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Les élus de Seine-et-Marne face à la généralisation du télétravail

Recherches terminées
Début: Octobre 2023
Fin: Juin 2024

Le travail à distance est désormais une réalité quotidienne pour 2,5 millions de Franciliens. Les organisations sociales et territoriales en place s’en trouvent considérablement affectées. Les projets de déménagement en Île-de-France se concrétisent et tendent à l’éloignement du cœur métropolitain vers sa périphérie. La généralisation du télétravail offre de nouvelles opportunités en termes d’aménagement du territoire. Cette étude met en perspective différents positionnements d’élus seine-et-marnais sur la généralisation du télétravail, de ses implications socio-territoriales aux stratégies à déployer en réponse.

Acteurs de la recherche

 

Contact : Matthieu Bloch


Chaque année, le Forum Vies Mobiles pilote des ateliers étudiants avec un réseau d’écoles et d’universités. Originaux et engagés, ces ateliers explorent des thématiques importantes mais peu traitées dans la perspective du tournant écologique et social des mobilités.

Des étudiants du Master 2 Développement et Territoire de l’Ecole d’Urbanisme de Paris se sont interrogés sur le positionnement des élus de Seine-et-Marne à l’égard de la généralisation du télétravail. Face au constat de l’émergence de politiques d’attractivité fondées sur le télétravail, qu’en est-il des territoires où sont recensés un grand nombre de télétravailleurs ? Les acteurs publics locaux d’Île-de-France perçoivent-ils le travail à distance comme un possible levier de développement et un argument d’attractivité résidentielle ? Les étudiants ont mené une enquête de terrain en Seine-et-Marne auprès d’élus et d’acteurs territoriaux.

Ce que le Forum retient :

  • Le télétravail apparaît comme un sujet faiblement approprié par les élus et, a fortiori, rarement appréhendé comme un levier d’aménagement du territoire en faveur du tournant écologique et social.
  • Trop transversal, mais également peu ou pas mesuré, il semblerait que les acteurs de terrains aient du mal à le faire entrer dans leurs champs de compétences et d’action, faisant du travail à distance un sujet orphelin.
  • On observe une asymétrie des impacts territoriaux entre les lieux de travail, désertés les lundis et vendredis, et les lieux de résidence en territoires peu denses dont les effets du télétravail apparaissent plus diffus. Son impact serait plus visible au sein de la capitale où la fréquentation des services et commerces est plus importante lors des jours télétravaillés.
  • Parmi les politiques mises en place en réponse au télétravail, les espaces de coworking semblent plébiscités par les élus. Pourtant, face à une pratique du télétravail qui s’effectue majoritairement à domicile , le coworking apparaît davantage comme le fruit d’un imaginaire collectif, preuve d’une méconnaissance du phénomène.

La méthodologie et les terrains d’étude :

L’enquête de terrain a été réalisée au sein des communautés d’agglomération de Fontainebleau, Marne-et-Gondoire, Coulommiers Pays de Brie, ainsi que la communauté de communes du Provinois. Les terrains présentent des disparités en termes de distance depuis Paris, de densité de population, et de présence de cadres et professions intellectuelles supérieures.

Des entretiens formels ont été conduits auprès des acteurs publics locaux ainsi que des élus et responsables de services en charge des questions de mobilité, logement, urbanisme, numérique et du développement économique.

La seconde phase de l’enquête a consisté en une série d’excursions sur le terrain visant à réaliser des entretiens informels avec la population locale, accompagnées d’observations. L’objectif était de détecter la présence de « signaux » relatifs à la pratique du travail à distance sur le territoire et à ses possibles effets territoriaux. Les échanges ont été menés auprès d’une pluralité d’informateurs présents sur place : habitants, commerçants, agents immobiliers, employés des offices de tourisme et des bibliothèques.

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Figure 1 : Carte de l’accessibilité des principales communes des territoires étudiés

Hypothèses initiales :

Une attractivité résidentielle accrue se manifeste, les zones moins denses devenant attractives et recherchées par les ménages n'ayant plus besoin de se rendre quotidiennement à Paris pour leur travail. o Hypothèse : le nombre d’emménagements dans les zones étudiées a augmenté depuis 2020

De nouvelles pratiques de mobilité se développent, un report modal vers des modes actifs est possible pour les trajets courte distance à proximité du domicile.
o Hypothèse : une fréquentation accrue des parkings relais les jours de semaine non-télétravaillés, un trafic routier en hausse notamment le vendredi midi, une présence de cyclistes accrue.

