Alors que l’on n’a jamais autant voulu faire bouger nos enfants et que les emplois du temps des parents sont surchargés, la mobilité autonome enfantine dans l’espace public reste un impensé en France. Ne cantonnant pas les enfants à des aires de jeux clôturées, cet atelier défriche les spécificités de leur déplacement en autonomie pour proposer des politiques publiques pertinentes.
Chaque année, le Forum Vies Mobiles pilote des ateliers étudiants avec un réseau d’écoles et d’universités. Originaux et engagés, ces ateliers explorent des thématiques importantes mais peu traitées dans la perspective du tournant écologique et social des mobilités.
Des étudiantes du Master 2 Aménagement et Urbanisme de l’université Paris 1 se sont intéressées à la question de la mobilité autonome des enfants dans l’espace public, un mode de déplacement quasiment impensé par les décideurs et praticiens de l’aménagement. Quels sont les besoins spécifiques à cette mobilité ? Comment les enfants se représentent cette forme de déplacement ? A quelles formes aspirent-t-ils ? Comment favoriser cette autonomie ? Les étudiantes ont répondu à ces questions en rédigeant une revue de littérature approfondie et en interrogeant directement les enfants au sein de trois écoles situées dans des contextes socio-urbains variés.
Dans un premier temps, l’atelier a élaboré une revue de littérature pointant, notamment, l’absence de recherches scientifiques concernant la mobilité autonome des enfants en France dans les zones peu denses.
En résumé, depuis la fin du XIXe siècle, la place de l’enfant oscille entre autonomie et dépendance. Si l’enfant est aujourd’hui considéré comme un « sujet à part entière » (Dolto, 1985), l’adulte s’impose comme garant de sa protection et le contraint dans ses déplacements. Avec le développement de l’automobile les espaces publics deviennent des sources de peurs parentales (Rivière, 2021) et apparaissent alors comme des environnements hostiles pour les enfants ce qui justifie alors de les en exclure (De Jesus et al., 2010 ; Kawachi et al., 1999 ; Mullan, 2003). Ces évolutions associées à une crainte de l’inconnu dans l’espace public (Ambroise-Rendu, 2003) se traduisent par une tendance à la sédentarisation des enfants et une dépendance croissante des enfants envers les adultes notamment dans leur mobilité (Depeau, 2013). Pourtant, les déplacements autonomes sont structurants dans le développement physique et cognitif des enfants (Kaufman et Flam, 2002 ; Espinassous, 2019).
L’enquête de terrain de cette étude a été réalisée au sein de trois établissements partenaires :
Des enseignants, des parents et des représentants de collectivité locale ont été interrogés sous la forme d’entretiens semi-directifs et de questionnaires mais le cœur de l’enquête de terrain a porté sur le recueil d’informations auprès des enfants directement.
Un questionnaire a été adressé à l’ensemble des élèves des écoles citées ci-dessus et 162 élèves y ont répondu. De plus, dans chaque établissement, en collaboration avec des enseignants, une enquête a été menée auprès de « classe ambassadrice » pendant 3 à 4 demi-journées : auprès d’une classe de CM2 à Saint-Denis, d’une classe de CE1 à Limoges et d’une classe de CE2/CM1 aux Cars. Quatre types d’activités ont été développés :
Source : Autrices, février 2024
Source : Élève de CM2 Saint-Denis, février 2024
Sources : Allociné ; Sydney Morning Herald.
Source : Groupe vélo/trottinette Saint-Denis, février 2024
Le nombre de trajets accompagnés par les parents varient de manière très importante selon les terrains d’étude : 13% des écoliers des Cosmonautes ayant répondu aux questionnaires réalisés lors de l’étude vont à l’école accompagnés de leurs parents, contre 65% à Limoges et 59% aux Cars.
Ces différences peuvent être reliées aux caractéristiques socio-spatiales des territoires. Les grands ensembles du quartier des Cosmonautes sont encadrés et non traversés par des axes routiers ce qui donne la sensation d’être dans une « bulle » sécuritaire, que seuls les habitants fréquentent. Cela facilite des logiques de co-surveillance que l’on ne retrouve pas aux Cars ou en périphérie de Limoges. Par ailleurs, l’école des Cosmonautes est à proximité des logements de tous les enfants, ce qui rend possible des déplacements en modes actifs vers l’école (82% aux Cosmonautes contre 43% à Limoges et 16% aux Cars).
