Le rétrofit électrique des voitures particulières bénéficie d’un a priori très positif au sein de milieux politiques, économiques, ou encore associatifs, aux intérêts parfois opposés sur d’autres sujets. Ses promoteurs défendent que cette activité accélérera la décarbonation de notre société et rendra notre économie plus sobre tout en créant des emplois en France. Pourtant, malgré la mise en place d’aides publiques et la constitution en 2020 d’un cadre juridique favorable à la massification de cette activité, le rétrofit de voitures particulières demeure encore anecdotique. Est-ce une question de temps avant que la filière n’émerge ? Quels sont les obstacles économiques à son développement et peut-on les lever ? Peut-on vraiment compter sur le rétrofit de voitures particulières pour lutter contre le réchauffement climatique ?
Le Forum Vies Mobiles poursuit ses recherches sur les innovations et les politiques publiques dans le secteur de l’automobile. Après avoir identifié les limites écologiques et sociales de la voiture autonome 1, relativisé la pertinence écologique des politiques publiques dédiées au covoiturage courte-distance 2 et souligné le potentiel des véhicules légers et intermédiaires 3, il s’intéresse aujourd’hui au rétrofit électrique des voitures particulières, c’est-à-dire à l’activité de conversion d’une voiture thermique en une voiture électrique. Le rétrofit peut-il contribuer de manière significative à la décarbonation d’un système de mobilité où la voiture conserve une place prépondérante ? Quels sont les avantages ou les obstacles au rétrofit ? Existe-t-il des modèles économiques viables ?
Pour répondre à ces questions, Le Forum Vies Mobiles a confié une mission à trois chercheurs de l’ESSCA spécialisés dans l’économie de la filière automobile. Bernard Jullien, Jean-Sébastien Lacam et Marc Prieto ont mené l’étude sur la base d’une revue de littérature, de 15 entretiens avec des acteurs publics et privés et d’exercices de simulation de l’évolution de la flotte automobile en circulation.
Le rapport des chercheurs s’inscrit dans un scénario partagé et défendu par de nombreux experts, élus et acteurs du secteur de la mobilité, celui du maintien du système automobile sur l’ensemble du territoire français en dehors des centres des métropoles. Pour maintenir ce système et être neutre en carbone, il faut imaginer un renouvellement de la totalité du parc de véhicules thermiques par des véhicules électriques. Ce scénario semble partagé par le SGPE (Secrétariat Général à la Planification Ecologique), le GIEC ou l’UE. Il suppose la réorientation industrielle immédiate des constructeurs vers de petites voitures électriques pour tous, une production concentrée dans des pays à l’énergie bas-carbone, la mise au rebut des véhicules thermiques (et non leur exportation dans des pays moins développés) l’abondance de matériaux pour produire ces engins y compris à moyen terme 4 et le déploiement de bornes de recharge partout.
Le système automobile a une responsabilité prépondérante dans le réchauffement climatique, en particulier en France. La voiture particulière y représente 15% des émissions d’équivalent (eq) CO2. A l’instar des travaux du groupe 3 du GIEC, l’Etat a placé l’électrification de la flotte automobile au cœur de sa stratégie de réduction des émissions de CO2. Le Secrétariat Général à la Planification Ecologique (SGPE) estime que cette transition énergétique de la voiture thermique à la voiture électrique permettra de diminuer de 11 méga tonnes (Mt) nos émissions par an d’ici 2030 5, soit 1/3 des économies estimées à cet horizon dans le domaine de la mobilité des personnes 6.
Pour inciter les acteurs économiques du système automobile à s’orienter rapidement vers une électrification du parc en circulation, des subventions à l’achat ont été développées ces dernières années. A plus long terme, il a été décidé d’interdire les ventes de voitures thermiques sur le sol européen en 2035. Cette décision historique se révèlera pourtant insuffisante pour avoir un parc totalement propre en 2050 si la taille du parc reste quasi-constante en 2050 (40 millions de voitures particulières) et si le parc automobile se renouvelle au même rythme qu’aujourd’hui. En effet, dans ces conditions 7,5% des voitures particulières demeureront thermiques, soit 3 millions de véhicules. Or, la subsistance d’autant de véhicules thermiques dans la flotte en circulation ne permettrait pas d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Projection des ventes de voitures particulières neuves (en millions)
Projection de la composition du parc en circulation (en millions)
Source : Forum Vies Mobiles (2024), Rétrofit électrique des véhicules légers : Opportunités et contours d’une filière émergente en France, rapport rédigé par Prieto, M., Jullien, B., et Lacam, J.S., Editions ESSCA Research, France.
