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Du vélo dans la ville

Entre Dave Horton (Sociologue)
Et David Dansky (Formateur/Formatrice)

26 Novembre 2013

Considéré comme un mode de transport sain et particulièrement durable, le cyclisme est désormais inscrit à l’ordre du jour des agendas des responsables du développement urbain de toutes les villes d'Europe. Mais comment la pratique du vélo peut-elle se développer davantage au sein d'un environnement urbain toujours dominé par la voiture ? Entretien croisé entre deux experts britanniques en la matière, Dave Horton et David Dansky.



01. Pourquoi le cyclisme est-il important en ville ?

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Dave Horton

Les villes devraient être des lieux civilisés, mais la plupart d'entre elles sont saccagées par les voitures et les modes de vie fondés sur l'automobile détruisent la santé et la forme physique de leurs habitants. La bicyclette est une solution simple et élégante, c'est un véhicule doté d'une capacité extraordinaire à faire du bien, notamment à rétablir le sens civique, la santé et le bien-être. Si les villes du monde entier étaient prêtes à remplacer les voitures par des bicyclettes, on ferait sans doute un pas de géant vers un monde plus juste, plus vert et plus heureux ! Rares sont les villes dont les responsables municipaux se souviennent ou prennent conscience du potentiel de la bicyclette. Et même dans celles où l'on encourage le cyclisme, on a souvent tendance à favoriser surtout l’aspect du vélo comme mode de transport pour aller travailler. Or, faire du vélo pour se rendre au travail ne devrait être qu'une petite partie de la contribution de la bicyclette à la renaissance urbaine. Les vélos – de toutes sortes et pour tous les besoins – peuvent et doivent devenir le moyen de transport urbain ordinaire de tout un chacun, quel que soit son âge. La vie et le monde tel qu'on le connaît en seraient bouleversés !

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D. D

Dave a raison. Il est certain que nos espaces urbains seraient transformés si l'on mettait à disposition des vélos de toutes sortes, pour les activités et des itinéraires les plus divers. Il faut aussi tenir compte du rôle des rues, qui ne sont pas uniquement destinées au transit. Les boulevards urbains, par exemple, devraient être agréables pour tous. Séparer les modes de transport dans ce genre d’endroits pourrait nuire à l’esprit des lieux.

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David Dansky

Les bénéfices du cyclisme, à la fois pour les individus et la société, sont évidents. Mais si l’on étendait la question pour y inclure la promotion de tous les déplacements actifs, en encourageant à la fois la marche et le cyclisme, nous aurions alors un aperçu des espaces urbains tels qu'ils devraient être. Tandis que de nombreux pays d'Europe ont planifié leurs villes en y incluant un réseau cohérent et une législation donnant la priorité au cyclisme (responsabilité stricte), le Royaume-Uni a conçu un réseau faisant la part belle à la conduite automobile, ce qui a débouché sur la marginalisation des piétons et des cyclistes. Dans de nombreuses villes britanniques, on considère la possibilité de se garer comme un droit, tandis que les piétons sont rassemblés comme des troupeaux de moutons dans des enclos avant de traverser les rues. Les centres-villes sont étranglés par des rocades rapides et le comportement périlleux des conducteurs est toléré, en dépit des blessés et des morts. Les villes où l'on encourage la marche et la pratique du vélo en les rendant plus faciles et plus agréables (et où la conduite est rendue plus difficile et déplaisante) sont des endroits où les gens ont envie de vivre, de prendre du bon temps, de faire des achats et de se parler. Quand les gens se sentent plus attachés à leur environnement et à leurs semblables, ils sont aussi plus heureux et en meilleure santé !

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D. H

Je sais bien que nous militons tous deux pour le cyclisme, mais je trouve remarquable qu'il existe un tel consensus autour des bénéfices apportés par le vélo alors que partout dans le monde, on persiste à le marginaliser, et parfois de façon agressive. Tout cela laisse entendre qu'il existe un débat politique autour du vélo, mais qui serait masqué tant par nous, les militants (dans le sens où nous tentons de collaborer avec les autorités plutôt que de les affronter), que par les hommes politiques et les décideurs, qui (en dépit de leur rhétorique affirmant le contraire) souhaitent que la voiture garde son hégémonie…