À l’inverse, les écoliers des Cars proviennent de plusieurs villages et ceux de l’école Jules Ferry peuvent venir de plusieurs quartiers puisqu’il y a des classes à option dans cette école et qu’il n’y a pas de carte scolaire à Limoges. A cela s’ajoute, le fait qu’aux Cosmonautes, il y a une surreprésentation de familles monoparentales (30,2% des familles en 2020 selon l’INSEE). Or, la monoparentalité complexifie l’accompagnement des enfants dans leurs mobilités par un parent (Leray et Séchet, 2016). Enfin, la surreprésentation de familles nombreuses aux Cosmonautes, combinée aux facteurs précédents, conduit à un plus grand accompagnement par des grands frères ou grandes sœurs (30% aux Cosmonautes contre 10% à Limoges et 18% aux Cars).
La diffusion de cette autonomie dans le quartier des Cosmonautes entraîne un cercle vertueux car l’apprentissage de l’autonomie se fait, notamment, en imitant ses aînés. On veut faire comme « les grands » et s’émanciper de ses parents. A l’inverse, le fait d’être davantage conduit en voiture à l’école à Limoges (52% des élèves contre 14% à Saint-Denis) semble amener les enfants à davantage valoriser la voiture et donc à renforcer la dépendance des enfants à leurs parents.
Néanmoins, la configuration socio-spatiale des Cosmonautes n’est pas idyllique pour la mobilité des enfants. Malgré leur plus grand âge, les élèves de la classe ambassadrice des Cosmonautes semblent être moins familiers à l’environnement extérieur à leur quartier que peuvent l’être par exemple les élèves de la classe ambassadrice des Cars. D’ailleurs aux Cosmonautes, les déplacements vers le collège qui supposent de sortir du quartier en empruntant des trottoirs peu adaptés, sont davantage craints par les familles que les déplacements vers l’école primaire alors même que les enfants sont plus âgés.
Les principales craintes exprimées par les parents comme par les enfants relèvent d’un contact avec autrui. Ainsi, la peur de « l’enlèvement », tout comme celle de l’accident avec une voiture reviennent très régulièrement dans les questionnaires comme lors des discussions. Or ces peurs entravent les mobilités autonomes des enfants. En revanche, le fait de se perdre ou de chuter constitue à l’inverse des peurs secondaires.
Ainsi, pour le Forum Vies Mobiles, le système automobile est doublement responsable. Directement à travers l’insécurité routière et indirectement à travers sa capacité à allonger les distances, anonymiser nos villes et villages et accentuer la peur du kidnapping.
Au travers des productions graphiques des enfants, les étudiantes ont observé que l’imaginaire des enfants était structuré par l’automobile et que celle-ci est perçue comme une source de dangers. Les bandes blanches discontinues, les panneaux de signalisation, les feux tricolores sont omniprésents. Aussi, l’espace réservé aux mobilités des enfants, dans leur chemin idéal prend toujours une place extrêmement réduite, sous la forme d’une petite piste cyclable par exemple. Pour le Forum, les enfants semblent avoir normalisé la place que leur réserve l’adulte dans la ville.
Les étudiants ont relevé une certaine inappétence pour la marche à pied de la part des enfants qui semblent aspirer à des modes de déplacements associant vitesse et prise de risque. Cette aspiration entre en contradiction avec la préférence qu’ont les parents pour la marche perçue comme moins dangereuse. Cette inappétence peut être nuancée par le fait que la marche est une pratique routinière contrairement aux skateboards, rollers, trottinettes et même vélos.
Si l’on constate que l'usage de la voiture est plus prégnant en milieu rural, on s’aperçoit que dans l’imaginaire des enfants notamment des Cars la campagne reste l’endroit idéal pour se promener à pied. En effet, en analysant les dessins des chemins idéaux on observe que les enfants représentent souvent la campagne comme un grand espace de nature où la voiture est minoritaire voire complètement absente. Tandis que dans les espaces urbains le piéton est cantonné à des trottoirs étroits.