Le rétrofit électrique a l’avantage d’agir directement sur le parc thermique sans attendre que les véhicules aujourd’hui en circulation ne soient remplacés par des neufs. Cette activité pourrait ainsi accélérer le rythme d’électrification de la flotte automobile. Mobilians, le principal syndicat des professionnels du monde automobile, estime que 193 000 voitures particulières pourraient être rétrofités en 2028. A un tel rythme, le rétrofit pourrait dès lors apparaitre comme une solution pour combler le manque de véhicules électriques à l’horizon 2050 identifié plus haut 7.
Le rétrofit bénéficie d’un a priori très favorables au sein des partis politiques (de LFI à LR) 8 et des organisations publiques et privées (de l’ADEME à Mobilians). En effet, cette activité s’inscrit dans les logiques de l’économie circulaire en permettant le réemploi du véhicule (hormis son moteur et les composants associés) ce qui permet de faire l’économie de la fabrication et de la destruction de voitures thermiques (en termes de matières premières comme d’émissions de CO2). Par ailleurs, cette filière pourrait être source d’emplois en France qui seraient difficilement délocalisables.
Les promoteurs du rétrofit ont réussi à convaincre les institutions de construire un système d’homologation de kits par modèle de voiture pour permettre le rétrofit, voire d’en industrialiser l’exécution. En effet, un moteur électrique avec ses batteries est bien plus lourd qu’un moteur thermique et la bonne répartition des poids dans un véhicule est essentiel pour sa conduite. Or la transformation de voiture reste une activité très encadrée en France 9, ce qui représentait un obstacle important pour la filière. Les rétrofiteurs estime le système d’homologation ratifié en 2020 adapté à l’émergence d’une filière, bien que le coût d’entrée en termes de recherche et développement (R&D) et d’homologation demeure important. L’État a soutenu le rétrofit avec une subvention à la même hauteur que celle dédiée à l’achat de véhicules neufs (jusqu’à 6 000€ par véhicule).
Malgré cela, 3 ans plus tard, le nombre de véhicules rétrofités reste epsilonesque : 400 véhicules en 2023.
Le rétrofit électrique d’une voiture particulière coûtait entre 12 350 et 15 000€ selon l’ADEME en 2021 10. Le reste à charge après subvention pour le consommateur est donc important (entre 6 350€ et 15 000€). Ce prix élevé est lié à la R&D en amont, à la main d’œuvre nécessaire à cette opération complexe et surtout au coût élevé des batteries.
Un rétrofiteur achète, en moyenne, 3 à 4 fois plus cher ses batteries qu’un constructeur. Se rapprocher des économies d’échelle de ces derniers et de leur volume de commandes auprès des fournisseurs s’avère difficile sinon impossible. Les rétrofiteurs n’achètent pas les mêmes batteries que les constructeurs automobiles, leurs batteries sont plus petites et leurs formes peuvent varier en fonctions des modèles pour ne pas déséquilibrer une voiture qui n’a pas été conçue pour cela.
En outre, une voiture rétrofitée, du fait de la faible taille de sa batterie, offre une autonomie relativement faible (environ 80km). Dans un système de mobilité dominée par l’automobile, y compris pour les trajets de moyenne et de longue distance, cette autonomie ne semble adaptée que pour la seconde voiture d’un ménage. Or, le reste à charge évoqué plus haut apparaît démesuré pour un second véhicule.
Mais c’est sûrement le développement d’un marché de véhicules électriques d’occasion qui constituera le principal frein dans les prochaines années. En effet, le coût d’un véhicule rétrofité doit être mis en relation avec le marché de la voiture d’occasion où les particuliers réalisent l’essentiel de leurs transactions. Or celui-ci commence déjà à émerger concernant les véhicules électriques. Une Renault Zoé de 7 ans d’âge et garantie 7 ans coûte aujourd’hui 7 000€. Dans 5 ans, 5 millions de véhicules électriques seront en circulation en France, ce qui laisse penser qu’un marché d’occasion conséquent existera 11. Aussi même si des solutions de rétrofit arrivent à atteindre un prix de 10 000€ et un reste à charge de 4 000€ pour le consommateur, il est très probable que des véhicules électriques d’occasion coûtent moins cher avec une meilleure autonomie d’ici-là.
Pour diminuer le coût du rétrofit pour le consommateur, une politique de subvention encore plus audacieuse pourrait être imaginée, mais dans quel intérêt ?
Les trois chercheurs ont simulé une politique publique de subvention permettant d’atteindre le rétrofit de 200 000 véhicules chaque année 12. À partir de plusieurs hypothèses explicitées dans le rapport, à raison d’une subvention de l’ordre de 8 500€ par véhicule, le coût d’une tonne de CO2 d’une telle politique avoisinerait pour l’État 400€ 13. On est largement au-dessus de la valeur de référence fixée par la commission Quinet qui est de 250€ à l’horizon 2030 14. Ce coût important s’explique notamment par le fait qu’un véhicule rétrofité n’a pas la durée de vie d’un véhicule électrique neuf. Bien que sa production émette deux fois moins de CO2, sa durée de vie est, elle aussi, divisée par deux. A l’horizon 2050, la valeur de référence de la tonne de CO2 atteindra certes 750€ 15, mais à cette date, le nombre de véhicules rétrofitables sera faible et le marché de la voiture électrique d’occasion sera très important. Le rétrofit sera très difficilement compétitif.
