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28 heures par semaine : l’incidence sur la mobilité et la consommation énergétique de la réduction du temps de travail (RTT) en Allemagne

Recherches terminées
Début: Novembre 2019
Fin: Avril 2023

En 2018, près d’un million d’ouvriers de la métallurgie ont gagné le droit de réduire leur semaine de travail de 35 à 28 heures. Cette recherche vise à analyser les résultats de cet accord de grande ampleur sous l’angle de la désirabilité et de la durabilité, afin de mieux comprendre les conditions selon lesquelles la réduction du temps de travail peut aboutir à des bénéfices sociaux et environnementaux. Quelles sont les motivations et les aspirations des participants ? Quels sont les impacts sur leur mobilité et leur mode de vie ? Est-ce que, comme l'ont prédit nombre d’économistes, cette mesure pourrait être un moyen de réduire la consommation énergétique des ménages ?

Acteurs de la recherche

 

Contact : Christophe Gay


L’objectif principal de ce projet était d’analyser l’attrait et la soutenabilité des réductions du temps de travail (RTT) obtenues par le syndicat allemand IG Metall, en prêtant une attention particulière à la mobilité. Partant du postulat que les retombées éventuelles de l’allègement des semaines de travail allaient dépendre tant de la popularité des programmes de réduction que des impacts de la réduction du temps de travail sur les consommations et la mobilité, ces deux aspects ont été étudiés.

La réduction volontaire des heures de travail accompagnée d’une réduction proportionnelle de la rémunération est un cas d’étude intéressant par la promesse qu’il fait de profiter tant au bien-être des travailleurs qu’à l’environnement, sans nécessairement nuire à l’économie. Ceux qui travaillent moins pourraient ainsi consacrer leur temps libre à des activités qui leur tiennent à cœur, tout en consommant moins, en particulier dans des domaines à forts impacts sur l’environnement comme les déplacements, ce qui réduirait mécaniquement les émissions de gaz à effets de serre et la consommation de ressources. Parallèlement, le coût du travail ne devrait pas augmenter de façon significative. De tels programmes de RTT, s’ils étaient plus répandus et ambitieux, pourraient constituer des mesures de sauvegarde de l’emploi qui ne dépendraient pas de la croissance économique. Cela serait une étape majeure vers une stratégie préventive en faveur de la soutenabilité. Plusieurs aspects complexes restent toutefois à analyser pour comprendre précisément les impacts de ces mesures à tous les niveaux.

Dans le cadre de cette recherche, les chercheurs ont pris pour objet les programmes de RTT de IG Metall, le plus grand syndicat européen, qui a donné en 2018 à un million de travailleurs allemands la possibilité de diminuer leur temps de travail à 28 heures hebdomadaires (« Verkürzte Vollzeit », programme VV), avec une réduction proportionnelle de leur salaire. Par ailleurs, un autre programme permet aux travailleurs postés et à ceux ayant des personnes à charge d’opter pour une prime annuelle équivalente à 6 jours de salaire ou pour 8 jours de congé supplémentaires (« Tarifliche Zusatzgeld – Wahloption », programme TZ).

Les chercheurs en sciences sociales ont déjà montré que les décisions qui concernent le travail, la consommation et la mobilité se prennent à différentes échelles, depuis celle de la famille, jusqu’à celles de la nation et de l’entreprise. Pour identifier les facteurs qui influent sur les décisions relatives à la RTT, ainsi que sur les effets sur les habitudes de déplacement et les émissions qui en découlent, les chercheurs ont réalisé deux revues de littérature : une sur les préférences des travailleurs en matière de temps de travail, et une autre sur la relation entre temps de travail et indicateurs environnementaux. Ils se sont également penchés sur les indicateurs nationaux décrivant les activités économiques, la mobilité et les émissions de gaz à effet de serre en Allemagne. Grâce à un sondage et à des entretiens, ils ont étudié les perceptions des travailleurs. Cette enquête a fourni plusieurs éclairages, présentés ci-dessous.

