Gilets Jaunes et crise de la mobilité : à quoi le Vrai et le Grand Débats ont-ils abouti ?

Vrai Débat et Grand Débat dans le contexte du mouvement des Gilets Jaunes

Apparu en octobre 2018, l’existence même du mouvement des Gilets Jaunes est intrinsèquement liée à des problématiques de mobilité. Il se construit en effet en opposition à une série de projets de mesures limitant la capacité à se déplacer des usagers de la voiture :

• l’augmentation de la taxe carbone
• l’augmentation du prix du diesel
• la limitation de la vitesse à 80 km/h sur toutes les routes secondaires.

On assiste avec le mouvement des Gilets jaunes à une véritable crise de la mobilité, dont il ont investi divers symboles : port du gilet de sécurité routière, occupation de ronds-points…

La remise en cause de ces mesures repose essentiellement sur des arguments de justice fiscale et territoriale. Tout d’abord, dans les territoires dépendants de la voiture, les gens n’ont la plupart du temps pas le choix de leur moyen de transport pour aller travailler, se faire soigner, faire les courses, etc. De plus, et dans tous les types de territoires cette fois-ci, la mise en place de ces mesures aurait un impact considérable sur le quotidien de nombre de personnes dont le travail consiste à se déplacer (qui représentent un quart des actifs : livreurs, services à domicile, conducteurs, personnel naviguant…), et dont la nécessité d’emprunter un véhicule motorisé comme la voiture est souvent invisibilisée. La prime à la reconversion pour l’achat d’un véhicule moins polluant n’est pas incitative pour les petits revenus : 5 000 euros maximum pour l’achat d’un nouveau véhicule. Enfin, l’incompréhension du projet de taxation du carburant automobile est liée à l’absence de taxation du kérosène : pourquoi taxer les automobilistes et non les personnes empruntant l’avion ? Ce moyen de transport, même s’il s’est démocratisé avec l’essor du trafic aérien et de l’offre low-cost, reste un privilège réservé aux plus riches – globalement les plus pollueurs.

Suite à l’émergence de ce mouvement social et des revendications portées et parallèlement à l’organisation de cahiers de doléances, débats locaux, et conférences régionales, deux plates-formes en ligne sont mises en place pour recueillir les avis citoyens : l’une issue du mouvement des Gilets jaunes lui-même, et l’autre par le Gouvernement, qui la conçoit comme un outil de sortie de crise.

- Le Vrai débat

Une plate-forme participative en ligne est lancée en novembre par un collectif de Gilets jaunes de la Réunion, et le site internet du « Vrai Débat » prend par la suite une ampleur nationale : du 30 janvier au 3 mars, il collecte toutes les revendications des citoyens, sur les sujets de leur choix. Les participant.e.s ont pu faire des propositions et voter sur celles-ci, mais aussi les documenter et confronter des arguments.

- Le Grand Débat National

« À l'initiative du Président de la République, le Gouvernement engage un Grand Débat National permettant à toutes et tous de débattre de questions essentielles pour les Français. »

L’organisation d’un « Grand Débat » d’ampleur nationale est annoncée par le Gouvernement en décembre 2018, et la plate-forme en ligne permettant de récolter les avis et propositions citoyennes s’ouvre le 21 janvier 2019, pour une période de 2 mois. Il s’agit de recueillir les souhaits des citoyens, autour de 4 thèmes : transition écologique, fiscalité, démocratie et citoyenneté, organisation de l’État et des services publics. Les questions de mobilité ne sont ainsi pas directement en question dans les grandes thématiques, alors qu’il s’agit de la raison même du déclenchement du mouvement des Gilets Jaunes.

C’est donc parce qu’aucune analyse n’a été faite sous l’angle de la mobilité que le Forum Vies Mobiles a chargé deux équipes de recherches de réaliser des analyses exploratoires des propositions ressortant du Vrai débat d’une part et du Grand débat d’autre part sur les questions de mobilité.

1. L’analyse du Vrai Débat par trois chercheurs du laboratoire Triangle de l’ENS Lyon – Antoine Lévêque, Christophe Parnet et Vincent Ventresque

Ce projet a été lancé début mai 2019, et les résultats ont été reçus fin mai 2019.

Il apparaît très clairement que les propositions et argumentaires des participants au Vrai débat, du point de vue de la mobilité, s’adossent à la revendication d’un renforcement massif d’infrastructures et d’équipement de transports.

Plusieurs revendications traversent l’ensemble des thématiques autour de la mobilité :

• une demande massive de service public, avec le constat d’une dégradation des conditions de mobilité lié à un recul de la prise en charge par les pouvoirs publics (transports en commun, autoroutes et petites lignes de train) ;
• un ensemble de revendications en matière de justice fiscale : rejet des taxes sur les carburants, et volonté d’une meilleure répartition ;
• des préoccupations environnementales : gratuité des transports en commun, ferroutage, etc. ;
• une perception de la valorisation sélective des mobilités : que ce soit le traitement des mesures fiscales, de la perte des services publics et de la géométrie variable de la localisation des infrastructures de transport, c’est très largement la perception d’une mobilité inégalitaire, encouragée de manière différente selon les catégories sociales en mouvement ou les marchandises transportées.

2. L’analyse des contributions citoyennes au Grand Débat par trois chercheurs du bureau de sciences sociales Mobil’homme – Marc Antoine Messer, David Moreau et Stephan Utz

Ce projet a été lancé en octobre 2019, et les résultats ont été reçus en décembre 2019.

De nombreux éléments ressortent, regroupés par les chercheurs sous 4 enseignements principaux qui touchent à la fois au diagnostic de l’état de la mobilité en France, à l’organisation de l’État et du territoire comme génératrice de besoins en mobilité (dépendance automobile notamment), à la tension entre liberté individuelle et responsabilité collective dans un cadre de changement climatique et à des propositions d’interventions :

• dégradation de l’offre de transport et dépendance totale à la voiture ;
• l’organisation de l’État et du territoire induisent une forte dépendance à la mobilité ;
• une tension forte existe entre aspirations individuelles et choix collectifs face aux modes de transport dans un contexte de changement climatique ;
• agir sur le territoire et sur l’offre en transports pour changer la donne.

Finalement, malgré un profil sociologique très différent (peu de jeunes, d’actifs, de peu diplômés au Grand débat), on constate des problématiques très similaires à celles ressorties du Vrai débat : le constat de baisse ou d’une faiblesse des services de transport (ferroviaire, transports public,…), le constat d’un délitement des services de proximité qui créé des besoins de mobilité nouveaux, etc. Et des propositions qui se rejoignent : le ferroutage, le vélo comme alternative à la voiture, la gratuité des transports en commun, la limitation de la désertification des territoires ruraux, etc.

Télécharger les analyses complètes

Analyse du Grand Débat National, volet Mobilité

Analyse du Vrai Débat, volet Mobilité

Transition

Les recherches sur la transition s'intéressent aux processus de modification radicale et structurelle, engagés sur le long terme, qui aboutissent à une plus grande durabilité de la production et de la consommation. Ces recherches impliquent différentes approches conceptuelles et de nombreux participants issus d'une grande variété de disciplines.

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Mobilité

Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.

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