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Déplacement

Par Vincent Kaufmann (Sociologue)
10 Décembre 2012

Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.


Le déplacement peut avoir lieu dans et entre différents types d’espaces : l’aire, le réseau et le rhizome. Pour les personnes, il est désormais courant qu’un déplacement se déroule simultanément dans deux types d’espaces : être dans un train (déplacement dans un espace réseau) et connecté à Internet (déplacement dans espace rhizome), téléphoner en conduisant, etc.  

L’accroissement des différentiels de vitesse de déplacement dans le territoire a redistribué l’importance des différentes formes spatiales que sont l’aréole, le réseau et le rhizome dans les modalités de l’insertion sociale (Kaufmann 2011). Chacune de ces trois formes se réfère à une conception de l’espace :

L’espace aréolaire

Il s’agit de l’espace statique qui s’incarne comme un territoire délimité, caractérisé par un dedans et un dehors et des limites identifiables. Chacun occupe une place dans cet espace. Le déplacement consiste à passer d’un espace à un autre. Une bonne partie de l’appareil conceptuel et méthodologique des sciences sociales est fondé sur ce modèle. La plupart des sources statistiques disponibles se réfèrent implicitement à des espaces aréolaires, leurs critères de différenciation sociaux (catégories socioprofessionnelles, composition du ménage) et spatiaux (pays, régions administratives) renvoyant à des espaces définis a priori comme pertinents pour saisir les phénomènes sociaux, dont les déplacements, supposés homogènes et délimités par des frontières.

L’espace réticulaire

Il s’agit de l’espace conçu comme un agencement fonctionnel de lignes et de points, discontinu et ouvert, qui a des limites identifiables, mais de nature topologique. Dans cette conception, chacun dispose d’une accessibilité au réseau que constitue l’espace. L’accès est un enjeu central et le support matériel de transmission est au cœur de l’analyse (Rifkin, 2000). Sur le plan conceptuel, la notion de réseau a fait l’objet de nombreux développements, dans le domaine de l’analyse des relations sociales (les réseaux sociaux, le capital social), des réseaux techniques et territoriaux (les agglomérations, la dépendance automobile) et de leurs effets (la fragmentation). La littérature sur les Global Cities fait beaucoup appel à la notion de réseau lorsqu’elle cherche à mettre en relief les liens de dépendance entre des métropoles à partir des lignes aériennes ou des flux téléphoniques (Taylor, 2004).

L’espace comme rhizome

Il s’agit de l’espace conçu comme l’avènement d’un monde dans lequel la distance ne compte plus. Dans cette dernière optique, le peuplement du temps supplante le peuplement de l’espace. L’espace est alors lisse, indéfini et ouvert, il est un potentiel d’opportunités en perpétuelle réorganisation, un rhizome. Le monde n’est plus alors qu’une vaste interface. “ L’instantanéité de l’ubiquité aboutit à l’atopie d’une unique interface” (Virilio, 1984, p.19). La conception de l’espace comme rhizome s’inspire des travaux de Gilles Deleuze et Felix Guattari sur la déterritorialisation (1980) et sa conceptualisation a fait suite au développement des technologies de communication à distance qui permettent l’immédiateté. Personne ne nie que des pans entiers de la finance travaillent désormais dans l’immédiateté, que des communautés « virtuelles » se sont développées sur la toile ; pour autant, cette conception souffre d’une sorte d’enthousiasme technologique qui considère que l’innovation technique change radicalement le monde, ici en l’occurrence les espaces digitaux de communication à distance.  

Précisions

Ces trois formes spatiales correspondent largement aux trois « espèces d’espaces » génériques proposés par Jacques Lévy, soit l'aire, le lieu et le réseau (Lévy, 1994). Si l'aire et le réseau renvoient respectivement à ce que nous avons défini comme espaces aréolaire et réticulaire, le cas du lieu est plus délicat.

Le lieu est défini par Jacques Lévy comme "un espace au sein duquel le concept de distance n'est pas pertinent" (Lévy 1994, p. 52), et lorsqu'intervient l'influence de la distance, on passe du lieu à l'aire.

Mais peut-on définir des lieux au sein desquels la distance n'a pas d'influence ? Dans un café, ne choisit-on pas sa table en fonction des distances qui nous séparent d'autrui ? L'aisance implique des distances interpersonnelles au sein des lieux, et lorsque celles-ci ne sont pas respectées, comme dans un bus bondé, le bien être s'en ressent. De même, dans une pièce, lorsque deux personnes parlent à voix basse pour ne pas être entendues d'une tierce personne, il y a influence de la distance. Au sein des lieux géographiques, on le voit, la distance exerce souvent son influence. Ceci nous ramène à la forme du rhizome. Tel que défini par Deleuze et Guattari (1980), il s'agit bien d'un espace au sein duquel la distance n'a pas prise - donc d'un lieu au sens de Jacques Lévy - mais, fondamentalement, il relève des espaces digitaux de communication et de l'immédiateté de franchissement qu'ils procurent. Le lieu pur est en ce sens d'abord un espace virtuel.

Bibliographie  

Deleuze G. & Guattari F. (1980), Milles plateaux : schizophrénie capitaliste , éditions de Minuit, Paris

Kaufmann V. (2011), Re-thinking the City , Routledge and EPFL-Press, London and Lausanne

Lévy J. (1994), L'espace légitime , Presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris

Rifkin J. (2000), The Age of Access , Tarcher and Putnam

Taylor P. (2004), World City Network, A global urban analysis , Routledge, London

Virilio P. (1984), L’espace critique , Christian Bourgeois, Paris

Déplacement

Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.

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Vincent Kaufmann

Sociologue

Sociologue suisse, Vincent Kaufmann est l’un des pionniers de la recherche sur la mobilité et l’inventeur du concept de motilité. Il est directeur du laboratoire de Sociologie Urbaine de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (LaSUR-EPFL) et professeur de sociologie et d’analyse des mobilités. Il est le directeur scientifique du Forum Vies Mobiles.



Pour citer cette publication :

Vincent Kaufmann (10 Décembre 2012), « Déplacement », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 24 Novembre 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/dictionnaire/452/deplacement


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