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L’aviation a-t-elle une place dans un monde décarboné ?

Par
Kevin Anderson (Chercheur en sciences de l'environnement et climatologie)
20 Mars 2018

L’aviation est aujourd’hui à l’origine d’environ 3 % des émissions mondiales de CO2, soit une part proche de celle du Royaume-Uni. Cette tendance, due principalement aux déplacements fréquents de voyageurs aisés, est vouée à se poursuivre, nous conduisant dans une impasse environnementale. Quelles pourraient être les alternatives ? Explications du professeur Kevin Anderson.






Les avions sont à l’origine d’environ 2 à 3 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone. Cela ne semble pas énorme mais ça correspond tout de même à peu près aux émissions de la Californie, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, ou aux émissions cumulées de Pékin et de Shanghai. Il s’agit donc d’une proportion assez importante, et le plus inquiétant c’est qu’elle augmente très rapidement. D’une façon générale, les émissions dues à l’aviation augmentent plus vite que la croissance économique moyenne et on observe que les populations d’autres parties du monde commencent à prendre l’avion autant que nous. Il ne faut pas oublier que la plupart des gens ne font pas le tour du monde en avion. La majeure partie de la population ne voit les avions qu’au-dessus de leur tête. Ces gens n’ont jamais pris l’avion et ne le prendront probablement jamais de leur vie. Ainsi, le voyage en avion est quelque chose qui reste l’apanage, même dans les pays les plus riches, d’un nombre restreint de personnes. L’augmentation du trafic aérien dans l’UE, par exemple, n’est pas due aux vacances prises par les gens les plus modestes une fois par an, mais aux voyageurs réguliers, des gens généralement plutôt riches qui prennent souvent l’avion. Je le vois chez mes collègues, chez les gens avec qui je suis en contact, mes amis, ma famille, etc., qui prennent à présent l’avion très régulièrement.

Les conséquences du statu quo : une impasse environnementale

L’aviation est donc un très gros problème. Premièrement, elle représente une part importante des émissions. Deuxièmement, cette part augmente rapidement et, troisièmement, il n’existe aucune solution décarbonée pour révolutionner l’aviation, par le carburant, ou les avions électriques par exemple. Il n’existe aucune solution à même de fonctionner correctement dans les 20 ans à venir, voire sur un temps plus long. Durant cette période, si nous continuons comme aujourd’hui, nous allons construire plus d’aéroports, plus de pistes, nous prendrons plus l’avion et nous enfermerons, nous et nos communautés, notre société, dans de très forts taux d’émissions, sans moyen d’en sortir. C’est une situation très compliquée. Si on parle, par exemple, des voitures ou de l’utilisation de l’électricité, il y a des choses à faire, mais ce n’est pas le cas pour l’aviation, du moins pas dans le laps de temps qu’il nous reste pour faire face au changement climatique. Nous en arrivons donc au véritable problème, qui est de restreindre la demande.

Réduire l’utilisation de l’avion : une pilule difficile à avaler

Nous devons restreindre notre usage de l’avion. C’est quelque chose de très impopulaire. La croyance est également ancrée dans les gouvernements – en dépit d’un manque de preuves – que l’aviation est un moteur majeur pour l’économie. Cela a pu être le cas par le passé, et peut l’être encore dans certaines parties du monde, mais il n’est plus vrai aujourd’hui, dans les économies plus avancées, que l’aviation soit un moteur majeur. Elle peut avoir une importance, mais il y a de nombreux autres facteurs, ou de nombreux autres moyens de faire ce qui est fait sans utiliser l’avion. Certaines des entreprises les plus progressistes pensent déjà de cette façon, car il revient très cher d’envoyer des employés d’un bout à l’autre du monde, et c’est très peu productif lorsqu’il s’agit de réunions pour lesquelles on pourrait utiliser des techniques alternatives.

