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Quelles alternatives à la voiture individuelle dans le Grand Paris ?

Par
Jean-Pierre Orfeuil (Urbaniste)
13 Décembre 2017

La voiture est un moyen de transport privilégié par les Franciliens. Quelles sont les stratégies alternatives à son usage pour le Grand Paris ? Le point sur la question avec Jean-Pierre Orfeuil, spécialiste des mobilités urbaines.







L’évolution de la mobilité en Île-de-France a longtemps été portée par l’ambition de faciliter les déplacements à l’échelle de la région. On a mis en service beaucoup de voies rapides urbaines et de nombreuses lignes de RER à forte capacité et à bonne fréquence. Le but c’était de constituer, à l’échelle de la région, un bassin d’emplois, de loisirs et de consommation unifiée. Ces programmes ont été des réussites du point de vue de leurs objectifs : ils ont permis aux gens d’aller plus loin sans passer plus de temps dans les transports.

Les années 1990 ont été celles d’un changement de vision. On a mis en avant une autre priorité : celle de lutter contre l’usage de l’automobile au nom de l’environnement. On a alors pratiquement arrêté d’augmenter les capacités des routes et on a mis en valeur l’alternative transport public. Depuis le début les années 2000, on réduit de diverses manières l’espace dévolu à la circulation et on baisse les vitesses praticables. On développe aussi un discours très favorable au vélo. On peut là encore parler de réussite par rapport aux objectifs : l’usage des transports publics croît, peut-être moins que ce qu’on aurait souhaité, mais croît significativement et l’usage du vélo explose, mais à partir d’un niveau assez bas. Quant à la proportion des voitures et du rôle de l’automobile dans la mobilité, elle décroît tout en continuant d’assurer 60 % des distances parcourues par la région.

Mais il y a aussi un prix à payer, ce que l’on aurait tort d’oublier. Les années 2000 sont les premières, historiquement, où la rapidité des déplacements baisse, où le nombre d’emplois auxquels on peut accéder, dans un temps donné, baisse ou la distance moyenne de déplacement baisse. Et malgré cela, le temps que nous passons à nous déplacer augmente.


Une simulation d’alternatives à la voiture individuelle dans le Grand Paris

C’est de ce diagnostic que nous sommes partis, Marie-Hélène Massot et moi-même, pour bâtir nos simulations d’alternative à la voiture. Ce que nous cherchons, si vous me permettez une expression un peu familière, c’est à avoir le beurre et l’argent du beurre, c'est-à-dire moins de voiture sans passer plus de temps dans les transports et en déplacement, et sans changer de destinations ; nous respectons les endroits où vont les individus.


Première alternative : les transports collectifs

La première alternative à la voiture qu’on a testée, c’est le transport collectif, complété à la marge par le vélo. Dans la simulation, qui ne concerne que Paris et la petite couronne, les gens vont toujours aux mêmes endroits, mais ils ont intériorisés la priorité aux transports collectifs. Ils les prennent donc, « sauf si ». Et ce sont ces « sauf si » que je vais détailler maintenant :

  • « Sauf si » on se déplace la nuit, quand les transports ne fonctionnent pas.
  • « Sauf si » les points de départ et d’arrivée sont trop éloignés d’un point d’entrée ou de sortie du réseau.
  • « Sauf si » on transporte des objets lourds et encombrants.
  • « Sauf si » si on accompagne plusieurs enfants ou une personne très âgée.
  • « Sauf si » on ne peut pas faire tous les déplacements entre le départ du domicile et le retour en transport public ou à pied.
  • « Sauf si » le changement de moyen de transport débouche sur des durées excessives sur la journée.


On écarte les solutions qui augmenteraient de plus du quart les temps de transport des personnes sur la journée, ou qui les conduiraient à avoir des temps supérieurs à ceux de leur catégorie (actif, retraité, étudiant, etc.).


Des résultats encourageants…

Lorsque l’on applique ces règles à chaque personne, on arrive à supprimer 16 % des déplacements en voiture et 9 % des kilomètres parcourus en voiture dès lors que l’on limite la croissance de la durée quotidienne de déplacement à 25 % (un quart). Avec une offre ferrée beaucoup plus développée et des bus plus fréquents, on arriverait à réduire la circulation de 13 %. Les raisons pour lesquelles on n’arrive pas à effectuer ces transferts vers les transports publics sont dues pour 13 % à une absence d’alternative – c’est la nuit ou des lieux d’entrée trop lointains–, pour 33 % aux motifs (par exemple courses lourdes) et pour un peu plus de 50 % à des durées quotidiennes de transport qui ne seraient pas acceptables. 9 à 13 % de circulation en moins, cela paraît bien modeste, et on pourrait objecter qu’on a fait ce chemin dans les années 2000 sans recourir à ce modèle. Ce n’est pas exact, parce que la circulation n’a pas diminuée d’autant et surtout parce ce qu’on a fait dans les années 2000 l’a été au prix de changements de destination : on est allée plus près et on a augmenté les durées de transport.


… mais un temps de transport qui reste trop important

Alors pourquoi c’est compliqué ? Il y a deux raisons principales pour lesquelles les reports de la voiture vers les transports collectifs à origine et destination inchangées, j’insiste là-dessus, sont difficiles. La première, c’est que les usagers de la voiture, qui ne sont qu’une minorité dans l’agglomération parisienne, parcourent déjà des distances plus longues que la moyenne. Ils passent déjà 2 heures à se déplacer, contre 1h20 pour l’individu moyen. Vous comprenez bien qu’à partir de 2h, on doit s’attendre à ce que ce soit difficile pour eux de changer, ils ont déjà des temps de déplacement très lourds. La seconde, c’est que les transports publics sont pénalisés par des durées porte-à-porte plus importantes, du fait des temps d’accès aux arrêts et des temps d’attente qui représentent 40 % du temps de déplacement total en transport publics. C’est la raison pour laquelle nous avons exploré le potentiel d’une autre alternative : celle de l’usage de petits véhicules urbains personnels.


