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Quelles mobilités de loisirs pour les riverains d'un pôle touristique : l’exemple de Disneyland Paris

Recherches terminées
Début: Octobre 2023
Fin: Juin 2024

Le complexe touristique de Disneyland Paris attire chaque année 15 millions de visiteurs, empruntant le réseau de transport densément maillé de Marne-la-Vallée. Dans ce territoire marqué par la présence de polarités touristiques et commerciales vivent 160 000 Franciliens, dont les modes de vie sont fortement influencés par la présence du géant américain. Cet atelier explore les mobilités de loisirs des habitants des communautés d’agglomération de Marne-et-Gondoire ainsi que de Val d'Europe au sein d’un territoire à l’identité touristique forte.

Acteurs de la recherche

 

Contact : Matthieu Bloch


Chaque année, le Forum Vies Mobiles pilote des ateliers étudiants avec un réseau d’écoles et d’universités. Originaux et engagés, ces ateliers explorent des thématiques importantes mais peu traitées dans la perspective du tournant écologique et social des mobilités.

Des étudiants du Master 2 Transport et Mobilité de l’Ecole d’Urbanisme de Paris se sont intéressés à un sujet relativement peu exploré, les mobilités de loisirs. L'atelier vise à évaluer l'influence des centralités touristiques et marchandes de Disneyland Paris sur les mobilités de loisirs des habitants de Marne-et-Gondoire et Val d’Europe. Comment se déplacent-ils pour se rendre à leurs loisirs ? Comment le complexe de Disneyland façonne-t-il leur quotidien ? Les polarités touristiques facilitent-elles ou contraignent-elles les mobilités quotidiennes de loisirs des habitants ?

Ce que le Forum retient :

  • Dans le terrain étudié, les loisirs se réalisent principalement à proximité, dans un rayon inférieur à 20km du domicile.
  • Si le paysage francilien est marqué par la présence de transports en commun et notamment grâce à la desserte vers Disneyland et ses centralités, les habitants de Marne-la-Vallée demeurent largement dépendants de la voiture pour leurs déplacements de loisirs, même de courte distance. Ce constat remet en question la dichotomie habituelle de dépendance à l’automobile en milieu rural par opposition au milieu urbain.
  • Comparé aux centralités touristiques et commerciales de Disneyland, Paris est le principal pôle de loisirs nocturnes. Cependant, l’amplitude horaire des transports collectifs contraint les déplacements nocturnes. En l’absence de multimodalité, notamment de bus pour rejoindre une gare RER, la voiture demeure le mode privilégié pour le dernier kilomètre, voire pour l’ensemble du trajet.
  • La présence de Disneyland implique un réseau d’infrastructure dense (autoroute, réseau ferroviaire) contraignant le développement des modes actifs et créant un sentiment d’insécurité potentiel pour les usagers.

La méthodologie et les terrains d’étude :

À la suite d’une revue de la littérature, le loisir a été défini comme un temps libéré de toutes les autres obligations et contraintes temporelles telles que le travail, les tâches domestiques ou administratives, et pendant lequel l’individu peut utiliser son temps disponible pour des activités. Afin de circonscrire l’atelier, il a été décidé de se concentrer sur les loisirs pratiqués à l’extérieur du domicile, qu’ils soient marchands ou non marchands.

L’enquête a été menée au sein de deux intercommunalités situées dans les secteurs III et IV de la ville nouvelle de Marne-La-Vallée, à l’est de Paris. Dans les années 1970, Disneyland Paris fruit d’un partenariat public-privé, s’implante dans le territoire marnovalien, devenant alors un acteur central de l’urbanisme. Les polarités commerciales et modales liées à sa présence, telles que la gare TGV de Marne-la-Vallée, des stations de RER, ainsi que les centres commerciaux de Val d’Europe et Bay 2, ont fait l'objet d'une enquête de terrain. Des entretiens ont été menés auprès de la population locale. Un questionnaire a été employé afin de recueillir des données quantitatives sur les pratiques des habitants.

Les résultats :

Des loisirs de proximité et un fort usage de la voiture pour des déplacements de courte durée

L’atelier démontre que les loisirs quotidiens, tels que les activités sportives et les promenades, sont les plus fréquents et se déroulent principalement à proximité du domicile, souvent à moins de 15 minutes. Malgré la proximité des espaces de loisirs et la disponibilité des transports en commun et des modes actifs dans certains quartiers, la majorité des déplacements s’effectue en voiture. L’hégémonie automobile s’explique notamment par la quête de rationalisation des déplacements et des distances entre les lieux de loisirs, le domicile et le travail. L’usage de la voiture, signifiant pour les habitants flexibilité et rapidité.