Les alternatives à l’aviation existent

Même lorsqu’il s’agit de vacances par exemple, nombre d’entre nous prennent l’avion pour voyager en Europe alors qu’il serait possible de prendre le train. En ce moment, je suis ici pour un colloque sur le changement climatique et le premier Anglais avec qui j’ai parlé est venu en avion de Bristol à Paris. Il aurait pu venir en train en très peu de temps. Le service ferroviaire en Europe s’améliore et nous devrions faire en sorte qu’il constitue une alternative viable à l’aviation. Il existe différentes manières de voyager sur des distances tout à fait raisonnables en Europe, assez rapidement. Cela prendra toujours un peu plus de temps que l’avion mais ces alternatives peuvent être rendues confortables, nous pouvons mettre en place des trains de nuit, qui ont déjà été réduits dans toute l’Europe, ce qui est un vrai problème. Nous devons faire en sorte qu’il y ait plus de trains de nuit, des trains confortables, où il soit possible de manger, et rendre ce moyen de transport bien plus attrayant pour voyager en Europe. Aujourd’hui, nous pouvons nous rendre dans le Sud de l’Espagne ou dans le Sud de la France, depuis le Royaume-Uni, très rapidement.

L’aviation n’a pas sa place dans un avenir décarbonisé

Il existe des moyens de substituer à l’aviation d’autres formes de transport, mais si nous attendons de l’aviation qu’elle devienne économe en carbone, cela ne se produira pas. L’aviation, telle qu’elle est aujourd’hui, telle qu’elle sera demain et pour les 10 ou 20 prochaines années, n’a pas sa place dans un avenir décarbonisé. Aujourd’hui, le nombre de vols dans les régions riches du monde ne doit plus augmenter. Et dans les régions plus pauvres, le trafic ne doit augmenter que très lentement, pour des activités réellement essentielles, pas pour ce à quoi nous servent les avions aujourd’hui. Le message est donc bien plus violent que dans d’autres domaines. Si nous voulons réellement nous attaquer au changement climatique, si nous voulons éviter ses conséquences dangereuses, nous devons exercer un contrôle strict sur le niveau d’émissions de l’aviation, et cela signifie que nous devons réduire la croissance de l’aviation, ou plutôt réduire notre fréquence d’utilisation des avions dans les pays les plus riches, faire en sorte que la croissance du trafic aérien y soit très faible. Ce n’est pas un message agréable. Personne n’a envie d’entendre cela : ni les gouvernements, ni le public, ni les entreprises, ni les universitaires qui passent leur temps à voyager dans le monde entier pour des colloques. Nous devons trouver des alternatives à nos façons de faire, parce que l’aviation ne sera pas décarbonisée avant 10, 20, probablement 30 ans. Donc si nous voulons nous attaquer réellement au changement climatique, dans le cas de l’aviation, le statu quo n’est pas une option. Nous devons nous en éloigner.

Le mythe de l’aviation verte

L’industrie elle-même, ainsi que de nombreux hommes et femmes politiques, et d’autres encore, parleront d’aviation verte, d’est-à-dire d’amélioration de l’efficience énergétique. En tant qu’ingénieur, j’ai déjà travaillé sur des moteurs à réaction, surtout pour du forage et des centrales électriques, pas tellement pour des avions, mais ce sont les mêmes moteurs… de très bons ingénieurs travaillent sur ces moteurs depuis des années. Ils sont très, très efficients. Il est très difficile de rendre les moteurs à réaction plus efficients aujourd’hui. Nous pouvons apporter une amélioration de 0,5 % par an, parfois nous arriverons peut-être à 1 %, mais ce sera de plus en plus difficile chaque année. Nous pouvons rendre le corps de l’avion légèrement plus efficient. Nous pouvons faire des sièges un peu plus légers. Nous pouvons mettre en place davantage de barrières de prix pour dissuader les gens de prendre plus de bagages, mais même avec tout cela, on ne peut améliorer l’efficience des avions que de 1 %, au mieux de 2 % chaque année, c’est ce que nous avons observé par le passé. Si la croissance du trafic est de 5 % chaque année et que les améliorations n’atteignent que 2 %, au final les émissions augmentent de 3 % chaque année, c’est ce que nous observons. Donc bien que les avions soient bien plus efficients aujourd’hui qu’il y a cinq ans, et plus encore qu’il y a 30 ans, les émissions continuent d’augmenter, parce que l'efficience ne permet pas de rattraper la croissance de la demande. L’aviation verte n’existe pas. On ne peut pas rendre les avions assez efficients pour compenser l’augmentation du trafic. Au final, la seule possibilité est d’opter pour un déclin planifié, de réduire notre usage de l’avion et de trouver des moyens alternatifs. Comme je l’ai dit, ce n’est pas un message très populaire aujourd’hui, mais c’est le seul message cohérent avec nos engagements sur le changement climatique.