Une vie locale redynamisée par l’arrivée de nouvelles populations, notamment de jeunes couples avec enfants.
o Hypothèse : les commerces, services urbains (poste, mairie) sont plus fréquentés en journée certains jours de semaine. Les associations locales ont vu leur nombre d’adhérents augmenter.

Les résultats :

Les étudiants ont identifié trois principaux types de positionnement parmi les acteurs territoriaux : des acteurs non réceptifs à la question du télétravail ; ceux qui en sont conscients mais ne l'utilisent pas comme un levier d'attractivité territoriale ; et ceux qui cherchent activement à en tirer parti.

I- Une certaine indifférence des acteurs territoriaux sur le sujet

Pour une majorité d’élus, le télétravail n’est pas considéré comme un enjeu majeur. Cette faible appropriation du sujet reflète un manque d’intérêt ou de curiosité vis-à-vis du travail à distance, ou bien la perception que ce sujet n'est pas crucial pour leur territoire.

Un sujet impensé pour les acteurs ?

Dans un grand nombre de cas, les élus interrogés rapportent le télétravail à leur pratique personnelle. Cette réaction spontanée suggère que le télétravail est avant tout perçu comme une question d’organisation du travail les concernant en tant que salariés, plutôt que comme un phénomène pouvant influencer les réalités spécifiques de leurs territoires. Après clarification de ce malentendu initial, les acteurs territoriaux affirment considérer leur territoire comme attractif pour de nouveaux ménages. Cependant, ils ne font pas immédiatement le lien avec la possibilité d'accueillir des télétravailleurs.

« [...] Je crois pas vraiment que ce soit ça qui amène les gens sur notre territoire. Notre activité de notre territoire, à mon sens n'est pas là [...]» (Dampmart, 15/12/2023)

Le constat d’un manque de données

La faible appropriation du sujet du télétravail par les élus résulte également du manque de données aujourd’hui disponibles. En l'absence d'informations, il est difficile de déterminer la nécessité de mettre en œuvre des actions ou des politiques relatives au travail à distance.

« Toutes les données INSEE, ministère du Travail c'est du 2021 au mieux, donc en fait personne ne sait il me semble. » (ANCT, 09/02/2024).

De plus, certains acteurs territoriaux ne semblent pas chercher à obtenir ces informations, estimant qu'il incombe aux instances supérieures de les produire et de les diffuser auprès des collectivités locales. Ils estiment que ces dernières ne disposent ni des moyens ni des outils nécessaires pour générer ces données de manière autonome.

« On n'a pas, on n'est ni outillé, ni avons les compétences pour pouvoir regarder sociologiquement comment les choses peuvent évoluer d'un côté comme de l'autre. » Maire de Pomponne, 01/12/2023

Des signaux difficilement perceptibles sur le terrain

À la différence des effets du télétravail dans les lieux d’emplois - bureaux parfois déserts les lundis et vendredis accompagnés d’une plus faible fréquentation des transports en commun - les signaux semblent très difficiles à détecter au sein des lieux de résidence étudiés.

Deux hypothèses peuvent être esquissées. Soit les impacts territoriaux du travail à distance restent marginaux, ce qui explique qu’ils ne soient pas simples à repérer, soit ces signaux requièrent des méthodologies plus sophistiquées que de l’observation de terrain pour être détectés.

Dans un contexte où les déménagements vers la grande couronne sont en partie motivés par l’accession à de plus grands espaces, le télétravail et le temps libéré des déplacements pendulaires s’effectueraient majoritairement à domicile. Au contraire, les services et commerces de la capitale semblent enregistrer une fréquentation accrue les jours de télétravail. Les impacts territoriaux du travail à distance y seraient dès lors plus visibles.

Ces effets étant plus diffus dans les espaces de faible densité, certains acteurs territoriaux ne discernent pas l'intérêt de s'approprier le sujet et de réfléchir aux éventuels impacts du télétravail, actuellement perçu comme un sujet sans conséquence.

II- Des acteurs territoriaux réceptifs mais dépourvus de stratégies d’attractivité territoriale

Dans d'autres territoires, les acteurs interrogés se révèlent être plus réceptifs à la problématique du télétravail et à ses implications, bien qu'ils n'aient pas nécessairement entamé de réflexion approfondie de leur propre initiative. Certaines politiques de développement territorial en cours facilitent indirectement l'arrivée de travailleurs à distance. L’amélioration de la couverture numérique, le développement des modes actifs ou le maintien d’un cadre de vie agréable, sont autant de leviers susceptibles d'encourager l'installation de nouveaux travailleurs à distance.

