John Urry (sociologue)
La mobilité dans les travaux de John Urry
L’intérêt de longue date de John Urry pour la relation entre espace et société est au cœur de son approche de la mobilité. « Les pratiques sociales, soutient Urry, forment des configurations spatiales, et ces configurations ont une influence considérable sur les pratiques sociales elles-mêmes » (1995, p. 64). Cette sensibilité à la problématique spatiale transparaît dès ses premiers travaux publiés dans les années 1970, dans lesquels il examine comment les transformations spatiales engendrent des conflits et des révolutions, puis dans son analyse des mouvements du capital et de l’emploi dans les années 1980, ainsi que dans ses écrits sur la mobilité des individus au début des années 1990. Depuis le milieu de cette même décennie, son travail sur la mobilité des personnes, des objets, des images, de l’information et de l’argent s’est construit en réponse aux débats autour du positionnement de la sociologie vis-à-vis des transformations historiques qui accompagnent l’évolution des sociétés humaines. Dans Economies of Signs and Space, coécrit avec Scott Lash, il défend la thèse selon laquelle le processus de mondialisation a sapé la capacité analytique de la sociologie en tant que discipline. Ainsi, il faudrait remplacer l’étude de la société, considérée comme un cadre aux institutions sociales par celle des flux et réseaux mondiaux. Urry a ensuite systématiquement exposé et développé cet argument tout au long des années 2000. Ses livres Sociology Beyond Societies (2000)1 et Mobilities (2007) constituent des étapes marquantes du « tournant de la mobilité ». Ces deux ouvrages de synthèse majeurs définissent un cadre analytique pour l’étude des relations sociales fondées sur ce qu’Urry appelle les mobilités physiques, virtuelles et imaginaires. Cette approche, baptisée « nouveau paradigme des mobilités », met notamment l’accent sur les « mondes socio-matériels ». Dans les sociétés contemporaines, souligne Urry, la causalité et l’efficacité des relations sociales sont de moins en moins dépendantes de la proximité, en raison des nouvelles façons d’investir les mondes technologiques qui repoussent les limites de l’action humaine et d’interagir avec eux. Ces assemblages – ou hybrides – de personnes et de machines sont interconnectés dans le temps et l’espace selon des moyens multiples et complexes, et ils n’évoluent pas de manière linéaire. Dans ses derniers travaux, Urry étudie l’incidence du changement climatique et de la pénurie d’énergie sur l’évolution de ces hybrides mobiles et sur les formes futures de vie sociale.
Il est intéressant de noter que ce sociologue qui a consacré tant de temps à l’étude de la portée sociale de la mobilité a mené tous ses travaux au sein d’une seule université, alors que d’autres figures du tournant de la mobilité, tel Bryan Turner, ont eu des carrières particulièrement mobiles.
Devons-nous en déduire que cette situation est révélatrice de la vision d’Urry sur les mobilités ? La réponse est non. Le chercheur a en effet toujours souligné le rôle des voyages dans l’épanouissement de sensibilités cosmopolites (voir Economies of Signs and Space, Sociology Beyond Societies, Mobilities et Mobile Lives). Parallèlement, ses derniers articles incitent cependant à rechercher de nouvelles idées pour une « bonne vie » fondée sur des modes de vie et de déplacement produisant peu de carbone. À moins que de nouvelles technologies restant à inventer nous permettent de conserver nos habitudes actuelles de grands voyageurs, cela impliquerait probablement de revenir à un modèle familial et une vie professionnelle privilégiant la proximité.
L’une des influences intellectuelles majeures de la riche bibliographie de John Urry a été Le Manifeste du parti communiste, que Marx a écrit – selon l’expression d’Urry lui-même – « à l’âge extraordinaire de 30 ans ». Deux autres ouvrages ont beaucoup influencé ses travaux : Liquid Modernity de Zygmunt Bauman et L’Ère de l’information de Manuel Castells.
Bibliographie sélective
Urry, J. (1990) The Tourist Gaze. Sage, Londres (la troisième édition actuelle est co-signée avec Jonas Larsen).
Lash, S. et Urry, J. (1994) Economies of Signs and Space. Sage, Londres.
Urry, J. (2000) Sociology Beyond Societies. Routledge, Londres.
Sheller, M. et Urry, J. (2006) “The new mobilities paradigm”. Environment and Planning A, volume 38, pages 207 – 226
Urry, J. (2007) Mobilities. Polity, Londres.
Elliott, A. et Urry, J. (2010) Mobile Lives. Routledge, Londres.
Urry, J. (2011) Society and Climate Change. Routledge, Londres.
Urry, J. (2013) Societies Beyond Oil. Zed, Londres.
Urry, J.(