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Écoquartiers : la ville de demain ?

Entre Marleen Kaptein (Architecte)
Et Bruno Bessis (Ingénieur-e)

26 Novembre 2014

Échanges entre une urbaniste néerlandaise, fondatrice d’un projet de grand renom aux Pays-Bas, et un spécialiste français de l’aménagement durable, autour de l’avenir des écoquartiers. Préfigurent-ils la ville de demain ?



01. Les écoquartiers peuvent-ils permettre de réduire les mobilités énergivores et polluantes, à l'échelle des agglomérations ?

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Marleen Kaptein

Le terme d’éco-quartier suggère la mise en œuvre de stratégies de design urbain réalisées le plus souvent à une petite échelle. Le développement de ces éco-quartiers à l’échelle des agglomérations relève donc d’un pari ambitieux et passe nécessairement par une collaboration à plusieurs niveaux impliquant autorités locales, entreprises et associations à but non lucratif.

Pour améliorer la vie dans les banlieues, on peut réduire les longues distances entre le lieu de travail, le domicile, les écoles et les lieux de loisirs, en remodelant les immeubles de bureaux vides et les ensembles résidentiels obsolètes. Le but étant de créer des zones aux fonctions multiples associant studios, appartements, ateliers, bureaux pour travailleurs indépendants, cafés, espaces verts et (toits-terrasses) jardins.

Il faut également développer une infrastructure facilitant les déplacements à vélo ainsi qu’un bon réseau de transports en commun.

Enfin, il faut compter sur la détermination des gouvernements à soutenir les innovations techniques en matière de transport à faible consommation énergétique tels que le développement des voitures et des autobus à hydrogène. Sur le long terme, les voitures électriques ne suffiront pas.

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B. B

Les écoquartiers sont bien un lieu de changement dans certaines pratiques et de mise en œuvre, en parallèle, d’innovations technologiques ou organisationnelles, notamment en termes de mobilité. Les choix de conception des écoquartiers peuvent les favoriser : emplacements vélo en nombre et sécurisés, réflexions sur le stationnement individuel, connexion facilitée aux quartiers voisins et pôles d’emploi, etc.

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Bruno Bessis

Les écoquartiers, s’ils restent encore des territoires d’expérimentation de nouvelles pratiques, commencent à se multiplier sur le territoire français, en métropole comme en outre-mer. Ils constituent un levier pour aller vers une ville plus durable. L’introduction de nouveaux usages et l’incitation à des comportements plus vertueux via les écoquartiers, qui sont des éléments de fond du label Ecoquartier, devront ensuite être le support de politiques publiques à l’échelle de l’agglomération.

Les écoquartiers permettent de tester en grandeur nature des dispositifs nouveaux qui peuvent ensuite être déclinés à plus grande échelle (centrales de mobilité (1), système de parkings mutualisés, espaces de co-working…) et, ainsi, réduire les mobilités énergivores et polluantes.

(1) Par exemple, un parking proposant des services en plus du stationnement classique (parking et point réparation pour les vélo, plateforme de covoiturage, etc.).

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M. K

Je suis d’accord avec la thèse selon laquelle il faut que les projets pilotes soient mis en œuvre à plus grande échelle. Alors que plus de 1 200 groupes, venus du monde entier, ont visité EVA-Lanxmeer, seules quelques municipalités, à l’instar de l’éco-quartier du Basroch à Grande-Synthe, en France, ont reconnu les bénéfices d’une approche intégrée comme la nôtre.

Aux Pays-Bas, le fait que les promoteurs immobiliers aient dominé le marché ces quinze dernières années n’a pas contribué à l’innovation…

02. De ce point de vue, dans quelle mesure les écoquartiers ont-ils intérêt à s'émanciper des grands réseaux centralisés de transport, d'eau ou d'électricité… ?

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Marleen Kaptein

Chaque site offre des possibilités différentes de réduire la dépendance vis-à-vis des réseaux centralisés. À EVA-Lanxmeer, nous avons eu l’autorisation de construire autour d’une zone protégée de captage d’eau potable. Nous avons travaillé en partenariat avec la municipalité de Culemborg. Notre but était d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles, d’améliorer la biodiversité et de développer des “boucles ferméesˮ qui, par exemple, préservent le cycle naturel de l’eau de pluie. Et en plus de l’installation de panneaux solaires et de cellules photovoltaïques pour l’eau chaude et l’électricité, un système de chauffage à basse consommation utilisant la température de l’eau potable pompée a été mis en place en 2002.

Depuis 2009, ce système est géré par une entreprise énergétique locale, créée par les habitants.

L’eau de pluie est récupérée dans des bassins tandis que les eaux usées provenant des domiciles et des bureaux sont épurées sur place au moyen de filtres hélophytes. Le système d’égouts de Culemborg est utilisé uniquement pour les eaux usées des toilettes.

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B. B

Cet exemple illustre parfaitement l’indispensable contextualisation des projets d’écoquartiers, chacun s’appuyant sur les ressources de son territoire et les gérant selon ses spécificités, dans une logique de complémentarité.