« Je ne prends pas les transports puisque j’ai une voiture » Alice, 30 ans, habitante de Serris

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Figure 1 : Modes de transport utilisé en fonction du type de loisirs

Les loisirs de type restauration, shopping ou évènement sportif sont associés à des distances comprises entre 15 et 30 minutes. Bien que la fréquence y soit moins importante, le temps de déplacement apparaît supérieur aux activités sportives et de promenade. Cela traduit une répartition plus polarisée de certains loisirs, pouvant être interprétée par la concentration des activités autour du complexe de Disneyland Paris.

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Figure 2 : Temps de déplacement selon le type de loisirs pratiqué

Tirer profit de l’identité touristique du territoire

Si à l’échelle du bassin de vie, les transports en commun restent largement sous-utilisés, ils sont très empruntés pour les mobilités de loisirs à destination des centralités commerciales (Val d’Europe, Bay 2). Cela s’explique par une accessibilité accrue liée au caractère touristique de ces zones à la clientèle particulièrement extraterritoriale. Cette facilité d’accès aux pôles commerciaux et touristiques favorise leur fréquentation par la population locale.

« Le bus si je vais faire une activité au Disney Village ou quelque chose comme ça, c’est plutôt direct on va dire » Edouard, 46 ans, habitant de Montévrain.

Les habitants s’accoutument à la présence touristique par la mise en place de stratégies de contournement dont l’évitement les heures de fortes affluences. Cette présence n'est pas considérée comme une gêne, mais plutôt comme un élément avec lequel il faut composer. Au-delà de simples lieux de loisirs marchands, ces espaces sont ainsi souvent détournés au profit d'activités de flânerie et de rencontres. Ces pôles, emblématiques du territoire, témoignent d'un attachement fort de la part des habitants.

« On y a passé toute notre vie, littéralement. Val d’Europe c’est la maison. » (Elsa et Mathilde, 19 et 24 ans, Villeneuve le Comte)

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Figure 3 : Centre commercial de Val d’Europe, EPA Marne

Une mobilité de loisirs à l’épreuve des pôles

Paris apparaît sans conteste comme une polarité culturelle et festive incontournable, pourtant les mobilités de loisirs associées semblent contraignantes et les distances et temps supérieurs aux activités de loisirs. De plus, ces déplacements impliquent souvent des multimodalités tant le réseau de transport en commun est polarisé autour des centralités délaissant alors la desserte d’une partie du territoire. Les lignes de bus assurant la liaison entre le lieu de résidence et les gares présentent fréquemment des plages horaires insuffisantes pour répondre aux besoins des déplacements nocturnes. L'utilisation de véhicules individuels pour se rendre à la gare devient dès lors souvent incontournable.

« Si c'est juste boire un verre l'après-midi, faire une sortie en journée, j'irai en RER. Si je sais que je vais rentrer tard, je vais prendre ma voiture. » Edouard, 46 ans, habitant de Montévrain

La fréquence des loisirs et du temps de déplacement sont révélateurs de l’incidence claire du complexe Disneyland sur les pratiques des habitants au sein du territoire. Bien que l'offre locale semble répondre à certains loisirs de proximité tels que le sport, les balades et la fréquentation de restaurants, la réalité de la pratique dévoile une forte mobilité de la part des habitants pour éviter les zones très touristiques concentrées autour des axes de transport principaux. Au total, 80% des répondants déclarent contourner les lieux où la présence touristique serait trop importante. En dehors de ces polarités, les mobilités semblent fortement contraintes et dépendantes du système automobile. L’accessibilité en transports en commun apparaît ainsi révélatrice de la priorisation des lignes sur le complexe de Disneyland.

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Figure 4 : Île de loisirs de Jablines-Annet dont la ligne de bus est ouverte uniquement l’été

Source : Seine-et-Marne Vivre en Grand !