Si les bienfaits de la mobilité autonome des enfants tant sur le plan de la santé physique et mentale qu’en termes de transition vers des mobilités plus durables semblent faire consensus, les étudiantes estiment que cet enjeu reste peu pris en compte par les politiques publiques.
Pour prendre en compte cet enjeu, il apparaît nécessaire de considérer que la place de l’enfant n’est pas seulement dans l’aire de jeux, qu’il n’est pas qu’un être statique mais aussi un individu pouvant se déplacer seul dans la ville. Il convient ensuite d’identifier des aspirations et des besoins qui lui sont propres. Ce ne sont pas les mêmes que d’autres usagers identifiés comme vulnérables (PMR, personnes âgées …). Ils peuvent même être contradictoires (présence d’obstacles ludiques sur le chemin de l’école par exemple).
Les politiques publiques relatives à cet enjeu ne relèvent pas toutes de l’aménagement d’un espace public mais aussi d’initiatives sociales, par exemple en favorisant l’interconnaissance (entre enfants et commerçants par exemple), en organisant une surveillance à la sortie des écoles, en soulignant les bienfaits de la mobilité autonome auprès des parents … Ces aménagements et initiatives existent déjà et peuvent être retrouvés dans le cahier de références des étudiantes.
Enfin, pour construire ces politiques publiques les étudiantes plaident pour une vision non-binaire de l’autonomie des enfants. L'enfant en fonction de son âge et de sa maturité construit progressivement son autonomie en restant d’abord auprès de ses parents, en s’éloignant petit à petit, en réalisant des trajets avec d’autres enfants, puis en étant capable de faire des trajets seul. En reconnaissant cet apprentissage progressif de la mobilité, on peut émettre l’hypothèse que les parents seraient rassurés et que les enfants prendraient confiance en leur aptitude à réaliser des déplacements en autonomie.
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De Jesus Maria, Puleo Elaine, Shelton Rachel C., Emmons Karen M. (2010), “Associations between perceived social environment and neighborhood safety: Health implications,” Health & Place, Volume 16, Issue 5, pp. 1007-1013
Dolto Françoise, (1985), Séminaire de psychanalyse d’enfants (avec la collaboration de Jean-François de Sauverzac), Le Seuil, Paris, 240 p. Depeau Sandrine, (2013), « Mobilité des enfants et des jeunes sous conditions d’immobilité ? » e-Migrinter, Article 11, pp. 103-115.
Draghici C. Carmen et Garnier Pascale, (2020), « Pratiques de la recherche avec les jeunes enfants : enjeux politiques et épistémologiques », Recherches en éducation
Espinassous Louis, (2019), Pour une éducation buissonnière, retrouver le rythme naturel de l’enfant, Editions Hesse, Paris, 192 p. Hillman Mayer, John Adams, Whitelegg John, (1990), One False Move... A Study of children’s independant mobility, Policy Studies Institute, Londres, 195 p.
Kawachi Ichiro, Kennedy Bruce P., Wilkinson Richard. (1999), “Crime: social disorganization and relative deprivation,” Social Science & Medicine, Volume 48, Issue 6, pp. 719-731
Kyttä Marketta, (1997), “Children’s independent mobility in urban, small town and rural environments”, in Camstra, R. (ed.) Growing up in a Changing Urban Landscape, Assen, Van Gorcum, pp. 41-52
Kaufmann Jean-Claude, Flamm Michael, (2002), Famille, temps et mobilité. Etat de l’art et tour d’horizon des innovations, Paris, Rapport de recherche CNAF et Ville en mouvement, 71 p.
Leray Frédéric, Séchet Raymonde, (2016), « Les mobilités sous contraintes des mères seules avec enfant(s) : analyse dans le cadre de la Bretagne (France) », dans Philippe Gerber, Samuel Carpentier (dir.), Mobilités et modes de vie: vers une recomposition de l’habiter, Presses universitaires de Rennes, pp.69- 88
Mullan Elaine, (2003) “Do you think that your local area is a good place for young people to grow up? The effects of traffic and car parking on young people's views,” Health & Place, Volume 9, Issue 4, Pages 351-360
Rivière Clément, (2012), « Les enfants : Révélateurs de nos rapports aux espaces publics », Métropolitiques
Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.
En savoir plus xLe déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.
En savoir plus xLes recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.
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