02. En milieu urbain, faut-il développer des espaces réservés aux cyclistes ou apprendre aux gens à partager l'espace ?

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Dave Horton

Il faut encourager le cyclisme de différentes façons, mais toujours de manière concertée. Imaginez un système fondé sur le cyclisme : toutes les composantes se focaliseraient sur la pratique du vélo et celle-ci deviendrait évidente, comme aujourd'hui le système fondé sur l'automobile fait de la conduite une norme. Partout, le système vélo est encore immature et doit être développé aux dépens d'un système automobile (dépassé). Mais c'est un processus continu. Il faut apprendre aux gens (cyclistes et conducteurs) à se débrouiller avec les conditions actuelles du cyclisme, même si celles-ci s’améliorent et humanisent progressivement la pratique du vélo (notamment en rendant la conduite plus lente, plus chère et plus difficile). Toutefois, à l'heure actuelle, une grande majorité de gens ne souhaitent pas faire du vélo dans les conditions qui prévalent dans la plupart des villes, parce qu'ils ont peur… et on les comprend aisément ! Donc, si l'on veut accélérer la transition d’un mode de vie automobile à un mode de vie cycliste, il faut pourvoir en espaces réservés aux cyclistes, continus et de très bonne qualité les artères (encore) embouteillées et pleines de voitures, de camions et de bus. Ce sont des trajets importants pour les cyclistes, mais les gens ont peur de les emprunter.

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D. D

Les gens qui ne font pas de vélo ont l'impression que le cyclisme est plus dangereux qu'il ne l'est en réalité. Cette perception se confirme souvent lorsque les militants pro-vélo utilisent le « danger » comme outil de leurs campagnes. Par exemple, le partage d'un couloir de bus le long d'une artère commerçante peut faire peur. Or, les chauffeurs de bus qui ont l’habitude des vélos garantissent que les couloirs de bus représentent un faible risque pour les cyclistes. Lorsque les routes sont vraiment désagréables pour les cyclistes, la meilleure solution consiste probablement/peut-être à séparer les vélos du trafic au moyen d'infrastructures de haute qualité (tout en leur donnant la priorité aux croisements).

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David Dansky

Je vis à Londres dans le borough (l’équivalent des arrondissements parisiens) de Hackney, où il y a davantage de personnes qui marchent ou font du vélo pour aller travailler que de gens qui prennent leur voiture. On trouve très peu d'espaces réservés aux cyclistes dans cette zone. Pourtant, les autorités du quartier ont créé un réseau viaire où la vitesse est limitée à 30 kilomètres heure (20 mph), restreignant ainsi l'espace réservé à la conduite. C'est agréable de marcher ou de faire du vélo dans ce coin. Et au cœur de ce réseau, des points névralgiques ont été conçus afin de créer des espaces agréables pour les passants, avec des trottoirs plus larges, des arbres et des bancs. L'infrastructure compte beaucoup, de même que l'apprentissage du vélo, que l'on propose aux adultes et aux enfants des écoles depuis plus de dix ans. Il est important d’améliorer les compétences des cyclistes pour leur permettre de rouler sur des routes très fréquentées. Une fois formés, ils roulent plus souvent et sur de plus longues distances. Comme la plupart d'entre eux sont également des conducteurs, la formation leur apprend également à ne pas intimider les cyclistes. Les autorités de Hackney ont par ailleurs entraîné de nombreux conducteurs à partager la route avec les cyclistes, tout en faisant passer le message qu'il faut être attentif les uns aux autres. Quand les gens partagent un même espace et se déplacent à peu près à la même vitesse, tout le monde se sent mieux, y compris les piétons.

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D. H

L'objectif à long terme consiste à créer des villes délestées du trafic motorisé à grande vitesse, et de sa monopolisation dangereuse et détestable de l’espace. Cet objectif est plus facile à atteindre dans certaines parties de la ville que dans d'autres. Donc c'est vrai, certains endroits du centre de Londres s'adaptent au cyclisme, mais ce n’est pas le cas de la plus grande partie de la ville. La vitesse maximale sur les axes urbains devrait être de 30 kilomètres heure. Tant que nous n'aurons pas atteint cette limite, nous aurons besoin d'espaces réservés au vélo sur les grandes routes, où les gens ont peur d’en faire.

