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Sonia, de la lenteur au sein de l’hypermobilité


Sonia Lavadinho, 45 ans, parcourt la France, la Suisse et le Canada pour son travail de conseil en urbanisme. Un rythme effréné entre trains, hôtels et divers points de chute. Plusieurs mois par an, elle calme le jeu dans son chalet en altitude.

 

Sonia a monté son entreprise de conseil en aménagement urbain, Bfluid et parcourt la France et la Suisse pour évaluer des espaces publics. Elle voyage également beaucoup à l’international pour des conférences et des projets plus ponctuels. Elle passe en moyenne 30 heures par semaine dans les trains, avions et voitures et ne rentre chez elle que tous les 15 jours, voire parfois seulement une fois par mois. Pour structurer cette vie hyper-mobile, Sonia a organisé des points de chute à Genève, Lausanne ou Lyon. Elle y stocke des affaires et y passe une nuit ou deux entre deux destinations.

Son île, c’est son chalet en montagne au cœur du Valais, une région suisse. Le calme pour pouvoir lire, une baie vitrée pour s’évader. C’est l’opposé de sa vie en mouvement. Elle n’a même pas de voiture. La liberté totale que lui offre cette vie est pour elle source de diversité d’expériences. Elle peut décider de voir des amis sans tenir compte des jours de la semaine. Elle ne travaille ni l’été, ni l’hiver. Elle « injecte de la lenteur dans l’hypermobilité pour calmer le jeu ».

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Qui êtes-vous ?

J’ai encore tendance à dire que je suis chercheuse en géographie et urbanisme alors que maintenant je suis entrepreneuse. Je suis fondatrice de Bfluid, une société de de conseil et d’expertise aux collectivités publiques et aux entreprises sur les choix comportementaux en matière de mobilité et leurs implications sur les transformations du fait urbain. Je passe beaucoup de temps dehors car j’évalue des espaces publics. Je fais en moyenne 60 000 pas par semaine lorsque je fais du terrain. 8 à 10 kilomètres par jour, c’est bien pour la forme, mais pas les semaines de production où l’on doit rester collés devant l’ordinateur. Ma spécialité, c’est la « Ville du Dehors », et j’essaie de le vivre aussi au quotidien : je travaille autant que possible en plein air, que ce soit chez moi ou dans les villes que je visite.

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Credit : Nuno Lavadinho



Où habitez-vous ?

A mon arrivée en Suisse, j’habitais Genève, mais ma famille avait un appartement de vacances aux Mayens de Riddes, et la montagne, qui a été la première chose que j’ai connue de la Suisse, est toujours restée pour moi une passion. Je me suis installée il y a presque une quinzaine d’années en Valais, en Suisse, dans un endroit au-dessus de Sion qui s’appelle Mayens de La Zour. J’habite dans un chalet en montagne à presque 1400 mètres. C’est l’endroit où je suis quand je ne suis pas ailleurs, quand je ne suis pas dans un train ou pas dans un avion. C’est ma base choisie. J’avais envie d’avoir un endroit calme où écrire et lire parce que j’étais chercheuse. C’est vrai qu’à Genève, il y a toute ma famille. Il y a ma mère, mes autres frères et sœurs. Il y a mon cercle d’amis aussi, car j’ai habité à Genève très longtemps avant de changer pour le Valais. Mais, j’ai vraiment choisi d’aller dans le Valais. Les Mayens, c’est un endroit où tu peux faire des randonnées en été, des raquettes ou du ski de fond en hiver, simplement en partant de chez toi à pied, la nature est au pas de la porte. Quand je suis arrivée, nous étions 15 à habiter à l’année. Maintenant, nous sommes peut-être 35.

C’est accessible en voiture ?

