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Enquête sur les mobilités rurales en période de confinement

Notes de recherches
Début: Juin 2020
Fin: Juin 2020

Le confinement et sa privation stricte de déplacement ont conduit de nombreux Français à vivre et s’organiser différemment, en particulier dans l’espace rural où la mobilité est une ressource cruciale. Cette enquête, qui s’inscrit dans un projet plus large, a visé à saisir l’impact de cette situation inédite. Comment les habitants des territoires ruraux ont-ils vécu la restriction des déplacements ? Le confinement a-t-il, comme cela a été le cas pour les citadins, favorisé l’émergence de nouvelles aspirations en termes de rythmes de vie et de mobilité ?

Acteurs de la recherche

 

Ce document présente une courte synthèse des premiers résultats d’une enquête en ligne menée du 14 avril au 11 mai 2020. Cette enquête intitulée « Évolution des mobilités rurales en période de confinement » est issue d’un projet de recherche porté par l’ENTPE (LAET) et l’Université Grenoble Alpes (PACTE) intitulé « Re-acteurs », financé par l’Ademe, et qui porte plus spécifiquement sur deux territoires ruraux de Drôme et d’Ardèche. L’ensemble s’inscrit dans une réflexion élargie sur les changements des pratiques de mobilité en espace rural.

Le confinement et sa privation stricte de déplacement a contraint de nombreux Français à vivre et à s’organiser différemment. En ce sens, la période qui s’est clôturée le 11 mai 2020 fut particulière et a permis d’évaluer en situation les conséquences de cette privation de mobilité.

De multiples interrogations ont rapidement émergé :

  • comment la réduction forcée des déplacements a-t-elle été vécue ?
  • comment les habitants des territoires ruraux se sont-ils adaptés face à cette situation ?
  • quelles formes d’organisations nouvelles ont émergé ?
  • que peut-il rester d’une telle situation ?

1. Méthodologie

Mode de passation de l’enquête

Cette enquête a été menée sur la plateforme de gestion d’enquête Sphinx Online. Elle a fait l’objet d’une prise de contact par mail, réseaux sociaux et médias locaux en Drôme et en Ardèche. L’objectif premier était de réfléchir collectivement, au sein du projet Re-acteurs, à l’interprétation de la situation de confinement et aux manières dont elle pouvait servir pour imaginer le « monde de demain » à l’échelle du projet. Nous avons donc privilégié une diffusion à l’échelon local, malgré les risques d’obtenir un plus faible nombre de répondants. Ainsi, certains biais, dont une partie est propre aux enquêtes en ligne et une autre au nombre relativement restreint de répondants, ne nous ont pas permis d’obtenir un échantillon représentatif de la population. Le but de cette enquête exploratoire est avant tout de donner matière à réflexion.

Profil des enquêtés

396 personnes vivant à l’année en espace rural ont été retenues pour l’enquête. Les citadins ayant rejoint la campagne pour la période du confinement n’ont pas été pris en compte, l’objectif de l’enquête étant de questionner les changements de mobilité et leur inscription dans la durée en zone rurale. De par l’origine du projet de recherche, qui associe des collectivités locales ainsi que des associations situées en Drôme et en Ardèche, la passation s’est faite prioritairement dans les départements concernés. Toutefois, nous n’avons pas restreint le champ aux seuls terrains de recherche et avons ainsi reçu des réponses originaires d’autres départements, voisins ou plus lointains. .

Les enquêtés étaient confinés dans des communes de 2 946 habitants en moyenne. Les disparités sont assez importantes : 37 % des enquêtés étaient confinés dans de très petites communes de moins de mille habitants (dont 17 % dans des communes de moins de 500 habitants).

Dans la grande majorité des cas, les enquêtés ne se sont pas déplacés pour se confiner : seuls 24 individus, soit 6 % de l’échantillon, se sont déplacés, et parmi eux, seuls 8 ont changé de commune. Tous ont rejoint une commune plus petite. Parmi ceux-ci, on compte 6 personnes qui se sont confinées chez leurs parents et 2 dans leur résidence secondaire.

