Back to top

Vers une expérimentation locale de rationnement des déplacements carbonés

Recherches terminées
Début: Décembre 2021
Fin: Septembre 2022

À l’heure où les appels à la sobriété énergétique se multiplient, le Forum Vies Mobiles propose de réfléchir à des solutions concrètes, à la fois justes et efficaces, pour réduire collectivement nos émissions et déployer un nouveau système de mobilité moins dépendant des énergies fossiles. Le rationnement, idée radicale au départ mais de plus en plus d’actualité, mérite à ce titre d’être exploré. Inspirée par l’initiative pionnière de Lahti, en Finlande, une équipe d’étudiantes et étudiants du master Énergie (Université Paris Cité) pose les bases d’une réflexion sur une expérimentation locale de rationnement des déplacements carbonés.

Acteurs de la recherche

 

Contact : Matthieu Bloch

Le Forum Vies Mobiles explore l’idée d’un rationnement des émissions carbone comme alternative à la taxation. Cette dernière est dénoncée comme étant inéquitable, dans la mesure où elle pèse plus fortement sur le budget des ménages les plus pauvres, et est également inefficace parce qu’elle a peu d’effets sur les modes de vie des plus riches, pourtant les plus émetteurs de CO2. Le rationnement présenterait au moins deux avantages que n’a pas la taxe : empêcher d’émettre plus de CO2 que décidé au niveau national, et donner à chaque Française et Français le droit d’émettre la même quantité de CO2, quels que soient ses moyens financiers.

En 2020-2021, une équipe de six étudiantes et étudiants du master Énergie, encadrée par l’ingénieur et historien des transports Arnaud Passalacqua avait travaillé sur un scénario de mise en œuvre à une échelle nationale d’un rationnement des déplacements carbonés. Ce travail a permis de répondre aux trois questions envisagées alors : un tel système de rationnement semble possible, juste et souhaitable, dans la limite de certains choix à opérer en amont. Le Forum Vies Mobiles a aussi documenté une expérimentation menée en Finlande, à Lahti, visant à mettre en place un budget carbone dédié aux déplacements des habitants, géré via une application mobile . Pour l’année 2021-2022, le Forum a missionné une nouvelle équipe pluridisciplinaire du master Énergie, composée de 8 étudiants (ingénieurs, politistes…) pour préfigurer une expérimentation locale de rationnement des déplacements carbonés, appliqué aux déplacements individuels d’habitantes et habitants volontaires à l’échelle d’un territoire donné, situé en France.

Les résultats

Le Forum Vies Mobiles retient 5 grandes recommandations des réflexions et travaux exploratoires menés par le groupe d’étudiantes et étudiants :

1/ Mettre en place un système le plus simple possible, délimité dans le temps et incitatif

  • Le périmètre : les déplacements en voiture thermique et en avion domestique
  • La temporalité : une année complète
  • Les outils : une application mobile et/ou un suivi manuel
  • La mobilisation des volontaires : incitative, collective et participative
  • Le nombre de volontaires : 150 voire 200 au début, pour obtenir un groupe d’au moins 100 personnes actives jusqu’au bout du projet
  • L’évaluation : quantitative et qualitative, par une équipe de recherche en sciences sociales aidée par des étudiantes et étudiants

2/ Investir dans la phase de communication et de mobilisation en amont pour garantir la réussite de l’expérimentation

  • Une première étape visera à rassembler des acteurs locaux, parties prenantes de l’expérimentation, prêts à s’investir et accompagner le projet. Le cas échéant : collectivités, associations, centres sociaux, établissements scolaires, employeurs…
  • La mobilisation des volontaires devra s’appuyer sur une communication active et positive et/ou sur des réseaux déjà constitués (associations de parents d’élèves, habitantes et habitants d’un quartier…) car les dynamiques collectives sont particulièrement mobilisatrices, comme le montrent par exemple les « défis famille zéro déchets » 1.

3/ Rassembler les conditions d’un véritable changement de pratiques, moins centrées sur les déplacements carbonés

  • Une cible intéressante pourrait être les personnes dont l’usage de la voiture est intensif, alors même que leur mode de vie se déploie en proximité : 30% de la population réalise l’ensemble de ses activités (hors activités sociales) dans un rayon de 9 km (Enquête Mobilité et Modes de Vie, 2020) et 60 % des déplacements de moins de 5 km sont effectués en voiture (INSEE, 2019)
  • Une autre solution est de constituer un échantillon diversifié de la population à l’échelle retenue, en termes de pratiques de mobilité, de type d’emplois, situation familiale, etc. afin de tirer des conclusions sur les profils dont le potentiel de changement est le plus fort.
  • L’équipe recommande de choisir une agglomération de taille moyenne, qui sont les territoires dans lesquels les distances parcourues sont les plus faibles, et pourtant majoritairement réalisées en voiture. Les étudiantes et étudiants soulignent l’intérêt de cibler un territoire offrant la gratuité des transports (Dunkerque, Niort…) comme condition de possibilité d’un changement de pratique et comme une forme de contrepartie au rationnement des déplacements en voiture.
  • Il sera indispensable d’impliquer les acteurs publics pour qu’ils rendent possible la mobilité sans voiture : par exemple, par des aménagements temporaires de l’espace public (ex : rues scolaires dédiées à la marche et au vélo), la mise à disposition de vélo à assistance électrique…

