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Comment aménager les territoires pour favoriser des modes de vie en proximité ?

Recherches terminées
Début: Novembre 2021
Fin: Juin 2022

Pour faire face à l’urgence climatique et à la nécessité de limiter fortement les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports, mais aussi pour prendre au sérieux les aspirations des Français dont la majorité souhaite ralentir et vivre plus en proximité spatiale, le Forum Vies Mobiles a souhaité explorer la manière de faire advenir des modes de vie en plus grande proximité spatiale. Pour cela, il a lancé un atelier mené par un groupe d’étudiants en Master 2 d’Aménagement du Territoire et Urbanisme à l’Université Paris 1, encadré par Juliette Maulat.

Acteurs de la recherche

 

Contact : Christophe Gay

La recherche

En s’appuyant sur une revue de littérature, sur une quinzaine d’entretiens avec des chercheurs et experts, des techniciens des collectivités territoriales et des élus ainsi que sur un travail d’observation sur le terrain, les étudiants ont analysé la prise en compte de l’enjeu de proximité spatiale par les acteurs publics de l’aménagement du territoire à l’échelle nationale, puis ont fait un focus sur l’aire urbaine de Nantes. Un territoire archipelisé et très dépendant de la voiture, mais aussi pionnier en termes de politiques de durabilité. Ils ont finalement proposé des mesures visant à favoriser des modes de vie en proximité à l’horizon 2050 sur cinq terrains de la région de Nantes.

Les résultats

1. La proximité spatiale, un concept polysémique et ambigu

Un concept polysémique

Les étudiants ont montré que la proximité spatiale reste un impensé des politiques, en ce qu’elle n’est pas définie suffisamment clairement. En effet, un flou sémantique important entoure la notion. Si le terme de proximité apparaît de plus en plus dans la littérature grise et scientifique et dans la bouche des élus, elle demeure un concept très polysémique qui renvoie à des réalités diverses : « proximité sociale » avec le renforcement des liens sociaux, « proximité temporelle » par la rapidité d’accès aux aménités, « proximité spatiale » avec le rapprochement entre habitants et services, etc. De plus, la définition que l’on donne de la proximité est mouvante selon l’échelle considérée (logement, quartier, bourg, petite ville, métropole, etc.), les pratiques que l’on déploie, le mode de transport utilisé (train, métro, bus, voiture, vélo, marche, etc.), la subjectivité des individus, etc.

Un mot d’ordre politique attrape-tout et ambigu

Cette confusion sémantique contribue certainement à en faire un mot d’ordre politique « fourre-tout », recouvrant de nombreuses politiques qui n’impliquent pas toujours la recherche de la proximité spatiale pour tous, ou la traitent de manière insuffisante.

Sous couvert de proximité, il peut ainsi s’agir de densifier l’habitat et de lutter contre l’artificialisation des sols sans penser systématiquement la mixité fonctionnelle, de revitaliser les centralités en oubliant les territoires peu denses, de mettre l’accent sur l’enrichissement de la vie sociale en proximité sans penser l’apport de services et d’équipements de proximité, ou encore de se focaliser sur une articulation urbanisme-transports collectifs visant la substitution à la voiture particulière pour accéder rapidement aux aménités.