En ce qui concerne la composition du foyer, la part de personnes seules dans l’échantillon est sensiblement la même qu’à l’échelle nationale, soit un peu plus de 15 % 1. Par contre, le pourcentage de foyers avec enfants est bien plus important (près de la moitié des enquêtés, contre 35 % au niveau national). L’échantillon est composé en majorité de femmes (66 %), un biais commun à d’autres études menées pendant le confinement 2. La tranche la plus représentée est celle des 36-55 ans (53 %), ce qui correspond aux âges actifs.

Logiquement, on constate une forte surreprésentation des actifs (74 %, contre 63 % au niveau national). L’absence des étudiants (3 % contre 10 % au niveau national) s’explique par les territoires visés, et par le fait que les étudiants confinés chez leurs parents mais vivant habituellement en ville ont volontairement été retirés. On constate également une surreprésentation des retraités (14 % contre 7 % au niveau national), qui n’apparaît pas dans d’autres enquêtes menées sur le confinement et qui est liée à l’importance de leur présence dans les espaces ruraux, mais également à leur plus grande disponibilité pour répondre aux enquêtes. Enfin, les chômeurs et les autres inactifs sont sous-représentés (6 %, contre 19 % au niveau national).

L’analyse des catégories socio-professionnelles montre que les cadres et professions intellectuelles et artistiques sont surreprésentés, ce qui est un biais classique des enquêtes en ligne. Sont également surreprésentés les employés, tandis que les agriculteurs, les artisans, commerçants et chefs d’entreprise, les professions intermédiaires et les ouvriers sont sous-représentés. Cette partition reflète en partie l’hétérogénéité des situations de confinement selon la catégorie socio-professionnelle, et l’inégale disponibilité du temps en cette période particulière. Ainsi, ce sont en toute logique les catégories sociales les plus exposées au télétravail qui ont pu répondre à l’enquête.

Principaux résultats

Cette synthèse des résultats s’articule autour de trois entrées : les éléments attendus, les principales surprises et les pistes ouvertes.

Les principaux éléments confortés

Comme dans de nombreuses autres études en ligne, la part des catégories socio-professionnelles connectées est sur-représentée. Et même si le confinement a occasionné une sur-utilisation des outils numériques, le maintien en activité de nombreux travailleurs essentiels a limité la diffusion de l’enquête dans certains milieux. Les lourdes inégalités révélées par le confinement ont donc eu tendance, dans cette enquête comme dans beaucoup d’autres, à être minorées. L’interprétation des résultats doit donc se faire en gardant à l’esprit le fait que le prisme de diversité des opinions et des vécus du confinement n’est pas complet. Parallèlement, la définition même de l’appartenance géographique des répondants est soumise à différentes interprétations. Ce débat, ancien, sur le périmètre de ce qui relève de l’urbain et du rural est prégnant dans les réponses et méritera un approfondissement. Néanmoins, l’immense majorité identifie clairement la campagne comme un milieu favorable à la période de repli. L’accès à la nature, à l’espace, à un jardin est plébiscité, mais contrairement à quelques idées reçues, tous les répondants n’en bénéficient pas. Pour ceux-là, l’interdiction d’accès aux espaces naturels a été particulièrement mal vécue.

Bien qu’elle ne soit pas représentative, notre enquête confirme les inégalités qui ont été mises au jour dans le vécu du confinement. La situation vis-à-vis de l’emploi pendant le confinement est fortement liée à la catégorie socio-professionnelle : si 80 % des cadres de la fonction publique et des professions intellectuelles et artistiques interrogés ont adopté le télétravail, les ouvriers et les employés ont été bien plus exposés au chômage partiel (45 et 48 % respectivement), tandis que les professions libérales et les chefs d’entreprises ont surtout souffert d’une baisse d’activité.