Une seule alternative technique : le biocarburant ?

La seule alternative technique envisagée pour réduire significativement les émissions est l’usage du biocarburant, soit le recours à une culture agricole pour fabriquer du carburant à utiliser dans les avions. Il y a eu beaucoup de travaux là-dessus et les progrès sont très lents. Déjà en Europe, environ 5 à 7 % du carburant que nous achetons lorsque nous mettons du diesel ou de l’essence dans les voitures est constitué de biocarburant. Il y a des discussions pour savoir si cela pourrait être utilisé pour l’aviation. Naturellement, l’aéronautique est une industrie pour laquelle la sécurité est primordiale, donc l’introduction d’un nouveau carburant est toujours très lente, car il faut s’assurer que tout fonctionne correctement. Si votre voiture tombe en panne parce que le carburant se solidifie un peu lorsqu’il fait froid, ce n’est pas un problème : vous vous arrêtez sur le côté et appelez un dépanneur. Si vous êtes à 10 km du sol, dans l’atmosphère, et que votre carburant commence à se solidifier dans le moteur, vous avez un vrai problème. C’est tout à fait légitime : la sécurité nécessaire dans l’industrie aéronautique entraîne des temps de tests et d’essais assez longs pour l’utilisation dans le système d’un nouveau carburant. Or nous sommes, en outre, encore loin d’avoir la technologie permettant à ce carburant d’être fiable.

Une solution naïve

L’autre problème est que de nombreux secteurs veulent utiliser du biocarburant. Tous les secteurs avec lesquels je suis en lien aujourd’hui : le secteur du transport maritime pense utiliser du biocarburant, le secteur aéronautique pense utiliser du biocarburant, le secteur automobile pense utiliser du biocarburant. Nous en utilisons déjà au Royaume-Uni : nous importons du bois d’Amérique et nous le brûlons dans de vieilles centrales à charbon. Tout le monde s’attend donc à utiliser du biocarburant. En même temps, nous pensons pouvoir nourrir 7 à 9 milliards de personnes sur une planète dont le climat change. C’est la vision très naïve d’une planète infinie qui permettrait de cultiver autant de nourriture et de biocarburant que nous le voulons. Et il semble que nous n’aurons pas assez de terres pour satisfaire les besoins anticipés par tous. Chaque secteur pense être le plus important et veut récupérer le biocarburant, l’industrie aéronautique, par exemple, prétend mettre la main sur tout biocarburant adapté à l’aviation. À côté, le transport maritime répond : « Nous sommes plus importants pour l’économie, donc c’est nous qui devrions en disposer ». L’industrie automobile et le secteur énergétique tiennent le même discours. Quand vous additionnez tout cela, cela n’a aucun sens. La seule alternative pour l’aviation, le biocarburant, dans une vingtaine d’années, est encore très problématique. C’est bien le problème : nous n’avons pas d’autre alternative disponible et techniquement au point, dans le domaine de l’aviation, que de trouver d’autres moyens pour voyager en utilisant l’informatique, la vidéoconférence ou les trains à grande vitesse.



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Kevin Anderson

Chercheur en sciences de l'environnement et climatologie

Rattaché à l’Université de Manchester, le Professeur Anderson siège en outre à la Commission sur le changement climatique pour le gouvernement du Pays de Galles. Il est à l’occasion conseiller auprès du gouvernement britannique, après l’avoir été auprès du Parlement européen.



Pour citer cette publication :

Kevin Anderson (20 Mars 2018), « L’aviation a-t-elle une place dans un monde décarboné ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 16 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/videos/12392/laviation-t-elle-une-place-dans-un-monde-decarbone


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