Cette dernière politique, très largement privilégiée par les acteurs publics, vise à articuler le renforcement des transports en commun et la mixité fonctionnelle aux abords des gares, conduisant à favoriser les centralités et à s’appuyer sur la mobilité rapide pour accéder aux services plutôt que sur la proximité spatiale. Dès la mise à l’agenda politique du concept de mobilité durable, dans le sillage du développement durable dans les années 1990, les leviers liés à l’aménagement du territoire visent essentiellement à densifier autour des nœuds de transports en commun et à améliorer la desserte des zones peu desservies. Le terme de proximité apparaît ensuite progressivement dans les textes de loi depuis les années 2010, toujours en lien avec la densification autour des nœuds de transport (loi ENE de 2010 puis loi ALUR de 2014). Cette focalisation sur l’articulation urbanisme-transport se retrouve dans des documents d’urbanisme et de planification comme les contrats d’axes, ou encore dans le contenu de plusieurs SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale), par exemple celui de Toulouse qui se concentre sur une articulation des périphéries au centre par les transports. Si développer un maillage fin de transports en commun peut faire partie de la solution pour décarboner les mobilités, se focaliser sur l’accessibilité aux services par les transports en commun conduit de fait souvent à favoriser les centralités et revient à s’appuyer sur la mobilité rapide, donc sur la proximité temporelle aux services plutôt que sur la proximité spatiale. Il devrait donc s’agir d’une solution intermédiaire qui ne peut se substituer à une politique ambitieuse visant à permettre d’accéder aux services du quotidien en modes actifs prioritairement.

La recherche consciente et explicite de la réduction des distances de déplacement qui passerait par le développement local d’une offre des services privés et publics apparaît ainsi le plus souvent comme un impensé.

Le terrain nantais : une meilleure prise en compte de la proximité spatiale dans les objectifs, mais des freins dans la mise en œuvre

Sur le territoire nantais toutefois, l’objectif de proximité spatiale est identifié par les acteurs publics et intégré dans plusieurs politiques, comme le SCoT de Nantes Saint-Nazaire dont l’un des objectifs est de favoriser la proximité des services du quotidien à dix minutes à pied et cinq minutes à vélo dans les centralités. Le PADD (Projet d’Aménagement et de Développement Durable) construit avec 24 communes de la Métropole dans le cadre du PLUm (Plan Local d’Urbanisme métropolitain) vise à « concevoir des villes où il est possible de se loger, de travailler, d’accéder à la formation et aux loisirs, sans avoir à se déplacer ni trop loin, ni trop longtemps ». Enfin, le PDU (Plan de Déplacements Urbains) de Nantes Métropole affiche l’objectif de réduire la portée des déplacements.

Toutefois, la mise en œuvre de l’objectif de proximité spatiale est limitée par un certain nombre de freins, à commencer par le manque de moyens financiers accru par la diminution des dotations aux collectivités depuis la crise économique de la fin des années 2000 ; entre 2017 et 2020, les communes de 10 000 à 20 000 habitants ont vu leur dotation baisser de plus de 4% en moyenne. Ensuite, les politiques sont souvent limitées dans leur portée, avec des orientations peu prescriptives ; par exemple, les documents cibles comme le PLU sont uniquement soumis à des rapports de compatibilité avec le SCoT sur les questions de restriction de l’étalement urbain ou de densification, mais le document permet une certaine liberté aux intercommunalités. Les politiques souffrent aussi d’un manque d’évaluation, notamment en termes de réduction effective des distances de déplacement pour déployer son mode de vie au quotidien. Les étudiants pointent également un manque d’ingénierie (techniciens formés en urbanisme) et de coordination entre les acteurs à différentes échelles, avec une organisation en silo qui empêche une vision transversale.

Les intérêts politiques divergents des acteurs constituent un autre frein à la mise en œuvre de la proximité. Par exemple, au cœur de la métropole, l’accent est mis sur l’arrêt de l’extension urbaine tandis que les élus des territoires moins denses sont réticents à contraindre leur développement. Autre exemple, dans les intercommunalités rurales, il peut exister des tensions entre les petites communes et la commune centre, les premières souhaitant une répartition des équipements et services publics dans les différentes communes de l’intercommunalité et la seconde plutôt en faveur d’une centralisation des services et des équipements en son sein.

Les étudiants ont également observé une appropriation politique du concept de ville du quart d’heure, appliqué à Nantes dans un territoire dans lequel déjà 95% des habitants vivent à moins de 15 minutes à pied de l’ensemble des services du quotidien (alimentation générale, boulangerie, buraliste, café/restaurant, banque, pharmacie, école, etc.). Cette appropriation politique du concept est assumée par l’élu rencontré par les étudiants pour qui l’objectif de la ville du quart d’heure n’est pas tellement de penser une politique globale de réduction des distances mais davantage de proposer un concept consensuel, désormais partagé avec l’opposition, qui rassemble les diverses opérations d’urbanisme sur l’espace urbain.