Le confinement a été plutôt bien vécu (l’échelle proposée allait de 1 - très mal, à 10 - très bien). En effet, les modalités les plus citées sont les 7/8/9 avec près de 60 % des répondants. Moins de 20 % des enquêtés répondent une des modalités allant de 1 (très mal) à 5. Cependant, on constate des différences importantes liées à la situation vis-à-vis de l’emploi, qui elle-même impacte les perceptions de l’avenir et en retour influe sur le vécu du confinement. Parmi ceux qui sont en emploi, un tiers ne redoute aucunement l’avenir, mais un autre tiers craint pour son emploi. L’analyse des catégories socioprofessionnelles montre que ce sont les artisans, commerçants et assimilés qui sont les plus inquiets, suivis des ouvriers et des employés, et des professions libérales. En contraste, les fonctionnaires sont les moins inquiets, tandis que les cadres et les professions intermédiaires ont des sentiments mitigés. L’analyse montre une corrélation positive et très significative entre craintes face à l’avenir et situation de chômage partiel, d’activité réduite et de perte d’activité d’une part, et entre confiance face à l’avenir et situation de télétravail ou inchangée d’autre part. Cette perception de l’avenir est fortement corrélée avec le vécu du confinement.

De même, les personnes dans la tranche d’âge 55-65 ans ont mieux vécu la période que les 18-25 ans, et les personnes qui ont passé le confinement en famille l’ont mieux vécu que les personnes seules.

Le confinement a entraîné une réduction massive de la mobilité. Ainsi, le kilométrage moyen hebdomadaire a été divisé par plus de 6. Les déplacements ont été à la fois plus rares et plus courts. Cet effacement n’a pas entraîné de report modal massif, mais on remarque toutefois que de nombreux enquêtés ont fait l’expérience d’une plus grande pratique de la marche à pied, mode généralement associé au déplacement de proximité en ville. L’usage de l’automobile, de son côté, a fortement diminué : alors que 50 % des enquêtés l’utilisaient tous les jours avant le confinement, ils ne sont plus que 4,5 % pendant le confinement. À l’inverse, alors qu’ils n’étaient que 7 % à l’utiliser moins d’une fois par semaine avant le confinement, cette proportion est montée à 29 %. La proportion de personne à déclarer ne jamais l’utiliser a aussi été multipliée par 3 (de 4 à 12 %). Il faut noter qu’à l’inverse de ce qui a pu être décrit en ville, cette diminution de l’automobile n’a pas profité au vélo, dont la pratique a également diminué. En effet, si 26 % des enquêtés l’utilisaient une ou plusieurs fois par semaine avant le confinement, cette proportion a diminué de dix points et la proportion de « Jamais » est passée de 50 à 71 %. Trois raisons peuvent être avancées pour expliquer ce recul du vélo : premièrement, le télétravail a supprimé une grande partie des trajets pour certaines catégories de population, qui sont les mêmes que celles qui sont susceptibles de pratiquer le vélo au quotidien 3. Deuxièmement, à la campagne le vélo est davantage dévolu aux loisirs 4, motif qui ne faisait pas partie des autorisations de déplacement, alors que c’est l’automobile qui est perçue comme le mode de transport utilitaire par excellence 5. Enfin, les revirements et incertitudes du Gouvernement 6 au sujet de la pratique du vélo ont découragé le report modal.

Pour les répondants, la principale difficulté soulignée a été celle du maintien d’une sociabilité normale. En espace rural tout particulièrement, la sociabilité engage des mobilités que le développement massif d’outils numériques n’a pas réussi à compenser. Il est d’ailleurs à noter que peu de répondants souhaitent maintenir la fréquence de ces nouveaux usages numériques. Ainsi, si 38 % des enquêtés faisaient partie d’un groupe de conversation en ligne, ils ne sont que 13 % à souhaiter qu’il perdure après le confinement. À l’inverse, les initiatives de solidarité de voisinage, citées par 48 % des enquêtés dans les innovations apparues pendant le confinement, sont plébicitées sur le long terme. La situation particulière de limitation des déplacements et plus largement les questionnements sur le système économique et sa résilience ont également entraîné une forte demande de consommation en produits locaux : un peu plus de la moitié (56 %) des enquêtés indique acheter davantage de produits locaux, et les initiatives de solidarité avec les producteurs sont les plus citées (par 59 % des enquêtés). Ce report s’inscrit dans une hausse des solidarités et dans l’émergence de nouvelles formes de relations locales dont la grande majorité souhaite qu’elles perdurent. Il faut noter que la livraison a été peu plébiscitée : 65 % des répondants déclarent ne jamais avoir fait appel à elle. Les drives, de leur côté, ont été cités par 39 % des enquêtés mais seuls 23 % souhaitent qu’ils perdurent. Il en ressort un désir de proximité spatiale, mais aussi d’une proximité physique qui a beaucoup manqué et que la proximité virtuelle ou les dispositifs impersonnels comme la livraison ou le drive n’ont pas remplacée.

