Les mobilités quotidiennes des jeunes en Afrique subsaharienne
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Avez-vous déjà réfléchi à l’importance primordiale de la mobilité dans la détermination de la vie des jeunes et des opportunités qui leur sont accessibles ? Étant donnée la fonction cruciale des transports, les interventions des professionnels et des décideurs politiques dans ce domaine pourraient-elles contribuer à améliorer la vie des jeunes ?
Avez-vous déjà réfléchi à l’importance primordiale de la mobilité dans la détermination de la vie des jeunes et des opportunités qui leur sont accessibles ? Étant donnée la fonction cruciale des transports, les interventions des professionnels et des décideurs politiques dans ce domaine pourraient-elles contribuer à améliorer la vie des jeunes ? Mon objectif ici n’est pas seulement d’attirer votre attention sur le rôle central joué par la mobilité dans l’existence des jeunes en Afrique subsaharienne, mais également de proposer des suggestions quant à ce qui pourrait être fait pour améliorer les choses. Une part importante de ces considérations s’appuie sur un de mes livres, Young people's daily mobilities in sub-Saharan Africa: Moving young lives. J’ai entrepris ce travail avec passion car cela m’a permis de réfléchir au recherches sur les transports et les mobilités que je mène depuis 40 ans dans toute l’Afrique, en collaboration avec différentes équipes de chercheurs (généralement africains). <br /> <br /> [[{"type":"media","fid":"3204","attributes":{"typeof":"foaf:Image","width":"930","height":"698"},"view_mode":"default"}]]
<br /> <br />J’ai commencé mes recherches sur le sujet lorsque j’étais jeune enseignante à la (toute nouvelle) université de Maiduguri, au milieu des années 1970 : dans ce coin perdu du Nord-Est du Nigeria, j’ai vite découvert que les transports (ou leur absence) étaient des éléments fondamentaux pour comprendre les modes de vie et les ressources disponibles, notamment pour les femmes et les filles. Les années suivantes, la mobilité des femmes en tant que facteur de développement en Afrique a attiré une attention croissante mais celle des enfants, en revanche, est demeurée un objet négligé. Dès lors que la moitié de la population de nombreux pays africains est composée d’enfants et de jeunes de moins de 15 ans, et qu’on en sait si peu sur leur mobilité quotidienne et ses contraintes, qui contribuent à façonner leur vie et les opportunités qui se présentent à eux, il était évidemment justifié de travailler davantage sur ce sujet. <br /> <br /> Une part importante de mes recherches sur la mobilité a été réalisée avec la collaboration d’universitaires africains, notamment de l’université de Cape Coast (Ghana), mais au fur et à mesure que nos projets prenaient de l’ampleur, nous avons essayé de travailler directement avec de jeunes élèves, en les formant à devenir chercheurs. Au final, cela nous a permis de recruter soixante-dix élèves comme co-enquêteurs. Ils nous ont aidé à dépasser les simples constats d’immobilité ou de circulation d’un lieu à l’autre, ou les facteurs économiques directs qui déterminent le potentiel de mobilité, pour parvenir à une meilleure compréhension de l’expérience vécue par les filles et les garçons qui se déplacent dans l’Afrique rurale et urbaine, et des politiques de mobilité qui en sont le contexte. <br /> <br /> [[{"type":"media","fid":"3205","attributes":{"typeof":"foaf:Image","width":"998","height":"1178"},"view_mode":"default"}]]
<br /> <br />Le genre est d’une importance cruciale à cet égard ; non seulement il détermine la forme spécifique et les expériences constituées par de nombreux déplacements, mais il peut aussi avoir une influence énorme sur leurs vies futures et leurs opportunités ; notamment la transmission intergénérationnelle d’une situation désavantageuse. Pour donner un exemple parlant, une entrée tardive à l’école, dans l’Afrique rurale, à cause de la distance et des représentations parentales quant à la vulnérabilité de leur fille sur son trajet, est souvent suivie d’un décrochage précoce, surtout lorsque l’entrée dans un établissement d’enseignement secondaire exigerait des trajets plus longs encore. Les conséquences ne se limitent pas à la restriction probable des opportunités d’emploi, mais peuvent également rejaillir sur le taux de fertilité (élevé) et l’éducation des enfants, avec des répercussions sur la santé de l’enfant, sa survie et la scolarité de la génération suivante. Prenons, par exemple, le cas de Susanna, dans une zone reculée du Malawi rural, qui n’a commencé l’école qu’à l’âge de 9 ans, parce que c’était trop loin de chez elle. Elle a décroché après quelques années parce que « l’école était trop loin pour que j’y aille à pied tous les jours. » Depuis l’âge de 10 ans, elle accomplit des travaux occasionnels, mal payés, comme le transport de lourdes charges de bois de chauffage et d’eau pour les constructeurs de maison du village. Elle n’a pas arrêté pendant sa brève scolarité. Aujourd’hui, elle a 20 ans et pour toute perspective le mariage, les grossesses et une vie entière de précarité et de dur labeur. <br /> <br /> De telles politiques genrées de mobilité ne peuvent être ignorées. Les inégalités et la peur des violences de genre sont des éléments essentiels dans nombre de décisions prises par et pour les filles concernant la mobilité. Elles semblent inextricablement liées à une crise de la masculinité, particulièrement évidente dans le sud de l’Afrique. Par crise, j’entends la façon dont la transformation des conditions sociales et économiques provoque chez certains hommes une profonde incertitude quant à leur rôle social et à leur identité[^1]. Le dialogue dans les communautés et la formation qui l’accompagne, seront essentiels pour la résolution de cette crise. Bien que les ONG montrent une activité croissante dans ce domaine, la tâche est immense et nécessitera probablement de nombreuses années. <br /> <br /> Entre-temps, certaines mesures plus modestes seraient susceptibles d’améliorer la mobilité des jeunes gens, qu’elles concernent spécifiquement les transports ou demandent une approche plus holistique et intersectorielle. Dans de nombreux contextes, bien sûr, il est évident qu’il faudrait moins, et non davantage, de mobilité (un réseau plus dense d’écoles et de centres de santé, et l’équipement collectif en eau courante pour éviter les trajets fréquents et répétitifs visant à aller chercher de l’eau, par exemple.) Malheureusement, très souvent, l’investissement que demanderait la création de ce type d’infrastructures ne pourra pas être réalisé avant longtemps. <br /> <br /> En attendant, voici quelques suggestions de politiques spécifiques qui pourraient contribuer à améliorer la vie et les opportunités des jeunes, notamment celles des filles :
<br /> ####*Dans le secteur de l’éducation* :-
Réduction des longs trajets vers l’école par l’augmentation des possibilités d’internat en toute sécurité, y compris au niveau de l’école primaire. Les filles, qui sont très souvent les proies d’hommes prédateurs si elles logent provisoirement en ville pour aller à l’école, pourraient être parrainées par des femmes plus âgées.