« La mise en place de pistes cyclables et de bornes de recharge électrique s'inscrit dans notre vision d'une mobilité urbaine plus verte. Ces initiatives, bien que non directement influencées par le télétravail, visent à réduire l'empreinte carbone des déplacements et à promouvoir un mode de vie plus sain. » Service Transport et Mobilité - CA Marne et Gondoire, 10/01/2024

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Figure 2 : File d’attente à une boulangerie un vendredi midi, Fontainebleau

III- Une perception immédiate des enjeux et les prémices d’une politique du télétravail

Certains acteurs territoriaux considèrent au contraire le télétravail comme un levier potentiel de développement pour leur territoire, une position principalement soutenue par ceux qui pratiquent eux-mêmes le télétravail.

« Le télétravail offre une opportunité unique de repenser notre approche de l'urbanisme et de la mobilité, en adaptant notre commune aux besoins des travailleurs à distance. » Adjoint à l’urbanisme, Villiers-Sur-Morin, 17/01/2024

Leur politique en matière de télétravail repose sur deux principales stratégies : le raccordement à la fibre à l’échelle communale et l’ouverture d’espaces de coworking. D’autres élus, notamment à Pomponne, préconisent l’implantation d’antennes satellites d’entreprises pour offrir aux employés un cadre de vie plus attractif. Pour de nombreux élus, les entreprises sont perçues comme des moteurs du développement du travail à distance.

« Notre objectif est de faire de Villiers-sur-Morin un lieu attractif pour les télétravailleurs, en proposant un cadre de vie agréable et les infrastructures nécessaires pour travailler efficacement à domicile. » Villiers-Sur-Morin, 17/01/2024

Si le développement d’espaces de coworking semble une initiative plébiscitée par les élus, les visites de différentes structures par les étudiants révèlent une très faible fréquentation, si ce n’est inexistante. Le coworking semble donc relever davantage d'un imaginaire collectif que d'une solution d'avenir. Dans un contexte où les espaces actuels de coworking ne fonctionnent pas, faut-il repenser ce modèle pour l'adapter aux véritables besoins des télétravailleurs ? Est-ce réellement nécessaire dans un territoire peu dense où les logements sont spacieux ?

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Figure 3 : Télécentre eL@ab, Vendredi, Coulommiers

Les préconisations des étudiants

Face au caractère exploratoire de ce premier atelier sur les effets territoriaux du télétravail, les étudiants proposent plusieurs pistes d’étude afin de compléter leurs premières observations :

  • Une même étude pourrait être menée au sein de villes moyennes accessibles en transport en commun dans d’autres départements de la région Île-de-France, dans des villes accessibles en train dans un rayon de 2h maximum depuis Paris, ou au sein de territoires plus densément peuplés que ceux de cette enquête.
  • L'enquête pourrait être prolongée en interrogeant directement les télétravailleurs afin de mieux appréhender leurs nouvelles pratiques et les implications socio-territoriales qui en découlent.

Téléchargements

Télécharger la synthèse de l’atelier

Téléchargez le rapport complet

Bibliographie indicative :

Aguiléra A., Pigalle E. et Belton Chevallier L., 2023. L’adoption du télétravail change-t-elle nos pratiques de mobilité ? Smart Lab. LABILITY La résilience du territoire francilien en sortie de crise sanitaire.

Aguilera A., Massot M-H., Proulhac L. 2010. Travailler et se déplacer au quotidien dans une métropole. Contraintes, ressources et arbitrages des actifs franciliens. Sociétés contemporaines 2010/4 (n° 80).

Bentayou G., Perrin E., 2021. Les impacts du développement du télétravail sur la mobilité quotidienne. JM-RST : Journées Mobilités du Réseau Scientifique et Technique. Visioconférence CEREMA.

CEREMA, 2021. Télétravail et mobilité quotidienne : que sait-on réellement ? Retour sur le webinaire du Cerema du 4 décembre 2020.

Forum Vies Mobiles et l’Observatoire Société et consommation, 2022. Télétravail et mobilité résidentielle en Île-de-France : mobilité et rythmes de vie.

Hallépée S. et Mauroux A., 2019. Quels sont les salariés concernés par le télétravail ? DARES Analyses, N°051, 11p.

Programme PopSu Territoire, 2022. Exode urbain : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles. Rapport Réseau Rural Français et PUCA, 52p.

Tissandier P. et Mariani-Rousset S., 2019 « Les bénéfices du télétravail », Revue francophone sur la santé et les territoires, Mobilités Transports et Santé.

Illustration : Office in a small city, Edward Hopper

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