Malgré tout, quelques surprises

Si le manque de sociabilité, notamment familiale a été mal vécu, peu de répondants déclarent regretter la difficulté d’accès aux commerces, à la ville et au travail. Le nouveau rapport au temps qui s’est installé autour d’un ralentissement des rythmes quotidiens valorise le temps pour soi et pour les activités. L’espace domestique est très investi et cela se traduit par l’engagement de travaux, de projets et souvent d’un jardin potager. La période est largement identifiée comme une réactualisation de certains modes de vie traditionnels de la campagne. Le rythme « auto, boulot, dodo » a été remplacé, pour ceux qui ont télétravaillé, par « visio, égo, domo ».

Enfin, lorsque les pratiques à faire perdurer sont évoquées, la réduction de la consommation, le plaisir de prendre du temps pour soi et de maîtriser le rythme de ses journées, ainsi que l’envie de continuer le télétravail sont les plus cités. Cela se traduit par la volonté claire de réduire les déplacements en lien avec le travail. À l’inverse, cette réduction est rarement souhaitée pour les déplacements permettant de se retrouver ou de pratiquer des loisirs.

Alors que la question de notre projet de recherche tourne autour des mobilités en milieu rural et de leurs changements (baisse et report vers des modes de déplacements plus écologiques), le confinement nous amène à repenser l’habiter rural lui-même. Car si ce sont en général certains projets de vie qui engagent un changement dans les pratiques de mobilité, la période qui vient de se terminer a produit un effet inverse : l’interdiction de bouger a fait émerger des désirs de changement de modes de vie, ou a accéléré des tendances déjà présentes, avec lesquels la ruralité est paradoxalement en adéquation. Les pistes de recherche et de création sont importantes : comment inventer une ruralité, forte de sociabilités mais avec peu de mobilité ?

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Notes

1  Insee, 2012.

2  Bourdeau-Lepage Lise, Le confinement et ses effets sur le quotidien, 2020 ; Bès et al., Enquête Vie en Confinement, 2020.

3   https://theconversation.com/le-velo-peut-il-se-developper-hors-des-grandes-villes-131982

4   https://www.banquedesterritoires.fr/le-velo-est-lactivite-physique-preferee-des-francais

5  Hubert Jean-Paul, Pistre Pierre, Madre Jean-Loup, « L’utilisation de l’automobile par les ménages dans les territoires peu denses : analyse croisée par les enquêtes sur la mobilité et le Recensement de la population », Economie et Statistiques, 2016, p.179-203. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01313813

6   https://www.bfmtv.com/auto/peut-on-faire-du-velo-pendant-le-confinement_AN-202004180034.html

Mobilité

Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.

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Confinement

Les mesures de confinement instaurées en 2020 dans le cadre de la crise du Covid-19, variables selon les pays, prennent la forme d’une restriction majeure de la liberté de se déplacer durant un temps donné. Présenté comme une solution à l’expansion de la pandémie, le confinement touche tant les déplacements locaux qu’interrégionaux et internationaux. En transformant la spatio-temporalité des modes de vie, il a d’une part accéléré toute une série de tendances d’évolutions préexistantes, comme la croissance du télétravail et des téléachats ou la croissance de la marche et de l’utilisation du vélo, et d’autre part provoqué une rupture nette dans les mobilités de longue distance. L’expérience ambivalente du confinement ouvre sur une transformation possible des modes de vie pour le futur.

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Déplacement

Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.

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Télétravail

Exercice d’une activité salariée hors des locaux de l’entreprise, à domicile ou dans un lieu tiers pendant les horaires de travail habituels et nécessitant d’avoir accès à des outils de télécommunication.

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