4/ Concevoir les outils et les supports de l’expérimentation en partenariat avec les volontaires

  • Les trajectoires et objectifs visés, les règles de comptabilité carbone et les périmètres concernés pourront être définis en collaboration avec le groupe de volontaires, afin de correspondre à leurs caractéristiques sociales et leurs pratiques et de les impliquer dans le projet.
  • Les quantités de CO2 en jeu pourraient être traduites par des références à des voyages concrets (par exemple un aller-retour en avion) ou en points afin de rendre perceptible la notion de budget et d’arbitrages en matière de « dépenses carbone ».
  • Plusieurs options peuvent s’envisager concernant le support permettant de comptabiliser les émissions :
  1. numérique (site internet, application mobile) ou plus « low tech » (suivi manuel via un carnet de bord) ;
  2. dans le cas d’une application numérique, en se basant sur la géolocalisation ou bien sur la déclaration volontaire des trajets effectués.

5/ Évaluer quantitativement et qualitativement les effets du rationnement tout au long de l’expérimentation

  • Un diagnostic des pratiques de mobilité et une mesure de l’empreinte carbone liée aux déplacements des participants seront réalisés en amont, à travers des entretiens qualitatifs et des mesures quantitatives.
  • Tout au long du projet, le suivi par une équipe en sciences humaines et sociales visera non seulement à mesurer l’impact du rationnement sur les émissions, mais aussi à identifier les blocages et les leviers des changements de pratiques.
  • L’équipe souligne qu’un accompagnement individualisé des volontaires est indispensable afin de réduire les risques d’abandon et de proposer des solutions adaptées à chacune des situations.
  • L’évaluation devra garder en perspective que l’objectif final est de contribuer à une réflexion sur les conditions de possibilité et sur le caractère « juste » socialement de l’instauration d’un système de quotas individuels à l’échelle nationale voire européenne.

Conclusion

Cette réflexion exploratoire confirme l’intérêt de tester un rationnement volontaire et collectif de la mobilité carbonée à l’échelle locale. Au plan opérationnel, un point de vigilance apparaît concernant les coûts liés au développement d’une application numérique, au regard d’un nombre relativement faible d’utilisateurs. Pour rester autour d’un budget d’environ 200 000 euros, la priorité devra être accordée à un accompagnement actif des participantes et des participants dans leurs changements de pratiques. Pour mémoire, l’expérimentation réalisée par la ville de Lahti a coûté 1 million d’euros. La prochaine étape de ce projet sera de prendre attache avec des collectivités locales et/ou des associations intéressées par le déploiement d’une telle expérimentation sur leur territoire sur la base d’un document pré-opérationnel (coûts, calendrier, temps et compétences, méthodes retenues…).

Documents à télécharger

Télécharger la présentation du projet

Télécharger le rapport complet

Bibliographie

Stratégie nationale bas-carbone : peut-on faire l’économie d’un ralentissement des mobilités ?, Aurélien Bigo, juin 2020.

Mathilde Szuba, Carte carbone : plutôt qu'une taxe, un quota pour chaque citoyen ?, Socialter, juin 2019.

Faire sa part ? Pouvoir et responsabilités des individus, des entreprises et de l’Etat face à l’urgence climatique, Carbone 4, juin 2019.

Delphine Batho et François Ruffin veulent instaurer un quota de kilomètres en avion par personne et par an, Capital, juillet 2017.

Szuba Mathilde, Semal Luc, « Rationnement volontaire contre « abondance dévastatrice » : l'exemple des crags », Sociologies pratiques, 2010/1 (n° 20).

Mobilisation

La mobilisation est l’action par laquelle les individus sont appelés à se mettre en mouvement pour se rassembler dans l’espace public en vue d’une entreprise concertée, que ce soit pour exprimer et défendre une cause commune ou pour participer à un événement. En ce sens, il s’agit d’un phénomène social relevant du champ de la mobilité. Cet article a été rédigé par Sylvie Landriève, Dominic Villeneuve, Vincent Kaufmann et Christophe Gay.

En savoir plus x

Mode de vie

Un mode de vie est une composition - dans le temps et l’espace - des activités et expériences quotidiennes qui donnent sens et forme à la vie d’une personne ou d’un groupe.

En savoir plus x