03. Préconiseriez-vous les mêmes solutions pour le cyclisme en zones périurbaines ou en banlieue ?

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Dave Horton

Oui. L'offensive cycliste s'est d'abord développée dans les villes les plus prestigieuses du monde (Paris, New York, Londres) qui sont progressivement réaménagées pour le vélo. Mais pour que la pratique du vélo développe son potentiel démocratique, il faut prendre garde au danger suivant : qu'elle devienne plus facile pour les gens riches installés au cœur de villes embourgeoisées et réaménagées pour être agréables à vivre, tandis que les autres –rejetés hors des cités par manque d'argent et forcés de parcourir de plus grandes distances – n'en profitent pas. Si l'on veut éviter que la pratique du vélo devienne élitiste, ces gens-là ont eux-aussi besoin d'infrastructures et de compétences ! En effet, l’apprentissage et les espaces réservés sont nécessaires partout. L'argument en faveur d'espaces spécialement conçus pour le vélo est davantage lié aux routes ayant un effet dissuasif sur les cyclistes qu’au degré d’urbanisation. La longueur des trajets s'accroît dans les zones périurbaines et en banlieue, mais l'exemple néerlandais nous montre que cette évolution n'est pas fatale au cyclisme. Ce qui est fatal, ce sont les routes hostiles. Or, à l'extérieur des villes, il y a assez de place pour qu'elles permettent une pratique confortable du vélo. Pour ce qui est de l'éducation, apprendre à connaître les besoins des cyclistes devrait être obligatoire pour le permis de conduire et tous les enfants devraient apprendre à faire du vélo.

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D. D

Un grand nombre de mesures sont nécessaires pour que le vélo devienne un phénomène de masse, quel que soit l’endroit. Des succès assez faciles et à court terme s’obtiennent entre autres par des mesures douces, telles que la formation, la promotion du cyclisme, la réduction de la vitesse ou l'adaptation des infrastructures. Les conducteurs peuvent être formés (et forcés) à accorder de la place aux cyclistes, qui peuvent à leur tour apprendre à faire valoir correctement l'espace auquel ils ont droit. A moyen terme, il faut envisager de confisquer de l'espace aux conducteurs et de faire de nos rues des endroits formidables pour tous !

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David Dansky

En Europe, c'est souvent dans les zones situées aux abords d'espaces urbains denses que les villes installent les activités et les services dont elles ne veulent pas dans le centre, comme les aéroports, les décharges et les usines de traitement des eaux, ou encore les routes et les autoroutes permettant de relier les espaces urbains entre eux. De grandes superficies sont accaparées pour accueillir ces fonctions. Rejoindre ces zones à vélo depuis la ville prend plus de temps, est souvent plus difficile et peut-être moins agréable qu’en voiture. Dans l'idéal, il faudrait un système de transport public permettant aux gens d’accéder à des lieux clés des périphéries avec leurs vélos. Un réseau cycliste permettrait ainsi aux usagers d’atteindre leur destination à vélo à partir d'un pôle de transports. À partir du moment où l'on admet que les routes interurbaines traversent ces zones, on peut encore mieux argumenter sur l’impératif de concevoir des pistes cyclables séparées en parallèles. Et la nécessité de la formation cycliste se justifie tout autant, étant donné qu'il ne fait aucun doute que les modes de transports différents vont se croiser et interagir à certains endroits. C'est pour cette raison que nous formons à la fois cyclistes et and automobilistes.

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D. H

Oui, l'inter-modalité est importante pour les longs trajets. L'utilisation à grande échelle de la bicyclette (que l'on possède ou qu’on loue) doit être prise en compte (et planifiée), que ce soit dans les gares ou aux arrêts de tramway et de bus. Le cyclisme enrichit la gamme des transports publics. Mais l'on ne doit pas partir du principe que les longs trajets ne peuvent pas se faire à vélo, car ce sont précisément ces itinéraires – même si certains trajets de banlieue restent courts – qui sont les plus propices à l'activité, la santé et la bonne forme physique. Ils peuvent d'ailleurs aussi se faire au moyen de vélos électriques. La formation des cyclistes et des conducteurs et la qualité des espaces (réservés ou pas) pour la pratique du vélo restent fondamentaux



Dave Horton

Sociologue

Écrivain et conseiller dans le domaine du cyclisme, Dave Horton a obtenu en 2002 son doctorat de l'Université de Lancaster, où il s'est consacré à la recherche jusqu'en 2012. Il a organisé le premier symposium Cyclisme et Société au Centre de Recherches sur les Mobilités de Lancaster et anime un blog consacré aux liens entre cyclisme et développement durable : thinkingaboutcycling.wordpress.com


David Dansky

Formateur/Formatrice

David Dansky est responsable de l'apprentissage et du développement à Cycle Training UK, une organisation à but non lucratif travaillant aussi bien avec des écoles, des associations que des particuliers. Cet ancien enseignant, qui dirige également une association militant pour la promotion de la pratique du vélo, The Association of Bikeability Schemes, est très souvent interrogé par les médias britanniques sur les questions relatives à la sécurité à vélo.



Pour citer cette publication :

Dave Horton et David Dansky (26 Novembre 2013), « Du vélo dans la ville », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 27 Avril 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/regards-croises/1963/du-velo-dans-la-ville


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