15 Septembre 2018
L’ère des mobilités nouvelles a profondément bouleversé nos modes de vies, nos corps, notre perception de l’espace et du temps. Le siècle précédent avait inauguré le règne de la vitesse. Le siècle en cours consacre la montée en puissance des technologies de communication à distance. Il donne à notre rapport au monde les apparences de la liberté et de l’intensité. Il y a quelque chose de grisant dans cette capacité qui est désormais la nôtre, dans la mesure où nos moyens financiers nous le permettent, à sillonner le monde tout en restant connecté.
Nous avons cru aux bienfaits d’une mobilité augmentée par la technologie. On ne peut dénier ses attraits. Cependant, elle n’est aucunement un bien en soi. Elle vend un désir (l’obsession du « bouger et du connecter à tout prix »), accentue les inégalités sociales, nous dicte ses injonctions, et conditionne nos modes de vie de façon irraisonnée. Surtout, et c’est là le fait essentiel, celui qui doit innerver l’ensemble de notre démarche réflexive, les formes contemporaines de la mobilité continuent à détruire notablement notre environnement. Le plus grave enfin, c’est que rien n’apparaît significativement de la « transition » annoncée : partout dans le monde, toujours plus de camions, d’automobiles et de liaisons aériennes, toujours plus d’infrastructures en construction, toujours plus d’offres commerciales, toujours plus de mobilités polluantes. D’un côté, une business jet class survole la planète ; de l’autre, des vies mobiles ordinaires, exposées aux nuisances du déplacement de masse : embouteillages persistants, entassements dans des rames de métro aux heures d’affluence, corps figés dans l’attente, emplois du temps épuisants, rythmes imposés chaque jour, que nous ne maîtrisons pas. Malgré l’annonce répétée des pics de pollutions, malgré de solennelles professions de foi ou des déclarations de principe, aucune solution sérieuse d’ensemble n’est en vue, aucune perspective programmatique efficace, et l’on ne voit pas les acteurs publics soutenir avec conviction et constance des modes de vie innovants et durables.
Pourquoi dès lors continuer à parler de la mobilité de façon neutre et aseptisée ? Comment continuer à l’étudier sans accorder une importance majeure à l’impact des déplacements sur le dérèglement climatique et sur la pollution de l’air (particules fines, CO2) ? Il convient aujourd’hui de repenser librement, dans toutes leurs contradictions, nos manières de nous déplacer, en dépliant tous leurs enjeux - écologiques, géopolitiques, et sociaux - y compris sous leurs aspects les plus néfastes. C’est pourquoi notre réflexion doit résolument déconstruire le mensonge technocratique. Des innovations technologiques et les visions futuristes qui les prolongent sont souvent présentées comme des solutions miraculeuses (voiture autonome, ville « intelligente »). Or toutes ces « solutions » illusoires, négligent le problème majeur des déchets, des matériaux rares et des sources d’énergie. Elles pourraient même contribuer à intensifier, en même temps que nos déplacements, la congestion qu’ils génèrent.
N’hésitons pas à remettre en cause les habitudes de déplacement suscitées par le système dominant de l’automobile et de l’avion, en même temps que l’industrie et les infrastructures que cette domination implique.
Proposons de nouvelles politiques de mobilité, en rupture avec l’obsession du toujours plus vite et du toujours plus loin.
Envisageons une autre politique des rythmes et des échelles, qui tienne le plus grand compte des aspirations légitimes de ceux qui ne veulent plus subir les effets d’un déni de l’enjeu écologique et social au profit de la tyrannie de la croissance.
Permettons à chacun de ralentir, de mieux maîtriser son temps, de réduire les distances, de privilégier des cadres de vie harmonieux sur des territoires diversifiés.
Imaginons des futurs réalisables, des modes de vie différents, où l’usage du vélo et la pratique de la marche seront encouragés, où nous ne vivrons plus sous le règne de la frénésie et de la fébrilité. Nous y gagnerons sur tous les plans : en santé, en sérénité, en qualité de vie, en dépenses publiques.
Au fil d’enquêtes approfondies et des recherches originales, le Forum vies mobiles procède depuis quelques années à un état des lieux. Il étudie dans leurs pesanteurs comme dans leur inventivité les modes de vies mobiles effectivement vécus. Tout en continuant dans cette voie, le Forum s’attachera particulièrement, désormais, à envisager des solutions alternatives dans la perspective d’une véritable transition écologique, en tenant compte des désirs de ralentissement et de proximité exprimées par bien des habitants des pays industrialisés. Ces questions si urgentes, nous ne pouvons les abandonner au seul pouvoir décisionnaire de l’État, aux constats contrastés des experts, encore moins au marché et aux entreprises. Il est grand temps de reprendre l’initiative, de réfléchir ensemble, de façon ouverte, engagée et incarnée, à partir de données scientifiquement établies, à des propositions nouvelles et à des choix issus de délibérations citoyennes.
La transformation de nos mobilités nous concerne tous. Intervenons avec force sur ce sujet dans le débat public.
Les signataires
Philippe Bihouix, Yves Cochet, Philippe Duron, Mathias Emmerich, Caroline Gallez, Christophe Gay, Anne Jarrigeon, Mark Hunyadi, Vincent Kaufmann, Sylvie Landriève, Marie de Lattre-Gasquet, Arnaud Lemarchand, Christian Licoppe, Jean-Pierre Martin, Dominique Meda, Olivier Mongin, Jean-Marc Offner
Aménager le territoire pour réduire les distances et les temps de trajet quotidiens :
Planifier et réaliser un système alternatif à la voiture individuelle et à l’avion à l’échelle nationale :
Impliquer les organisations dans l’apaisement des modes de vie et la lutte contre les émissions de CO2 :
Pour en finir avec les injonctions contradictoires liées à la production, la vente ou l’utilisation de transports polluants :
Lutter contre les inégalités face à la mobilité :
Associer les citoyens aux décisions impactant leurs modes de vie, l’environnement et l’aménagement du territoire :
Rendre plus concrètes les émissions carbones de chacun :
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xExercice d’une activité salariée hors des locaux de l’entreprise, à domicile ou dans un lieu tiers pendant les horaires de travail habituels et nécessitant d’avoir accès à des outils de télécommunication.
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