Deuxième alternative : l’usage des vélos, cyclomoteurs et scooters électriques

Alors qu’est-ce qu’on appelle des petits véhicules urbains personnels ? Ce sont des véhicules à 1 ou 2 places, peu encombrants, légers, silencieux, électriques. Ce sont des cousins électriques des vélos, cyclomoteurs, scooters que nous connaissons. Ils sont relativement plus utilisés chez nos voisins comme en Allemagne ou aux Pays Bas. Nous les utilisons encore assez peu. C’est une famille mais, entre eux, ils diffèrent notamment par deux choses : la vitesse maximale qu’ils peuvent atteindre et leur prix d’achat. Ils ont leurs avantages : ils sont petits, pas encombrants, pas bruyants… Ils ont bien sûr leurs limites : ils ne transportent jamais toute la famille car ce sont des véhicules d’une ou deux personnes. Pour des raisons de confort, ils ne remplaceront la voiture que pour des distances acceptables, par exemple 20 kilomètres dans la journée pour un vélo électrique et 30 kilomètres pour un scooter électrique. Ils ont leurs limites, ils ont leurs avantages et ce que montrent les simulations, c’est que ces moyens ont techniquement un potentiel très important. On peut remplacer jusqu’aux deux tiers des déplacements en voiture avec des scooters électriques par exemple. C’est énorme.


Des limites non négligeables

Cela dit, ce qui pourra se faire effectivement sera plus limité. Soit pour des raisons de temps de transport : un vélo électrique est moins rapide qu’une voiture dès qu’on sort de Paris. Soit pour des raisons de coût monétaire : un scooter électrique, en plus des véhicules habituels, c’est un coût supplémentaire. Il faut l’amortir, le stationner, l’assurer. Si l’on suppose qu’il remplace une voiture, il coûte moins cher, mais il faut penser aux coûts occasionnels de location d’une voiture, quand l’usage du scooter n’est pas possible, par exemple lorsqu’on se déplace en famille. L’auto-partage a réduit les coûts, mais ils restent significatifs. Et il faudra mieux assurer la protection de ces usagers qui sont, a priori, plus vulnérables qu’un automobiliste.


Des alternatives complémentaires et non concurrentes

Lorsqu’on prend en compte tous ces coûts, tous ces éléments, on peut réduire de 10 % à 20 % les circulations automobiles. C’est plutôt mieux qu’avec les transports publics, et c’est surtout sur des types de déplacements différents, si bien que ces deux stratégies sont plus complémentaires que concurrentes. On pourrait aller plus loin en renchérissant le coût ou la difficulté de stationner les voitures sur la voirie, mais on rencontrerait cette perte de temps qu’on a évoqué tout à l’heure.

Il y aura toujours un noyau dur inaccessible aux changements de modes de transport : ce sont les personnes relativement peu nombreuses mais qui se déplacent en voiture sur des distances longues et sur des trajets où les transports en commun sont peu performants. C’est un petit nombre de gens, mais ils représentent une part importante des voitures en circulation. Là, seuls des changements dans l’occupation de l’espace peuvent améliorer la situation. Et il restera toujours la question des livraisons et du transport de marchandises qui fera que les routes seront toujours occupées…


Etre à l’écoute des besoins des citadins

En conclusion, on peut dire que des reports vers les transports publics, même modestes, sont bons à prendre tant qu’ils n’augmentent pas les durées de déplacement. Que des transferts vers des modes individuels plus vertueux que la voiture sont possibles si on veut bien s’y intéresser en favorisant et en sécurisant l’usage des vélos et scooters électriques. Que ces deux alternatives sont plus complémentaires que concurrentes. Qu’elles pourraient être complétées par un développement plus important des taxis, minibus, voitures avec chauffeurs, comme l’ont montré d’autres chercheurs dans le cas de Lisbonne. Donc, un Grand Paris avec nettement moins de voitures individuelles, c’est possible. Mais il faut le construire en partant des besoins des citadins. Il faut se méfier des discours généralistes anti-voiture qui ne proposent pas d’alternative crédible. En ralentissant la mobilité, ils ne font qu’éloigner l’Île-de-France de la perspective métropolitaine du « Grand Paris ». Le Grand Paris, ce doit être celui de tous les territoires, avec des solutions de mobilités adaptées aux différents contextes. Quand on avance des solutions qui ne sont pas réalistes, les citoyens s’éloignent de leurs élus. Nous n’avons vraiment pas besoin de ça aujourd’hui.

Déplacement

Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.

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Mobilité

Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.

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Jean-Pierre Orfeuil

Urbaniste

Jean-Pierre Orfeuil est ingénieur des Mines, docteur en statistiques et professeur d’aménagement à l’Institut d’urbanisme de Paris. Il a abordé dans ses travaux la mobilité quotidienne sous de nombreux angles, notamment : la relation dynamique entre urbanisation et potentiel de mobilité ; les liens réciproques entre pauvreté, précarité et mobilité ; ou les politiques publiques de transport.



Pour citer cette publication :

Jean-Pierre Orfeuil (13 Décembre 2017), « Quelles alternatives à la voiture individuelle dans le Grand Paris ? », Préparer la transition mobilitaire. Consulté le 28 Mars 2024, URL: https://forumviesmobiles.org/videos/12280/quelles-alternatives-la-voiture-individuelle-dans-le-grand-paris


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