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Bruno Bessis

Plutôt que de s’en émanciper, les écoquartiers doivent jouer la carte de la complémentarité entre les réseaux. Utiliser et optimiser les ressources et réseaux locaux existants contribue à inscrire l’écoquartier dans son territoire.

Néanmoins, l’écoquartier doit aussi parallèlement s’en affranchir afin de viser une certaine autonomie énergétique, dégager une certaine capacité de production par le recyclage ou l’utilisation de ressources naturelles. C’est un équilibre subtil à trouver.

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M. K

Chaque région offre en effet des possibilités d’optimisation des ressources locales. Cela dépend aussi de la créativité et de la capacité des gens qui vivent ou travaillent dans ces quartiers. Ici, à EVA-Lanxmeer, des réseaux de citoyens prennent des initiatives intéressantes. Le financement participatif est désormais très répandu lorsqu’il s’agit d’atteindre des objectifs communs.

03. Doivent-ils principalement s'appuyer sur des solutions techniques ou sur une transformation des modes de vie et des relations socio-économiques ?

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Marleen Kaptein

Pour encourager les gens à adapter leurs modes de vie, il est nécessaire de trouver des solutions pratiques aux problèmes environnementaux du quotidien. Il s’agit d’une forme d’“éducation permanenteˮ.

Les enfants qui grandissent dans cet environnement cueillent des fruits pendant qu’ils jouent sur les espaces verts. Ils savent aussi que l’énergie provient du soleil ou que l’on peut attraper des grenouilles et des salamandres dans les mares d’eau de pluie.

Les écoles du quartier utilisent la ferme urbaine d’EVA-Lanxmeer et les enfants découvrent ce que cela demande de produire ses propres aliments. Ils sont d’ailleurs très fiers des citrouilles qu’ils cultivent eux-mêmes ! Ils aiment aussi beaucoup s’amuser près du lit d’une rivière du quartier qui a été réaménagé et où ils viennent nager l’été et patiner l’hiver.

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B. B

La participation citoyenne est l’un des axes forts de la démarche ÉcoQuartier que soutient le gouvernement français, pour que les habitants soient acteurs de leur cadre de vie et au cœur du projet.

En tout état de cause, la pédagogie et l’accompagnement des habitants sont indispensables pour que ceux-ci se familiarisent avec les innovations techniques parfois nécessaires à la mise en œuvre des écoquartiers. Au-delà de ces actions, la sensibilisation des enfants, dès le plus jeune âge, favorise l’appropriation des réalisations et des espaces du quartier. Elle permet de toucher indirectement les adultes.

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Bruno Bessis

Ils doivent s’appuyer autant sur des solutions techniques que sur une transformation des modes de vie. Il est avéré que des innovations technologiques non comprises ou non acceptées par les populations ne produisent pas les effets attendus.

Cependant, la mise en œuvre de l’un ou l’autre de ces aspects est dépendant du contexte local de l’écoquartier. Si un écoquartier rural permet une réflexion plus fine sur les relations socio-économiques, il ne pourra pas compter sur les solutions techniques qui pourraient être mises en œuvre dans le cadre d’un quartier très urbain.

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M. K

Encore une fois, je ne peux qu’être d’accord. On a besoin d’exemples concrets tirés de lieux réels pour motiver les gens et les faire coopérer. Et on a la preuve que ça marche.

Toutefois, cela ne permet pas de savoir comment obtenir les mêmes résultats à l’échelle d’une zone urbaine tout entière. Le gouvernement néerlandais réduit les dépenses publiques et n’a toujours pas trouvé de solution pour faciliter les initiatives extérieures. Mais de nouvelles initiatives continueront toujours de voir le jour !



Marleen Kaptein

Architecte

En 1994, Marleen Kaptein et un groupe d’architectes paysagistes, d’urbanistes, d’experts énergétiques et d’ingénieurs ont créé aux Pays-Bas la Fondation EVA-Lanxmeer, afin de créer un projet pilote pour le développement écologique urbain. La municipalité de Culemborg leur a fourni un terrain et le financement nécessaire, entre 1996 et 2004. La Province de Gelderland, des entreprises ainsi que les futurs habitants ont aussi pris part au projet. Le but, in fine : partager les résultats avec les universités, l’industrie de la construction et d’autres villes.


Bruno Bessis

Ingénieur-e

Bruno Bessis est, avec Franck Faucheux, en charge du développement de la démarche ÉcoQuartier au ministère du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité. Ils ont participé au lancement du label national EcoQuartier en 2012. Ils animent un club national écoquartier regroupant des collectivités engagées dans des démarches d’aménagement durable et un comité scientifique chargé d’apporter ses réflexions sur la ville durable.



Pour citer cette publication :

Marleen Kaptein et Bruno Bessis (26 Novembre 2014), « Écoquartiers : la ville de demain ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 20 Avril 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/regards-croises/2688/ecoquartiers-la-ville-de-demain


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