Graphique FR.jpg

Figure 1 : Axes de travail, problématiques et résultats principaux

Les revues de littérature

- Les préférences en matière de temps de travail 1

L’objectif de la revue de littérature sur les préférences des employés en matière de temps de travail était de fournir une vue d’ensemble des connaissances disponibles sur le sujet et, ainsi, d’évaluer les qualités et les faiblesses des recherches existantes. Cette analyse a confirmé que les caractéristiques des emplois (en termes d’emploi du temps, de type de travail ou d’exigences, etc.), la situation de famille (présence d’un partenaire, d’une personne à charge, l’âge des enfants, etc.), les conditions financières (revenus individuels, revenus par foyer, coût de garde des enfants, etc.) et le contexte sociétal sont autant de facteurs qui influencent les préférences relatives au temps de travail. Elle a également montré que la plupart des personnes ne souhaitent pas que leur journée de travail s’éloigne trop des normes sociales en la matière. Si la littérature sur ces questions est riche, elle est trop quantitative, ce qui freine l’identification de déterminants inattendus ou contextuels. Les chercheurs ont souligné l’intérêt d’une compréhension plus qualitative de la formation des préférences, en particulier pour mieux prendre en compte les situations spécifiques des différents postes et des différents secteurs.

- Réduction du temps de travail et impacts environnementaux 2

La seconde revue de littérature, portant sur le lien entre RTT et impacts environnementaux, a montré que le seul résultat clair dans ce champ de recherche est que les revenus plus élevés se traduisent généralement par des impacts environnementaux plus importants – plus un ménage est aisé, plus son empreinte est forte. Cela s’appelle « l’effet de revenu ». « L’effet de composition », qui renvoie à l’évolution de la consommation des ménages, est lui très incertain, notamment en raison de différences entre les programmes de RTT suivant les terrains d’étude. Les chercheurs ont également constaté que la fiabilité des enquêtes nationales est douteuse ; dans l’ensemble, la littérature est peu importante et problématique en termes de méthodologie. Les chercheurs suggèrent qu’il faudrait avant tout étudier les réductions du temps de travail au sein de différents contextes à l’aide de données antérieures et postérieures à la mise en place des programmes (collecte longitudinale de données). Ils suggèrent également qu’analyser la manière dont la RTT pourrait être instaurée de façon soutenable à travers l’étude d’exemples pertinents serait plus efficace que de chercher à déterminer le lien entre l’ampleur des réductions et celle des impacts environnementaux.

L’enquête quantitative

L’enquête quantitative a porté sur les dynamiques à long-terme relatives au temps de travail, à la consommation des ménages et à l’empreinte carbone. Elle a dessiné le contexte national dans lequel s’insère le programme de RTT d’IG Metall. Pour l’analyse, les chercheurs ont utilisé les méthodes de décomposition de l’identité de Kaya (fig. 2 ci-dessous). La présentation macro du contexte allemand met en lumière une diminution de l’empreinte carbone des ménages, en partie grâce à la réduction de l’empreinte liée aux mobilités entre 2000 et 2019 essentiellement due à des facteurs technologiques. Le nombre total des heures travaillées a augmenté dans le pays, en raison d’une augmentation du nombre des personnes en emploi, alors que le nombre moyen d’heures par travailleur a baissé. La part de l’emploi marginal ayant progressé, la modification du temps de travail ne reflète pas les réductions volontaires du temps de travail (comme par exemple les programmes d’IG Metall lancés à la fin de la période étudiée ici).

Fig 2 graph FR.jpg

Figure 2. Aperçu des principales dynamiques relatives au temps de travail, à la mobilité, à la consommation et à l’empreinte des foyers en Allemagne entre 2000 et 2019.

L’empreinte carbone des mobilités a diminué de 1,4 % par an entre 2000 et 2019, sous l’effet d’un alliage complexe d’évolutions positives et négatives. La distance totale parcourue a augmenté de 13 % en 20 ans. Dans le contexte d’une augmentation des déplacements aériens, ferroviaires/routiers, à pied/à vélo (respectivement + 66 %, + 34 % et + 40 %) et de la domination persistante des mobilités individuelles motorisées (74 % des déplacements en 2019), les évolutions de la part modale n’ont pas eu d’effet significatif sur l’ensemble des émissions. L’augmentation des distances parcourues peut être attribuée aux trajets domicile-travail et aux déplacements professionnels, d’une part (environ 430 milliards de km en 2019) et aux trajets liés aux loisirs et aux vacances d’autre part (environ 510 milliards de km en 2019). La croissance a surtout été prononcée dans le domaine des déplacements professionnels (+ 53 % ou 75 milliards de km) et des voyages de vacances (+ 29 % ou 2,5 milliards de km). La distance moyenne par déplacement a augmenté, mais des améliorations importantes dans l’efficacité énergétique des chaînes d’approvisionnement, ainsi que des progrès dans la décarbonation des mobilités, ont permis une baisse générale des émissions de CO2 liées à la mobilité.

