Mobilithèse 27 Octobre 2017
Dans le cadre de ma thèse, j’ai étudié les liens entre les effets du changement climatique et les mobilités quotidiennes, en accordant une attention particulière aux préoccupations écologiques dans le champ des recherches sur la mobilité. À travers des études de cas (qualitatives et comparatives), j’ai analysé la façon dont les ouragans Igor et Juan font ressortir la résilience et la vulnérabilité des systèmes de mobilité contemporains.
Titre de la thèse : Navigating disruption. Mobile society and severe weather ("Traverser les perturbations. Société mobile et violentes intempéries").
Pays : Canada
Université et laboratoire de recherche : Université Memorial (Saint-Jean de Terre-Neuve)
Date : 2016
Directeur de recherche : Mark C.J. Stoddart
« Je n’avais jamais rien vu d’aussi violent », s’est rappelé un agent municipal. Un homme politique a raconté une « destruction totale… certaines routes avaient simplement disparu . » Lorsque l’ouragan Igor a frappé Terre-Neuve, au Canada, en 2010, les eaux ont emporté des routes et des ponts, isolant plus d’une centaine de communautés, dont certaines pendant près de dix jours. Lorsque l’ouragan Juan a frappé la province voisine de Nouvelle-Écosse en 2003, des poteaux électriques sont tombés, bloquant les routes, laissant de nombreux habitants sans électricité et les privant de la plupart de leurs options de transport.
Devant la violence des tempêtes, l’Organisation météorologique mondiale a baptisé ces deux ouragans Igor et Juan. Igor fut le troisième ouragan le plus pluvieux de l’histoire du Canada et s’est caractérisé par de fortes précipitations. Mesurant 1 500 kilomètres de diamètre, il était le plus grand ouragan enregistré dans le bassin atlantique jusqu’à Sandy. Juan s’est singularisé par des vents forts et une importante onde de tempête. Dans le port de Halifax, capitale de la province, l’ancrage des bouées météorologiques s’est cassé net dans des vagues de 20 mètres 1.
Au regard de la gravité des perturbations infligées aux systèmes de mobilité, beaucoup de choses fonctionnèrent bien. Dans ces communautés côtières, une sorte d'instinct les pousse à se préparer au pire avant les tempêtes. Alors que les routes étaient impraticables, enrayant ainsi le système de transport dominant, on vit émerger un éventail étonnamment efficace de modes alternatifs ayant bien fonctionné : ferries, bus, hélicoptères et autres. Un article expliqua que les habitants prenaient « des VTT, des bateaux, travers[aient] la forêt à pieds pour se rendre dans les communautés voisines et aller chercher de l’insuline, de la nourriture, du lait pour bébés parce qu’ils n’en avaient plus. » L’expérience de plusieurs événements climatiques graves a développé chez ces communautés une capacité à faire face à l’urgence et à revenir à la normale aussi vite que possible.
Des fils électriques et des arbres entremêlés bloquent les routes, Saint-Jean de Terre-Neuve. Photo : Colin Peddle
Cela étant, le retour à la normale implique de rétablir des systèmes qui ont pourtant dévoilé leur vulnérabilité. Alors que le bouleversement des infrastructures et des communautés concernées offre une fenêtre d’opportunité pour l’introduction d’une transition mobilitaire, le réflexe collectif dans de tels moments est de revenir au statu quo . Les routes et les ponts emportés par l’ouragan Igor ont été reconstruits. Les lignes électriques renversées par l’ouragan Juan ont été remises en place. Dans ces deux provinces, l’interruption de l’électricité a coïncidé avec l’impossibilité de pomper du carburant. On s'est empressé de restaurer le système automobile – soit les véhicules fonctionnant à l’énergie fossile et les infrastructures qui s’y rapportent. Les énergies électriques et fossiles demeurent entremêlées. Bien que compréhensible, cette réaction est problématique car elle empêche toute réflexion sur une transition vers des systèmes de mobilité plus écoresponsables et socialement équitables.
L’une des différences cruciales entre les deux événements repose sur le fait que l’ouragan Igor a été largement, quoique non exclusivement, dépeint par les médias et les décideurs politiques terre-neuviens comme un événement isolé (et ce malgré plusieurs inondations durant la décennie précédente). En revanche, en Nouvelle-Écosse, l’ouragan Juan a été considéré comme symptomatique du changement climatique et replacé dans une suite d’événements complexes (tous liés aux mobilités) qui avaient frappé la province: invasion d'espèces transmettant la grippe aviaire, accidents d’avion, etc. Cela explique sans doute en partie les prises de décision plus nombreuses concernant le changement climatique et la durabilité des transports en Nouvelle-Écosse qu’à Terre-Neuve durant les années qui ont suivi les ouragans.
Dans le cadre de ma thèse, j’ai étudié les liens entre les effets du changement climatique et les mobilités quotidiennes, en accordant une attention particulière aux préoccupations écologiques dans le champ des recherches sur la mobilité. L’idée au cœur de mon projet est que les modes de transport fonctionnant avec des énergies fossiles contribuent au changement climatique. Bien qu’il soit particulièrement difficile d’établir un lien entre des événements météorologiques spécifiques et le changement climatique, j’ai étudié les ouragans Igor et Juan comme des exemples des perturbations attendues – vents forts, précipitations intenses et augmentation du niveau de la mer – dans un climat en évolution. À travers des études de cas (qualitatives et comparatives), j’ai analysé la façon dont les ouragans Igor et Juan font ressortir la résilience et la vulnérabilité des systèmes de mobilité contemporains.