Je n’ai pas de voiture. Je voulais être proche du train, c’est important pour moi car c’est mon mode de transport préféré. J’ai un abonnement général depuis des années, et je n’échangerai cette liberté de sauter dans n’importe quel train à l’improviste pour rien au monde. J’aime aussi beaucoup le Car postal , c’est emblématique de la Suisse. Je suis à 25 mn de la gare à Sion en Mobility (NdR : le système de voiture en autopartage) ; en car postal, cela me prend juste 10-15 minutes de plus, alors je le fais souvent, si les horaires le permettent. C’est un moment de convivialité avec les chauffeurs. Je les connais tous. On se parle, on se raconte des trucs. Comme cela, je sais un petit peu les potins du Valais, ils me racontent les nouveaux projets en cours, ce qui bouge à Savièse, c’est mon fil twitter personnel sur ce qui se passe dans la vallée. En tant qu’anthropologue, le Car postal, c’est d’un exotisme permanent, on dirait que tu es tout le temps en voyage, il y a des choses incroyables qui s’y passent, ce sont des tranches de vie, tu suis les ébats amoureux des ados, tu vois toujours la petite mémé qui fait ses courses au marché le vendredi, c’est comme un village sur des roues !

Comment faites-vous vos courses ?

Il y a tout au centre du village, à 900 mètres, à Savièse. Je vais faire les courses avec le car postal ou en passant quand je reviens de la gare, je mets les courses dans mon sac à dos. Si je dois faire des grosses courses, je vais plutôt le faire avec la Mobility. Ça demande un peu plus de planification. Mais parfois, je suis dans le train et je loue la Mobility au dernier moment. Je reste quelqu’un qui planifie peu. J’aime faire les trucs en temps réel, j’aime improviser et passer par d’autres chemins que d’habitude. J’ai deux routes pour rentrer chez moi, et je prends souvent la route de la forêt, car elle est plus jolie.

Comment s’organise votre travail ?

Mes rythmes sont plutôt basés sur 15 jours. Par exemple, je pars de ma montagne. Je vais aller dormir à Genève. Je vais partir à Paris. J’y ai souvent une conférence ou autre chose. Ensuite, je vais allez à Rouen où j’ai un mandat. Je vais faire par exemple trois jours de terrain. Je vais repartir de là pour aller à la Rochelle. Je m’organise par cadran géographique : si je vais dans le nord de la France où j’ai des clients, j’essaie de les voir à la suite les uns des autres.

Ensuite, j’ai des points relais à Lyon (c’est là qu’habite mon ami), Lausanne et Genève. Ce sont des endroits où je peux dormir une nuit et poser des valises. D’un point de vue logistique, voyager énormément peut vite devenir compliqué : tu n’as plus de petites culottes, les prises d’électricité ne sont pas les mêmes, t’as oublié ton chargeur… Dans ces lieux, j’ai des mini-valises d’urgence avec deux ou trois habits. J’ai optimisé toute une organisation avec les années.

Vous prenez beaucoup les transports. Est-ce que vous y travaillez ?

Je passe facilement 20 à 40 heures par semaine dans le train. Il faut bien que je travaille un peu ! (rires) C’est aussi pour cela que j’ai lâché la voiture. Je ne pouvais rien faire accrochée à mon volant. J’avance des mails ou j’écris. Je lis beaucoup aussi dans le train. Si je suis avec mon équipe, on va également y travailler. On va préparer le terrain.

Chaque fois que je peux, je mets du confort dans le voyage. Je voyage en première classe. Un temps, je voyageais en deuxième classe, mais ce n’est pas confortable. Quand tu multiplies ces heures sur toute l’année, c’est trop. J’aime bien le Lyria où on te sert à manger et on te donne de la lecture. Puis, il y a des moments où je lâche automatiquement. Vers Montreux, je lève toujours la tête pour regarder le paysage. Ça, je fais beaucoup.

Vous travaillez dans d’autres lieux ?

Je travaille beaucoup dans les cafés avec mon équipe. Je n’ai pas de bureaux. Ce n’est pas mon truc. Du temps où je travaillais dans des bureaux, je n’y étais jamais. C’était une perte d’espace et de temps. Avoir toujours à boire ou à manger là où je travaille est un concept de base pour moi.

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Copyright ©Matteo Fieni



Comment organisez-vous temps de travail et vacances ?