Analyse qualitative

L’enquête qualitative (qui s’est déroulée pendant le confinement) a permis une compréhension fine des motivations qui ont poussé les travailleurs à adhérer aux programmes existants de RTT en Allemagne, de mieux comprendre la signification que chacun donne à ces nouveaux rythmes au quotidien, et d’examiner l’influence de ces décisions sur les déplacements. Les chercheurs ont réalisé 25 entretiens semi-directifs et un sondage en ligne auprès de 80 participants. La première conclusion était l’impopularité de l’option VV (28 heures de travail par semaine), puisque seuls quelques milliers de personnes (moins de 0,5 % de la main d’œuvre éligible) l’ont choisie. L’option TZ (8 jours de congé) était appréciée. Elle a recueilli la participation de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Les chercheurs ont constaté que les décisions sur le temps de travail étaient complexes et dépendaient de nombreux facteurs privés et professionnels, mais que de nombreux travailleurs se sont focalisés sur les pertes financières associées à la réduction du temps de travail dans le programme VV et n’ont ainsi jamais envisagé sérieusement d’y participer. Le programme TZ était plus attractif financièrement : présenté comme un renoncement à un revenu, plutôt que comme une perte sèche, il est apparu plus intéressant. La façon dont les arguments étaient présentés et communiquées, ainsi que les conditions financières de l’option VV, rendaient la RTT indésirable pour la majorité des travailleurs.

Les travailleurs qui choisissaient de raccourcir leur semaine de travail bénéficiaient quasi systématiquement d’une bonne sécurité financière et leurs motivations étaient d’ordre privé plus que professionnel. Si les impacts sur le bien-être étaient généralement positifs, les bienfaits environnementaux attendus (extrapolés des déplacements envisagés après le confinement) variaient largement d’un foyer à l’autre. Chez certains travailleurs, la diminution de la consommation totale devrait clairement réduire les impacts environnementaux, alors que la composition de la consommation devrait peu évoluer. Chez d’autres, l’augmentation de la mobilité sous la forme de voyages de loisirs devrait être à l’origine d’impacts environnementaux importants, susceptibles de surcompenser les réductions d’émissions résultant d’une baisse de la consommation et d’une diminution des déplacements liés au travail.

Conclusion

La réduction des déplacements a été peu mentionnée par les personnes interrogées en tant que raison spécifique de réduire leur temps de travail. Pour autant, la recherche corrobore le constat que la mobilité est un aspect essentiel des effets de la RTT en termes de bien-être et de soutenabilité, alors même que ces effets sont ambivalents. En effet, si l’hypothèse est que le choix d’une formule de RTT qui réduit le nombre de jours travaillés, donc le nombre de déplacements domicile-travail, réduit également l’impact environnemental, et si les activités développées dans le temps libre gagné peuvent sembler inoffensives – voir sa famille ou faire du sport par exemple –, il ressort que d’importants besoins de déplacement sont ainsi générés. Alors que dans le débat public actuel, la RTT est largement considérée comme soutenable sans que soient avancées des preuves solides, ce résultat appelle à d’autres recherches pour identifier la réalité des comportements en matière de mobilité.

Téléchargements

Télécharger le rapport complet (en anglais)

Notes

1  Antal, M., Lehmann, B., Rodrigues, T.G., Halmos, A., Lukács, B., 2022. « Shorter hours wanted? A systematic review of working time preferences and outcomes », article en cours de relecture.

2  Antal, M., Plank, B., Mokos, J., Wiedenhofer, D., 2021. « Is working less really good for the environment? A systematic review of the empirical evidence for resource use, greenhouse gas emissions and the ecological footprint», Environ. Res. Lett. 16, 013002. https://doi.org/10.1088/1748-9326/abceec

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