À l’échelle de la métropole de Nantes, si les trois quarts des habitants vivent déjà à proximité des principaux services du quotidien, les volumes de déplacement continuent à augmenter et Nantes constitue la deuxième métropole qui compte le plus de déplacements réalisés en voiture pour des petits trajets de moins de deux kilomètres, témoignant de la place centrale qu’y occupe encore la voiture. Ainsi, la proximité des principaux services ne suffit pas à assurer des modes de vie en proximité spatiale ; tant que la mobilité restera valorisée dans nos sociétés et que les politiques continueront à inciter à se déplacer toujours plus (offre de transport et infrastructures, normes liées au travail et aux loisirs, coût d’usage de la voiture et place qui lui est dévolue, etc.), l’évolution des pratiques restera trop lente. Des résultats qui incitent à réfléchir à des modes de contrainte des mobilités carbonées ( par exemple à travers un système de rationnement) pour faire évoluer les pratiques.

Les espaces peu denses, les oubliés des politiques de proximité

Les politiques nationales et locales affichant des objectifs de proximité se concentrent majoritairement sur les villes et les grandes et moyennes centralités au détriment des espaces peu denses. Par exemple, il existe de nombreux modèles favorisant la proximité, comme la ville de la pantoufle, du quart d’heure ou encore les cittaslow ; ces modèles sont principalement urbains, à l’exception du territoire de la demi-heure, déclinaison de la ville du quart d’heure de Carlos Moreno dans les territoires peu denses.

Les acteurs publics cherchent à pallier ce manque à travers plusieurs politiques comme le Plan Petites Villes de Demain, prolongation du programme Action Cœur de Ville à destination des petites villes et intercommunalités de moins de 20 000 habitants. Cependant, ces politiques restent ponctuelles, sans projet systémique à plus large échelle et restent centrées sur les centres villes. Une actrice rencontrée à l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires remarque : « On ne se pose pas la question autrement que sur les centres villes dans ces politiques nationales. » Certains acteurs appellent à « se poser [...] la question [de savoir] si la centralité est un but en soi ou [s’il faut] davantage en aménager plusieurs ».

La question de l’emploi, un problème central et non résolu

Enfin, à l’échelle nationale comme à l’échelle locale, les politiques qui visent à favoriser la proximité passent très souvent à côté de la question de l’emploi et se focalisent sur les services et les équipements essentiels. Pourtant, l’emploi constitue le premier motif de déplacement des Français, qu’il s’agisse des déplacements domicile-travail ou des déplacements dans le cadre de l’emploi et représente 43% des kilomètres parcourus à l’échelle nationale ( selon l’Enquête nationale mobilité et modes de vie). Cela montre la nécessité d’un projet politique ambitieux qui prenne en compte toutes les dimensions des modes de vie (emploi, logement, loisirs, éducation, tourisme, santé, etc.) pour ne plus faire de la mobilité la variable d’ajustement de ces modes de vie.

2. Quelle politique de proximité spatiale ?

Une politique favorable à la proximité spatiale doit rechercher la réduction des distances de déplacement afin que les activités de la vie quotidienne puissent être accessibles en modes actifs, mais le travail des étudiants invite à adopter une vision plus large qui réfléchisse également à la dimension environnementale et à la manière de vivre ensemble dans ces territoires de proximité. En s’appuyant sur une liste de 12 services et équipements essentiels (alimentation générale, boulangerie, buraliste, café/restaurant, banque, Maison France Services, médecin généraliste, pharmacie, bibliothèque/médiathèque, parc et aire de jeux, crèche, école maternelle et primaire) identifiée par l’Agence d’Urbanisme de la Région Nantaise, les étudiants ont formulé des propositions visant notamment à repenser la place et le temps du travail (réduction et fragmentation des heures de travail, nouvelles temporalités, relocalisation des activités par le moyen d’une taxe, etc.), la manière de se loger (consommation des logements, habitat participatif, solidaire ou intergénérationnel, etc.), de consommer (circuits courts, autoproduction, etc.), de se soigner, d’apprendre (apprentissage de l’agriculture par exemple), de se divertir (accès à la culture, circulation des œuvres d’art, etc.), dans un contexte de changement climatique qui nécessite également de penser la place des espaces verts pour rafraîchir les espaces denses.