Pour justifier une politique publique de décarbonation s’appuyant sur le rétrofit, il faudrait donc espérer une chute importante de son coût. Une telle diminution suppose des investissements importants pour industrialiser le processus et/ou stimuler la R&D. Or il apparaît difficile d’attirer des investisseurs sur une activité supposant des coûts fixes importants (machines-outils, ateliers ou usines …) et dont le modèle est très limité dans le temps puisque les modèles thermiques devraient tous disparaître dans moins de 30 ans.
Dans le scénario favorable au développement massif des ventes de petits véhicules électriques neufs, le rétrofit de voitures particulières apparaît davantage pertinent pour des collectionneurs que pour décarboner massivement nos mobilités. Mais la pertinence du rétrofit se situe peut-être dans d’autres engins, comme les véhicules utilitaires légers (VUL). Le fait que ces véhicules ne soient pas composés seulement d’un habitacle mais aussi d’un ample espace de chargement relâche la contrainte architecturale en pouvant accueillir des batteries relativement grosses et standardisées. En effet, une partie de l’espace de stockage peut servir à accueillir le moteur. Des partenariats entre constructeurs et rétrofiteurs ont ainsi été noués pour acheter des batteries au meilleur prix. Aussi, les trois chercheurs préconisent de concentrer le soutien public à ces véhicules et de mener une étude spécifique à ce sujet.
Un autre scénario, sur lequel le Forum Vies Mobiles travaille, est à envisager, celui d’un nouveau système de mobilité où la voiture ne sera utilisée qu’en dernier recours : un système complet alternatif à la voiture. Ce dernier est imaginé à partir de la réduction des déplacements contraints permis par une réorganisation de la société à court-terme et un nouvel aménagement du territoire à plus long-terme. Ce scénario repose également sur la réaffectation massive d’une partie du réseau routier en faveur des modes actifs et des transports en commun permettant à chaque commune d’être desservie de manière cadencée. Dans ce scénario alternatif, le rétrofit pourrait jouer un rôle bien plus important dans la décarbonation de la mobilité grâce à l’électrification des cars nécessaire à cette bifurcation. C’est l’un des chantiers que souhaite ouvrir le Forum Vies Mobiles à la suite de cette première étude sur le sujet.
Par ailleurs, dans ce deuxième scénario, le parc en circulation diminue progressivement pour devenir résiduel. Il apparaît dès lors imaginable que l’Etat subventionne fortement le rétrofit des derniers véhicules particuliers dont nous ne pourrons nous passer sans remettre en cause des activités économiques considérées comme essentielles (agriculteur ayant une ferme isolée, infirmière à domicile parcourant des territoires ruraux…).
Télécharger le rapport complet
Téléchargez la synthèse du Forum Vies Mobiles
Téléchargez la synthèse des chercheurs
5 Synthèse du plan « France nation verte », SGPE, Septembre 2023
6 Dans le même temps, le SGPE estime que le levier du report modal ne permettra, lui, qu’une diminution de 5 Mt d’équivalent CO2 sur la même période, soit deux fois moins.
7 Entre 2028 et 2050, 4,2 millions de véhicules pourraient être rétrofités (0,193 * 22). D’après les calculs ci-dessus, dans un scénario maintenant un parc de la même taille et sans politique de massification du retrofit 3,02 millions de véhicules thermiques subsiste en 2050. Une politique de massification du retrofit peut donc permettre d’atteindre la neutralité carbone.
9 Contrairement par exemple, aux États-Unis.
10 Étude « retrofit », BCO2 ingénierie pour l’Ademe, 2021
11 12,5% du parc automobile est vendu chaque année sur le marché de l’occasion.
12 Cette politique s’ajoute à un renouvellement « au fil de l’eau » permettant le renouvellement du parc auto à hauteur de 1,6 millions de véhicules.
13 Voir page 62 du rapport Forum Vies Mobiles (2024), Rétrofit électrique des véhicules légers : Opportunités et contours d’une filière émergente en France, rapport rédigé par Prieto, M., Jullien, B., et Lacam, J.S., Editions ESSCA Research, France.
14 https://www.strategie.gouv.fr/publications/de-laction-climat
15 Dossier de présentation du rapport de la commission présidée par Alain Quinet, Septembre 18 Février 2019
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En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
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