Le routage météorologique consiste à modifier en permanence la trajectoire d’un bateau pour profiter au mieux du vent, des courants et des marées afin de réduire la résistance physique et, par extension, le coût du transport. Alors que la société cherche sa voie face aux modifications du climat, comment orienter nos voiles pour réduire les émissions à l’origine du changement climatique tout en nous préparant à affronter les conséquences de violentes intempéries ?
Au-delà de similarités essentielles, puisqu’il s’agit d’ouragans records arrivant sur les côtes atlantiques du Canada durant la même décennie et touchant dans les deux cas une île/une péninsule, Juan et Igor montrent d’importants contrastes. La comparaison entre les conséquences sur une Terre-Neuve rurale et la zone urbaine de Halifax illustre la diversité et la complexité des systèmes de mobilité. De plus, les caractéristiques des ouragans et leurs effets respectifs sur la mobilité, sont différents : Juan a été défini par le vent, Igor par la pluie.
L’une des centaines de routes inondées, Terre-Neuve. Photo : Colin Peddle .
Afin d’analyser les réactions face aux destructions engendrées par les ouragans sur les systèmes de mobilité, j’ai conçu une étude de cas comparative. Etant donné que les questions auxquelles je m'intéresse - la mobilité, le changement climatique, les intempéries violentes - sont à la fois complexes et pleines d’incertitudes, je me suis plongée dans les rapports officiels et d’expertise. Pour les deux ouragans Juan et Igor, j’ai rassemblé des documents existants : articles de presse, transcriptions de débats législatifs et documents d’orientation. J’ai également produit du matériau sous forme d’entretiens avec des informateurs clés comme des gestionnaires de transports, des responsables des questions environnementales et des planificateurs de l’utilisation du sol. J’ai aussi organisé des sessions de conférences et je suis devenue bénévole pour la Croix Rouge afin de parachever mon expérience.
Dans les deux cas, je me suis intéressée à des régions fortement touchées en analysant les interventions provinciales et, dans une moindre mesure, locales et nationales. Chaque méthode contribue à la composition d’une riche étude de cas et la multiplicité des méthodes accentue la validité des résultats. Mon objectif n’est pas de proposer une description détaillée et chronologique mais d’éclairer et d’explorer diverses facettes de l’expérience de mobilité durant ces événements.
J’ai analysé les données recueillies, guidée par les questions suivantes :
Au final, les points forts de cette approche sont la solidité fournie par la combinaison des jeux de données et l’équilibre entre les souvenirs et les faits documentés. Ses limites comprennent la non prise en compte de récits d’expérience de mobilité et d’immobilité de citoyens ordinaires, ainsi que le biais de genre inhérent à l’étude de professions majoritairement masculines (c’est-à-dire le transport). Des problèmes de comparabilité des études de cas se posent aussi entre la région rurale de Terre-Neuve et la zone urbaine de Nouvelle-Écosse mais l’avantage est qu’une telle approche révèle la diversité de mobilités qui caractérise le Canada atlantique.
Dans le cadre de l’étude des mobilités, je promeus le routage climatique en tant que nouvel outil conceptuel, utile à la fois aux chercheurs et aux praticiens. Étant donné que le climat et les technologies de transport évoluent rapidement, je recommande six solutions permettant de trouver une voie de transition durable :
Certaines routes ont été entièrement emportées, d’autres semblaient intactes mais souffraient de dommages structurels. Plus de 100 communautés se sont retrouvées isolées, certaines pendant près de 10 jours. Photo : Colin Peddle
Les principales considérations portent sur le questionnement des pratiques de mobilité actuelles, la réduction des frictions socio-écologiques, l’augmentation de la résilience des sociétés, le maintien ou, idéalement, l’amélioration de la qualité de vie.
La préparation aux perturbations dues aux intempéries violentes et l’adaptation à des systèmes de mobilité économes en carbone offrent l’opportunité de placer au centre des préoccupations les besoins des populations les plus fragiles et de réorganiser la mobilité et l’utilisation d’énergie de façon à réduire les vulnérabilités socialement construites. Ces six pratiques de routage climatique ont pour but d’augmenter les solutions à court terme et de s’appuyer sur elles pour faciliter une transition plus générale vers une mobilité durable.
Mon travail aborde des questions à l’intersection de la compréhension et de l’action, qui demandent de plus amples recherches :
Ce qui se dessine dans les cas des ouragans Igor et Juan est la forte capacité à rendre les choses à leur état antérieur. En allant de l’avant, les communautés ont besoin d’aide pour comprendre et mettre en place une transition vers de nouvelles manières d’être.
Lorsque les routes sont inondées et/ou bloquées, les secours d’urgence habituels peuvent être limités. Caserne régionale, Saint-Jean de Terre-Neuve. Photo : Colin Peddle.
1 " 5 years later, looking back at Hurricane Igor (Canadian Broadcast Corporation, 2015); “ A look back at Hurricane Juan” (Global News)
Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xPour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
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