Les étudiants ont formulé de nombreuses propositions, parmi lesquelles :

  • Imposer la notation des logements en fonction de leur proximité aux équipements et services, pour éclairer les choix résidentiels des habitants et conditionner la délivrance des permis de construire
  • Ne permettre l’installation des entreprises que dans les espaces déjà desservis par les transports collectifs et accessibles en modes actifs (marche et vélo)
  • Diminuer la TVA sur les aliments produits et distribués localement
  • Développer les services itinérants de santé et de commerce ainsi que des collections des musées
  • Réduire progressivement la vitesse en agglomération et hors agglomération d’ici à 2050
  • Aider l’implantation des commerces dans les centres-villes en difficulté et y interdire la transformation des rez-de-chaussée en logements
  • Élaborer un droit aux services publics à travers un bouclier rural et périurbain, opposable en cas de fermeture de service public ;
  • Inscrire dans la loi un « droit à un espace vert » pour garantir l’accès à des îlots de fraîcheur ;
  • Repenser la place et le temps du travail (réduction et fragmentation des heures de travail, nouvelles temporalités), les manières de se loger (consommation des logements, habitat participatif, solidaire ou intergénérationnel, etc.) et d’apprendre (apprentissage de l’agriculture par exemple).

Les étudiants ont également imaginé à quoi pourraient ressembler les modes de vie en proximité en 2050. Pour cela, ils ont travaillé sur cinq personas dont ils ont imaginé une journée type, ce qui leur a permis de faire apparaître les enjeux de la proximité spécifiques à différents types de territoire (espace urbain dense, espace rural, périurbain, bourg structurant, …) et d’esquisser une présentation des modes de vie du futur.

Portraits

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Conclusion

Les étudiants ont montré à quoi pourraient ressembler des modes de vie plus désirables et plus durables en 2050, en dessinant un monde plus apaisé, où la proximité spatiale permise par des mesures ambitieuses rimerait avec proximité sociale et apaisement des rythmes de vie. Ce travail devrait être approfondi notamment en réfléchissant aux échelles de déploiement des services identifiés selon les territoires, en tenant compte du profil socio-économique des habitants, mais aussi en allant plus loin sur les leviers d’action à mettre en œuvre, en particulier concernant le rapprochement emplois-logements.

Télécharger le rapport final

Rapport amenagement proximite.JPG

Télécharger la synthèse

Synthese amenagement proximite.JPG

Mobilité

Pour le Forum Vies Mobiles, la mobilité est entendue comme la façon dont les individus franchissent les distances pour déployer dans le temps et dans l’espace les activités qui composent leurs modes de vie. Ces pratiques de déplacements sont enchâssées dans des systèmes socio-techniques produits par des industries, des techniques de transport et de communication et des discours normatifs. Cela implique des impacts sociaux, environnementaux et spatiaux considérables, ainsi que des expériences de déplacements très diverses.

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Déplacement

Le déplacement est un franchissement de l’espace par les personnes, les objets, les capitaux, les idées et autres informations. Soit il est orienté, et se déroule alors entre une origine et une ou plusieurs destinations, soit il s’apparente à une pérégrination sans véritable origine ou destination.

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Mode de vie

Un mode de vie est une composition - dans le temps et l’espace - des activités et expériences quotidiennes qui donnent sens et forme à la vie d’une personne ou d’un groupe.

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