J’ai une règle. Je ne travaille ni en juillet-août, ni de décembre à février car il fait trop froid sur le terrain. Le reste du temps, je travaille comme une malade. Pas de week-ends, pas de vacances. Mais ce n’est pas non plus 24h/24. Parfois, il fait beau, je vais dans un parc. J’adopte aussi la stratégie de voir les amis en journée. Avant, je les voyais, comme on fait traditionnellement, entre midi et deux. J’y arrive de moins en moins avec cette mobilité. Avec certains amis, on se bloque des journées entières ou un week-end. On part comme si on était en vacances. Je les vois moins souvent, mais beaucoup plus longtemps. J’invite aussi beaucoup au chalet. Je préfère faire cela avec les amitiés. Deux heures au cours d’un déjeuner, t’as jamais vraiment le temps.

Du coup, j’injecte de la lenteur dans cette hyper mobilité pour essayer de calmer le jeu.

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Copyright ©Matteo Fieni



Vous utilisez le téléphone et internet ?

Au début, je ne voulais pas avoir tout ça au chalet. J’ai tenu 4 ou 5 ans. Arrive un projet où j’avais besoin d’être connectée. Je devais descendre à Sion pour transmettre ce que j’avais fait ou avoir Internet. C’était mieux finalement de passer une demi-heure connectée par jour plutôt que de devoir injecter de la mobilité pour trouver un wifi. Le village n’a pas d’espace co-working ou 1 000 cafés. Il y a quelques cafés, mais surtout pour les valaisans, même si ces dernières années cela commence à changer, avec l’arrivée de nouveaux habitants.

Comment en êtes-vous arrivée à ce mode de vie ?

Je me suis toujours définie par mon hyper-mobilité. Avec ma famille, on pendulait déjà entre l’Afrique et le Portugal, à six ans j’étais déjà « Frequent flyer » (NdR : les programmes de fidélité des compagnies aériennes), même si à l’époque on n’avait pas le concept. J’ai beaucoup changé d’écoles et de pays. Quand on est venus en Suisse, c’était déjà finalement un troisième pays, une quatrième langue. Tu as dans ton esprit plein de langues, plein de choses un peu particulières, ça fait que j’étais déjà partitionnée, avec beaucoup de personnalités liées à ces différents vécus, et cela a toujours continué, mon identité s’est enrichie à travers les voyages, d’abord en lien avec la photographie, que j’ai pratiqué de longues années, puis en rentrant dans le monde de la recherche.

Qu’est-ce qui vous plaît dans cette manière de vivre ?

Cette liberté totale dans l’organisation de mon temps par rapport à la semaine de 40 heures : je ne sais plus ce que c’est que la distinction entre la semaine et le week-end, je ne connais plus de contraintes d’horaires. J’aime beaucoup le fait de pouvoir être très opportuniste si un ami me propose de boire un café ou de voir un musée en pleine semaine. Une certaine variété me manquerait si je n’avais pas cela. Je n’ai jamais une semaine pareille que l’autre. Il y a des variations saisonnières. Le chalet est lié à cela, en été c’est une chose, en hiver une autre. Quand il neige à fond, je vais m’arranger pour rester une semaine entière chez moi, dans mon cocon au coin de la cheminée, car sinon il faut déblayer un mètre de neige, mettre les raquettes…

Vous avez ce mode de vie depuis 13 ans. Est-ce que ce n’est pas épuisant ?

Il y a des moments où tu voudrais jeter les valises par la fenêtre. Il y a un épuisement physique et logistique. Mais, il y a une grande concordance avec les gens qui m’entourent. Beaucoup sont indépendants. Mon ami travaille avec beaucoup de liberté dans les horaires. Après, je ne garantis pas que j’aurai envie de cela quand j’aurai 60 ans.

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Propos recueillis en mars 2016

Mobility

For the Mobile Lives Forum, mobility is understood as the process of how individuals travel across distances in order to deploy through time and space the activities that make up their lifestyles. These travel practices are embedded in socio-technical systems, produced by transport and communication industries and techniques, and by normative discourses on these practices, with considerable social, environmental and spatial impacts.

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