, de manière transparente, des décisions déjà prises et des contraintes existantes (techniques, budgétaires, politiques, temporelles...) permet de mieux guider la participation, et de limiter les fausses attentes. L’information doit également être accessible, compréhensible - sans avoir recours à un langage trop technique - et disponible pour tous.
• Diversifier les dispositifs de participation : Pour atteindre des populations diversifiées, notamment les populations précaires et les minorités, souvent sous-représentées, combiner des dispositifs de participation classiques avec des initiatives de proximité (aller-vers) peut s’avérer efficace. Des méthodes telles que des ateliers flash ou de courtes enquêtes permettent une collecte rapide des avis, captant ainsi l'attention des citoyens directement dans l'espace public.
• Intégrer les associations au processus de concertation : Les associations de quartier, particulièrement dans les zones confrontées à un sentiment d'abandon par les pouvoirs publics, peuvent jouer un rôle d'intermédiaire efficace en faisant entendre la voix des habitants et en encourageant leur participation.
• Recourir à des bureaux d’étude spécialisés : Dans les territoires où les autorités locales manquent d'expertise pour organiser des processus participatifs, faire appel à des bureaux d'études spécialisés peut garantir une gestion plus compétente et impartiale de la concertation. Ces bureaux d'étude peuvent faciliter une participation plus ouverte et simplifier les démarches, surtout dans des contextes où les interactions entre citoyens et élus sont complexes.
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Illustration @ Cécile Gariépy, the joyful world
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLa mobilité active a trait à toute forme de déplacement effectué sans apport d’énergie autre qu’humaine (sans moteur) et par le seul effort physique de la personne qui se déplace. Elle se réalise à l’aide de modes eux-mêmes dits « actifs », principalement la marche et le vélo.
En savoir plus xLa mobilisation est l’action par laquelle les individus sont appelés à se mettre en mouvement pour se rassembler dans l’espace public en vue d’une entreprise concertée, que ce soit pour exprimer et défendre une cause commune ou pour participer à un événement. En ce sens, il s’agit d’un phénomène social relevant du champ de la mobilité. Cet article a été rédigé par Sylvie Landriève, Dominic Villeneuve, Vincent Kaufmann et Christophe Gay.
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