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Bus pédestres pour augmenter la sécurité sur le trajet de l’école (que le risque vienne de la circulation, ou de la possibilité d'une attaque humaine ou animale).
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Sensibilisation des professeurs au retard des élèves vivant loin de l’école et réduction des punitions subséquentes. Ce point est important, car les punitions sévères (notamment corporelles) des retards sont souvent un facteur de décrochage. Dans certaines régions, il pourrait être adapté de commencer l’école plus tard le matin.
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Campagnes sur les effets nocifs pour la santé des enfants du transport pédestre de charges trop lourdes et développement de directives sur les charges adaptées selon le sexe, l’âge, etc.
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Attention accrue aux avantages des moyens de transport intermédiaires (par ex. solutions de transport basées sur des vélos ou cyclomoteurs adaptés) afin de limiter le port de charge par les enfants dans le contexte domestique. Il est intéressant de noter que lorsque de tels moyens sont adoptés, les hommes et les garçons sont plus ouverts à la possibilité d’aider au transport de charges domestiques, c’est-à-dire d’eau et de bois de chauffage.
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Amélioration de l’accès à des services de transports motorisés peu onéreux, réguliers et fiables, pour les charges lourdes dont le transport est rémunéré (étant donné les éléments dont nous disposons sur l’utilisation des enfants les portant sur leur tête, comme alternative peu coûteuse au transport motorisé.)
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Réduction du port de charges par des interventions non liées aux transports, comme l’amélioration de l’approvisionnement en eau, la plantation de bois près des habitations et une plus grande disponibilité de fours peu onéreux, économes en carburants et culturellement acceptables.
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Amélioration de l’accès à des services abordables, accessibles et adaptés aux jeunes, par l’amélioration des services de transport. (Les services disponibles sont dans une situation critique : de nombreux jeunes recourent actuellement à l’automédication, non seulement en raison de l’éloignement des établissements mais aussi en partie à cause d’un personnel peu amène et d’équipements inadéquats.)
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Amélioration de la disponibilité de conseils de santé professionnels sur place, par exemple par la formation des personnels des écoles ou des épiceries qui vendent des médicaments.
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Programmes d’éducation scolaire portant sur la sécurité personnelle sur la route et créés sur mesure pour les conditions locales (pas de programmes achetés clé en main aux pays du Nord.)
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Formations à la sécurité routière ciblant spécifiquement les jeunes qui n’ont pas été scolarisés ou ont décroché avant l’année où ces formations ont été introduites (par ex. de nombreux enfants des rues, vendeurs de rue, etc.)
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Fourniture de vêtements ou cartables réfléchissants pour rendre les enfants plus visibles.
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Investissement dans des mesures de ralentissement de la circulation à bas coût comme les dos d’ânes, à des emplacements stratégiques, par exemple autour des écoles, étant donné que la séparation des piétons des autres usagers de la route par le biais d’infrastructures nécessitant des investissements massifs est difficilement réalisable dans de nombreux endroits, du moins à court terme.
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Améliorer l’accès à des casques peu chers, de qualité, pour les cyclistes, les motocyclistes et leurs passagers.
La publication présentant cette recherche comprend des éléments empiriques portant sur différents types de trajets : trajets d’enfants pour aller à l’école, trajets vers et dans des contextes de travail (y compris en portant de lourdes charges), trajets pour le jeu et les loisirs (pour lesquels les téléphones portables offrent toujours plus de mobilité virtuelle, au-delà de l’espace physique) et pour l’accès aux services de santé. Chaque cas donne lieu à des comparaisons entre les contextes ruraux et urbains et entre les différents pays. Des chapitres couvrent ensuite les modes de transport spécifiques : la marche, le cyclisme et les moyens motorisés, en prenant en compte des expériences cruciales relatives à la sécurité routière. <br /> <br /> Pour plus d’informations sur mon travail, merci de cliquer ici, ou de me contacter à l’adresse r.e.porter@durham.ac.uk. Je suis aussi très intéressée par les travaux en cours dans ce domaine.
<!-- Notes -->[^1]: Cette crise peut être liée non seulement aux conséquences des politiques économiques néolibérales, sources de difficultés pour de nombreux Africains, mais également dans certains cas à l’attention croissante portée à l’émancipation des femmes dans le cadre des actions de développement. Certains hommes, pauvres et jeunes, ont subi une marginalisation, par exemple, avec une inversion des relations de pouvoir domestique, suite à l’entrée plus importante des femmes dans la population active.