Les recommandations des étudiants :

À l’issue de leur atelier, les étudiants remettent en question le concept d’effet barbecue associé aux espaces périurbains. Selon eux, les individus ne se déplacent pas moins en raison de la superficie de leur lieu de résidence et de la possession d’un espace extérieur. Le niveau de mobilité est selon eux, largement influencé par l'offre de loisirs disponible dans les environs ainsi que par l’offre de mobilité pour y accéder rapidement. Les recommandations formulées visent dès lors à penser les loisirs et leurs mobilités, autrement que dans des logiques uniquement marchandes et à décentraliser l’offre du complexe de Disneyland Paris.

Plusieurs recommandations ont pu être esquissées :

• Développer la continuité cyclable

Proposer des aménagements cyclables et, plus largement, dédiés aux modes actifs semble une première étape centrale pour faciliter les mobilités liées aux loisirs. Afin de limiter les coupures urbaines endémiques au territoire, une culture cyclable doit être développée par la mise en place de chaucidous, passerelles ou bacs traversiers. Ce développement permettrait de contourner les effets du complexe Disney tout en valorisant des modes décarbonés et tournés vers les loisirs.

• Innover dans les transports en commun

Dans le territoire étudié, l'utilisation limitée des transports en commun résulte à la fois de leur manque d'attrait et de leurs contraintes pratiques. Afin de promouvoir leur utilisation, il est recommandé de faciliter l'accès à ces services, notamment par le biais du MaaS (Mobility as a Service), qui permettrait une gestion unifiée des services de transport en intégrant la billettique multimodale, les informations aux voyageurs et la planification d'itinéraires. Parallèlement, la mise en place de transports en commun en site propre desservant les sites de loisirs locaux, accompagnée d'une augmentation de leur vitesse commerciale, est préconisée. Cette approche permettrait de revaloriser le bus en tant que moyen efficace de déplacement vers les destinations locales de loisirs.

• Déployer des politiques publiques sur l’automobile

Adapter les infrastructures ne suffit pas. Il est nécessaire de porter parallèlement des politiques publiques ambitieuses visant à réduire la prédominance de l'automobile. Cela implique notamment la réduction des espaces dédiés au stationnement près des lieux de loisirs, tout en mettant en place et en promouvant des alternatives de déplacement.

Les étudiants préconisent la tenue d'événements axés sur la mobilité de loisirs, similaires au programme mai à vélo. Ce type d'événement, organisé sur une journée, permettrait aux habitants d’expérimenter des alternatives de déplacements décarbonés pour se rendre à leurs loisirs et ainsi renouveler leurs habitudes de mobilité.

Téléchargements

Télécharger la synthèse de l’atelier

Téléchargez le rapport complet

Bibliographie indicative :

Blanchard, S. (2014). Mobilités et pratiques de loisirs des étudiants débutants. Le cas de l’Université de Créteil, Espaces et sociétés, n° 159(4), 127 146.

Chretien, J. (2017). Rôle de la mobilité dans la maîtrise d’un quotidien complexe [These de doctorat, Paris Est].

Choplin, A., & Delage, M. (2011). Mobilités et espaces de vie des étudiants de l’Est francilien : Des proximités et dépendances à négocier. Cybergeo: European Journal of Geography.

Garnier, J.-P. (2008). Scénographies pour un simulacre : L’espace public réenchanté. Espaces et sociétés, 134(3), 67 81.

Gire, F., Pasquier, D., & Granjon, F. (2007). Culture et sociabilité. Les pratiques de loisirs des Français. Réseaux, 145 146(6 7), 159 215.

Joly, I., & Vincent, S. (2012). Raisons et pratiques de la pendularité intensive : Le temps de trajet, entre temps subi et temps choisi. Cahiers Scientifiques du Transport.

Méda, D. (2003). Manquons-nous de temps ? Revue Interventions économiques. Papers in Political Economy, 31, Article 31.

Monnet, J. (2016). Marche-loisir et marche-déplacement : Une dichotomie persistante, du romantisme au fonctionnalisme. Sciences de la société, 97.

Munafò, S. (2016). La ville compacte remise en cause ? Formes urbaines et mobilités de loisirs. Editions Alphil Presses universitaires suisses.

Nessi, H. (2013). Influences du contexte urbain et du rapport au cadre de vie sur la mobilité de loisir. Les Annales de la Recherche Urbaine, 108(1), 128 132.

Paquot, T. (2015). Loisir et loisirs. Hermès, La Revue, 71(1), 182 188.

Pradel, B. (2022). « Temps, loisirs et mobilités », Forum Vies Mobiles

Mobilité

Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.

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Déplacement

Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.

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